Accueil DEMAGOCRATIE Radhi Meddeb et l’IPEMED : puissant lobby français en Tunisie.

Radhi Meddeb et l’IPEMED : puissant lobby français en Tunisie.

Source : Observatoire Tunisien de l’économie

I. Présentation brève de l’IPEMED.
L’IPEMED, l’Institut de Prospection Économique du Monde MÉDiterranéen, est un think tank fondé en 2006. Ayant pour principes l’ « indépendance politique et la parité Nord-Sud dans sa gouvernance », l’IPEMED présente ses objectifs officiellement comme ayant pour but : « Le brassage des élites méditerranéennes et en particulier des élites émergentes, [...] ; la production d’idées nouvelles à partir de diagnostics partagés et de réponses communes aux défis de la région ; la promotion et la diffusion des idées et des projets auprès des décideurs économiques et politiques de la région, mais également auprès d’un large public. »
II. Financement de l’IPEMED : CAC40, Aziz Miled, Groupe Mabrouk.
Étant donné que l’IPEMED ne publie pas ses comptes, il est assez difficile de savoir qui exactement finance ce think tank. Néanmoins, l’IPEMED présente sur son site ses « membres fondateurs », entendez les entreprises qui le financent. Parmi ces entreprises fondatrices, on retrouve une quasi-majorité d’entreprises françaises issues du capitalisme français du CAC40 : GDF SUEZ, Crédit Agricole, Air France, Renault, Sanofi-Aventis, SNCF, Suez Environnement, etc. ; mais aussi quelques entreprises libanaises, une banque espagnole et une entreprise mauritanienne. De plus, parmi ses fondateurs, on retrouve deux entités assez particulières : la Caisse des Dépôts et Consignations (CDC), bras armé financier stratégique de l’État français, et l’Agence Française de Développement, bras armé français dans le cadre des relations bilatérales de la France. Leur présence montre que, bien que l’IPEMED se targue d’être indépendante politiquement, la présence de ces deux entités montre que l’IPEMED ne l’est pas tout à fait du point de vue des autres pays méditerranéens ; et que la forte présence d’entreprises françaises puissantes combinée à la présence de deux entités stratégiques de la France montre que l’IPEMED est totalement influencée par les intérêts des classes dominantes françaises.
Mais ce n’est pas tout. La liste des membres fondateurs de l’IPEMED date, selon le site, du 9 décembre 2011. En effet, pour comprendre ce changement au niveau des fondateurs de l’IPEMED, il faut revenir à un scandale qui a éclaté en Février 2011, et qui a éclaboussé l’IPEMED en pleine figure. En effet, la presse française, à travers le Canard Enchaîné, révèle ce que nous pouvons appeler l’affaire Guigou-Miled. Lors de son conseil de surveillance annuel en Décembre 2009, l’IPEMED annonce la nomination d’Aziz Miled, alors PDG de TTS (Tunisian Travel Services) et de René Caron Président du groupe Crédit Agricole SA, en tant que Vice-Présidents de l’IPEMED. Leur sociétés respectives entrent donc au capital de l’IPEMED. Plus tard, en Avril 2010, c’est le Groupe Mabrouk, à travers sa branche financière dirigée alors par Ismaïl Mabrouk, qui adhère à l’IPEMED. Après la chute de Ben Ali en janvier 2011, l’affaire apparaît au grand jour et vise précisément Élisabeth Guigou qui co-présidait le comité de parrainage politique de l’IPEMED, think tank créé par son mari, Jean-Louis Guigou. La collusion entre les Guigou et Miled oblige alors Mme Guigou à s’expliquer sur sa présence, alors qu’elle est députée, aux côté de présidents de grands groupes français et de l’ancien régime tunisien. L’IPEMED devient alors le think tank qui symbolise la collusion entre la classe économique et politique française et le régime de Ben Ali. Sans trop de gêne, l’IPEMED annonce, en Février 2011, que « deux membres de ses organes de gouvernance conduisent aujourd’hui en Tunisie, dans le gouvernement de transition, la mise en place de réformes économiques, sociales et institutionnelles »
Suite aux élections présidentielles françaises remportées par François Hollande et la victoire des socialistes aux législatives suivantes, Élisabeth Guigou a été nommée Présidente de la Commission des Affaires Étrangères à l’Assemblée Nationale Française, et conduit actuellement une délégation parlementaire en Tunisie. De quoi rassurer les tunisiens.
III. Composition de l’IPEMED
Concernant la composition de l’IPEMED, il est intéressant de signaler que le Président de cet influent think tank est un tunisien, il s’agit de Radhi Meddeb.
Il a été un des grands architectes des grandes privatisations en Tunisie à travers son ntreprise COMETE Engineering en collaboration avec les institutions financières internationales (BM, FMI, BEI,BAD, etc.), il siège notamment au Conseil d’Administration de la BTK (Banque Tuniso-Koweitienne) pour le compte du Groupe Caisses d’Épargnes, une des grandes banques de la place parisienne, mais ce n’est pas tout. Comme l’a rapporté un récent article, de Février à Mai 2011, Radhi Meddeb siégeait au sein du Conseil d’Administration de la Banque Centrale Tunisienne sans quitter son poste de Président de l’IPEMED, ni son poste au CA de la BTK, alors même qu’il était en situation de défenseur des intérêts du capital français. Nous vous renvoyons vers cette étude pour comprendre comment Radhi Meddeb a fait jouer ses réseaux français pour façonner la nouvelle CDC tunisienne, qui a été créée par le Ministre des Finances Jalloul Ayed un mois après les élections du 23 Octobre 2011 ! D’ailleurs, encore aujourd’hui, Radhi Meddeb, sur le site de l’IPEMED, se présente comme membre du CA de la BCT alors qu’il a quitté ce poste depuis presque deux ans maintenant.
Il est tout aussi intéressant, à plus d’un point de vue, de noter que dans le Conseil d’orientation politique de l’IPEMED, et ce depuis le 04 Avril 2012 (date de la dernière modification du conseil), on retrouve encore Élisabeth Guigou, ou bien Romano Prodi, Jean-Pierre Raffarin, Javier Solana, André Azoulay et, surprise… Yadh Ben Achour !
IV. Questionnements : rôle de l’IPEMED dans le remaniement ministériel
Au regard de l’actualité de l’IPEMED, nous pouvons constater que ce think tank a toujours été un fervent soutien au projet de Nicolas Sarkozy de l’Union pour la Méditerranée. Au fil du temps, la déception de l’IPEMED vis-à-vis de l’UpM transparaissait d’autant plus qu’il y avait placé de grands espoirs de développement économique dans l’intérêt de leurs « membres fondateurs ». C’est donc sans surprise que nous constatons tout l’enthousiasme qu’a pu susciter le Partenariat de Deauville au sein de l’IPEMED au vu des sujets qu’il traitait jusque-là. En effet, ce Partenariat de Deauville, qui fut d’abord piloté par la France durant la Présidence du G8 en 2011, s’accordait parfaitement avec les projets que l’IPEMED avait déjà en tête : intégration régionale, Parternariats Public-Privé, Plan Solaire, développement des PME, Private Equity, etc.
Par conséquent, quelques questions se posent à nous :
Y-a-t-il un lien entre le fait que le nom de Radhi Meddeb soit annoncé dans la presse comme Ministre de l’Industrie, le fait que Hamadi Jebali ait pris par surprise tout le monde en proposant un gouvernement de technocrates sous de fortes pressions extérieures (pressions du FMI dans le cadre du Partenariat de Deauville, entre autres), le fait que Yadh Ben Achour soit très actif et incite Hamadi Jebali à contourner l’ANC pour imposer ce gouvernement de technocrates, et le fait que Radhi Meddeb et Yadh Ben Achour fassent tous les deux partie de l’IPEMED, garant des intérêts de la France et fervent promoteur du Partenariat de Deauville ?
Le 5 Mars 2013, l’IPEMED, en partenariat avec GlobalLinks, organise une conférence à l’Assemblée Nationale Française, intitulée:«Investir en Tunisie, nouveau contexte, nouvelles opportunités ». Hamadi Jebali est attendu pour faire le discours d’ouverture de cette conférence en présence de quelques acteurs du Partenariat de Deauville. L’IPEMED y envoie notamment Michel Gonnet, l’ami de Radhi Meddeb chargé de la stratégie de la CDC tunisienne.
Nous espérons que ce qui se joue actuellement dans la saga du remaniement de Hamadi Jebali, surtout depuis le 6 Février, ne s’inscrit pas dans le cadre d’un diktat sombre et cynique des puissances composant le Partenariat de Deauville pour imposer les réformes douloureuses qui attendent la Tunisie, mais le doute est permis.