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Décryptage des confusionnismes

L’une des grandes difficultés en ces temps de crises est de s’informer autrement que par les canaux mainstreams (chaînes, presse, etc) couramment détenus par des intérêts privés créant une tendance à la « pensée » néolibérale unifiée. Reste l’internet, évidemment. Cependant, en dehors de quelques rares médias vraiment indépendants, le web fourmille de sites, blogs et devantures qui convergent vers les mêmes « idéologies » entrecroisées, exploitant cet espace de liberté moyennement surveillée et (heureusement, cependant) quasi incontrôlable pour (malheureusement) recycler de vieilles rengaines. Discernons donc quelques clefs pour décoder l’herméneutique de ces divers courants.

La stratégie du toc
Sauf à contenter un public déjà conquis, les écoles variées de la « nouvelle droite » nationaliste autant que la « vieille garde » stalinienne ont bien compris qu’ils ne pouvaient plus évoquer aussi frontalement -entre autres exemples- la préférence nationale (chère au FN), la pureté des lignées (en vogue chez les royalistes autant que les néo-nazis), le catholicisme le plus orthodoxe (qui s’exprimait ces jours-ci contre le mariage pour tous), ou encore la haine de telle ou telle catégorie parfaitement admissibles (et même de bon aloi) chez bon nombre d’identitaires.
Admettant bon gré mal gré que l’expression directe de ces préjugés discriminants feraient passer la défense de la liberté d’expression pour un minable prétexte à déverser une bile haineuse trop reconnaissable, les théoriciens (pas toujours subtils) de ces mouvances ont mis au point une stratégie d’élargissement de leur public qu’on peut résumer ainsi : billard à deux bandes.
Même si cela ne marche pas sur tout le monde, un nombre grandissant de personnes mal armées ou sujettes à endoctrinement se font ainsi prendre latéralement par cette méthode. Son principe peut être ainsi résumé qu’on évoque un thème à audimat garanti (on y vient plus loin), et durant la « démonstration » on injecte plus ou moins subtilement des éléments connotés (évoqués plus haut) – qui hors de ce contexte auraient de suite sonné de façon identifiable.
Comme en prestidigitation, il s’agit donc de divertir l’attention d’une main pour diluer de l’autre les éléments petit à petit, le public étant -dans sa majorité- progressivement préparé (immunisé ?) à recevoir de plus en plus frontalement le discours dévoilé au final.
Le résultat est du meilleur effet : malgré les décrochages et les dénonciations qui ne manqueront pas d’intervenir, un nouveau public peut ainsi être capté qui sera renforcé par la présence de l’ancien, lui-même flatté de se sentir légitimé par ces nouveaux adeptes.

Thèmes récurrents
Voici, de façon non-exhaustive évidemment, les sujets de prédilection de ces courants.
JFK : l’assassinat du 35ème président des USA est probablement le sujet sur lequel le plus de théories avaient été formulées jusqu’à l’automne 2001. Il marque un avènement notable dans l’histoire du complotisme moderne, et la mise en doute des thèses « officielles » pour en accréditer d’autres moins tenables mais plus spectaculaires.
3e Reich : autre sujet encore plus vaste que le précédent, et recélant de multiples aspects (ethniques, sociologiques, géopolitiques, historiques, etc) sur lesquelles les interprétations les plus diverses peuvent se projeter (négationnisme, complot séculaire, etc).
Communisme : avec le bloc soviétique qui parachèvait durant la guerre froide sa totale trahison des idéaux révolutionnaires (Marx, Engels, etc) entamée par le régime dès 1920 ; perdurant même depuis la chute du mur, les théories les plus folles viennent renverser les faits objectifs (1917, les goulags, etc).
Capitalisme : ce sujet venu des années 1930 réapparaît notamment par le biais de la finance mondiale dérégulée, depuis les années 90 et permet les interprétations les plus abusives sur des sujets réels (crise, chômage, désindustrialisation, etc), souvent en lien avec d’autres évoqués ici, y compris les plus rac(ial)istes comme on le verra plus loin.
Élite : plus largement et obscurément qu’au-dessus il s’agit du sommet de la pyramide sociale, tantôt mondiale tantôt nationale, qui déciderait de tout dans un secret plus ou moins bien gardé faisant lui aussi l’objet de théories qui dépassent de loin l’analyse objective des systèmes sociaux et politiques.
Religion : sujet millénaire sur lequel, encore une fois largement au-delà (ou dans l’ignorance totale) des faits historiques, sont projetés les théories les plus délirantes et amalgamantes, servant aussi de support aux divers intégrismes (interprétation des monothéismes, surtout).
Environnement : dépassant largement la défense légitime de la nature, l’environnement et ses sujets dérivés (schistes, nucléaire, etc) fait l’objet de théories folles au-devant desquelles le survivalisme, très en vogue chez les identitaires par son aspect individualiste et violent, et le scientisme autoritariste du « zeit geist ».
Fin du monde : ou ce qu’il advient quand le mysticisme tout azimut atteint son paroxysme, dérivant la finitude individuelle et/ou universelle en des théories de fin du monde plus ou moins plausibles (déluge, météorite, virus, guerre, etc) selon la saison.
Terrorisme : des anarchistes du 19ème, aux années rouges et/ou de plomb du siècle passé, on en arrive à présent à une armée plus ou moins invisible (foux de dieux et/ou nationalistes) justifiant le sécuritarisme ambiant et qui s’illustre le mieux dans le dossier conspirationniste de la décennie, sinon du siècle, j’ai nommé le 11 septembre !

Adjuvants notoires
Ceux-ci sont également très nombreux, et sont parfois un but final, parfois un moyen intermédiaire de manipulation. Ils sont parfois dosés, parfois masqués et parfois affichés selon qui parle, dans quel contexte et pour quel auditoire on l’adresse. En voici quelques uns.
Immigration : c’est évidemment le pôle éternel de la xénophobie (juif, arabe, africain, asiatique, roumain, etc). Il faut particulièrement noter le manque total de discernement, la tendance généralisatrice, l’amalgamation rampante sur ces sujets. Exemple : ne pas distinguer l’origine culturelle, la religion et le positionnement politique d’une personne parce qu’elle est juive ou maghrébine.
Obscuritarisme : il s’agit de références à des sociétés secrète en l’absence de preuve (ou avec des preuves tellement indirectes qu’elles font appel à une foi aveugle) ; franc-maçonnerie, illuminatis et Opus Déi sont les pourvoyeurs favoris d’un nouvel ordre mondial (N.W.O.) fantasmé. Cela peut dériver jusqu’à des projections paranoïaques autour d’institutions organisant la pédophilie et/ou le satanisme, par exemple.
Malthusianisme : partant souvent de la critique légitime d’une maximisation capitaliste du profit (dont OGM, pesticides, plastiques) on trouve des délires de régulation concertée de population mondiale par empoisonnement ; invention et innoculation volontaire du SIDA, Chemtrails (pollution atmosphérique), HAARP (déclenchement de catastrophes), etc.
Pseudo-science : on y retrouve pêle-mêle divers types de sectarisme, charlatanisme et de paramédical ; tels que stages de développement astral, vente de « médicaments » miracles, guérison spontanée du cancer, etc. Cela peut aller du site personnel amateur de VPC jusqu’à l’organisation multinationale avec puissance financière irrépressible (Moon, Scientologie, etc).
Extra-terrestre(s) : que ce soit dans l’affaire Roswell, les cas de « crop circle » (tracés retrouvés sur les champs agricoles), les délires sur une gouvernance d’aliens (reptiliens) ou sectaires (raëliens), des créatures venues d’autres planètes pour nous aider ou nous détruire servent parfois d’élement fascinant, voire de secret dévoilé.

Génériques pas automatiques
Il faut bien sûr faire preuve de discernement car tous les courants ne se valent pas, et les méthodes, les propos tout comme les intentions peuvent varier, aussi bien du côté des orateurs/théoriciens que de leur public. Mais on peut noter plusieurs points communs entre eux :
- ils ont comme manie récurrente de simplifier au lieu d’expliquer ; donner des solutions simplistes et/ou un unique responsable comme clef de problèmes aux sources multiples, voire à emmener vers des solutions/explications totalement irréalistes, sinon pathologiques (paranoïa, obsession, schizophrénie, etc).
- ils ont également un certain systématisme à ne retenir que les éléments allant dans le sens de leurs thèses, voire en ignorant (ou en minorant/diffamant) tous les éléments ou personnes qui les contrediraient de manière probante ; à noter que leurs détracteurs sont sommés de ne pas pratiquer ces mêmes méthodes et/ou accusés de le faire.
- ils ont par ailleurs une nette tendance à se cristalliser autour d’une seule personne à l’aura très charismatique, qui (aux limites du rôle d’un gourou de secte ou d’un mentor en intégrisme religieux) sera systématiquement défendue par des « adeptes » plus ou moins sincères ou calculateurs.
- ils ont en outre le triste effet boomerang de produire le contraire de ce qu’ils prétendent ; au lieu de créer de la liberté d’expression ils font devenir suspect (sinon récupérable) toute personne sortant du discours dominant ; au lieu de créer de la vitalité ils canalisent tout mécontentement vers leurs impasses.
- ils ont enfin comme fâcheuse habitude d’inverser les rôles systématiquement (charge de la preuve, ouverture d’esprit, liberté de parole, etc) et d’user de postures rhétoriques en leitmotiv (rebelle entrâvé, victime de censure, naïveté idéologique, etc).
Ceci dit, ils émettent de temps à autre (volontairement ou pas) une information fondée – sinon même leurs plus sincères émules finiraient par douter ; mais tout est donc question de doser savamment le « vrai » et le « faux ».

Particularismes notables
Ces généralités passées en revues, distinguons, à défaut de plus de nuance, 3 niveaux de spécificité.
Fascisme : on le reconnaît notamment par sa violence (physique et/ou verbale et/ou symbolique), et son marqueur raci(al)iste (glorification ou discrimination) quasi systématique ; du côté « théorique », il récupère le plus souvent les analyses pertinentes tout azimut (experts, militance, etc) pour y glisser ses solutions extrêmistes, ce qui crée paradoxalement des grands écarts assez facilement détectables – pour qui ne veut pas se laisser berner, évidemment.
Conspirationnisme : sous l’excuse du doute légitime (qui s’avère un puit sans fond !) on y retrouve une nette tendance à épaissir le mystère au lieu d’éclairer par son propos contrairement au but affiché, à poser plus de questions que donner de réponses. Un marqueur de base est de s’autojustifier par une foi aveugle due au nécessaire secret que ses thèses dévoilent, qui empêche la récolte de preuves objectives. Un autre est de faire appel au témoignage d’invidus isolés (exemple : un initié rejeté par ses pairs) pour renforcer son propos. Un dernier marqueur notable est de ne proposer aucune solution concrète, comme si l’exposition de la théorie résolvait ce qu’elle dénonce, comme si elle expliquait la société et l’Histoire hors de tout volontarisme social.
Confusionnisme : on l’identifiera avant tout dans son refus de positionnement clair par rapport aux 2 autres, ainsi qu’à sa propension à brouiller les pistes en mélangeant par exemple des « bonnes » et « mauvaises » sources (exemple : quelques personnes irréprochables piégées avec plusieurs extrêmistes notoires) pour banaliser, normaliser, crédibiliser les unes au dépend des autres, avec l’apparente bonne foi sous couvert d’un pluralisme qui confine au rouge-brun.
Ce ne sont évidemment que les 3 tendances « lourdes », car il existe beaucoup de niveaux intermédiaires entre ces couches à la radicalité progressive, et des embranchements thématiques de façon à satisfaire un public divers et spécifique selon le pays, le milieu social, etc.

Ouvertures, attaques et défenses
Dans les ouvertures classiques, on retrouve souvent l’appel à des figures classiques (comme Voltaire ou Robespierre) pour justifier des propos inacceptables par la liberté d’expression (« si on me laisse parler voici ce que je dis ») ou la révolte légitime (« c’est parce que je suis révolté que je dis ceci »).
Dans les stratégies on retrouve la carotte d’une révélation progressive de vérités masquées au grand public qui procède comme un verrou psychologique (car une fois le parcours initiatique réalisé, faire marche arrière est compliqué) ; on a aussi, comme évoqué plus haut, une mise à égalité des thèses fascisantes avec les autres, qui peut provenir autant d’une vélléité consciente (banalisation) qu’inconsciente (légitimation) ou d’un mélange des 2, encore plus efficace.
Il est difficile de distinguer les discours de ces courants avec ceux de personnes un peu larguées qui prennent à droite à gauche sans forcément avoir d’intention dissimulée, à tel point qu’une posture d’innocent hésitant peut être une couverture défensive très utile pour les adeptes assumés de ces mouvances.
Pour ce qui est des logiques plus frontales, on retouve les points « godwin » classiques (comparaison à Staline et/ou Hitler) qui interviennent parfois sous forme de dérapages obsessionnels (émergence impromptue de la Shoah, des salafistes, etc). Ceux-ci procédent souvent par une activation émotionnelle (image insoutenable, fait divers monstrueux, etc) qui va faire diversion et/ou empêcher toute réflexion et tout débat. A noter que cela peut être le fait d’une même personne sous diverses identités (création d’un problème + fourniture de sa solution).
Au registre des forces qui peuvent devenir des faiblesses (par explosion des groupes) on retrouve le sectarisme et/ou dogmatisme qui fonctionne assez bien à court terme sur des personnalités typiques (doute, faiblesse, etc). C’est aussi pour cela que ces courants fonctionnent mieux au long terme sur des individualités conditionnées.
Et enfin, sur les méthodes mixtes on retrouve des figures rhétoriques standard comme : inversion des charges (« prouvez-moi que j’ai tort sinon j’ai raison »), choix caricaturaux (« choisissez entre pensée unique ou conspirationnisme ») et postures victimaires (« vous m’empêchez d’exprimer ma haine, c’est vous qui me discriminez »).

Limites asymptotiques
Malgré les pistes données plus haut, on peut toujours se tromper et il faut se garder de plusieurs pièges dans la lutte contre ces phénomènes qui pullulent sur le net et même sur médias classiques.
Notamment, il faut éviter de tomber dans une hystérie antifasciste qui dérive parfois vers la paranoïa et l’amalgamation décrite plus haut, totalement contre-productive puisqu’elle rend service à ce qu’elle prétend combattre.
Un autre écueil est celui d’une neutralité axiologique, notamment invoquée chez les confusionnistes, qui s’est avérée être une impossibilité patente en sciences humaines dès lors qu’on touche aux sujets politiques et sociaux.
Un autre problème se situe dans la dilution (fausse critique, dissimulation, etc) qu’on peut aisément confondre avec une distanciation sincère, aux antipodes des postures évoquées plus haut.
Une limite subtile se trouve dans la progressivité de certaines dérives, comme des personnalités (humoristiques ou non) qui s’enfoncent années après années dans une radicalisation en entraînant avec elles tout ou partie de leur auditoire …
On peut ajouter un problème particulier au complotisme : il est un trou noir qui aspire le temps et l’énergie de ses détracteurs comme de ses soutiens, renforce le pouvoir imaginé des forces occultes à qui on prête des intentions cachées, transforme tout évènement social en complot des élites malfaisantes … bref, il renforce la position des dominants et affaiblit celle des dominés en donnant l’impression de faire l’inverse !
Une épine ultime : pour dénoncer ces pratiques, il faut parfois ironiquement rassembler des faits divers éparses qui, mis bout à bout, dessinent un plan d’ensemble. Il n’y a aucun lien entre (par exemples) la vandale du Delacroix, le forcené d’Alabama, M. Merah et A. Breivik. Pour autant, on voit là 4 personnes isolées qui ont sombré dans des thèses hétérogènes mais à la caractéristique d’aliénation commune (respectivement : complotiste, survivaliste, jihadiste et fasciste) avant leur passage à l’acte spécifique (vandalisme pour la première, enlèvement pour le second et de multiples meurtres pour les 2 autres).
Cela ne permet pas d’unifier tous ces évènements et les embrigadements dont ils découlent, mais démontre la nature sectariste et potentiellement criminelle qu’ils partagent.

Conclure pragmatiquement ?
Il reste des moyens pour y voir plus clair, comme cette méthode herméneutique assez adaptable :
1- D’où provient l’information, qui l’a conçue (source) ? Ceci peut être difficile à établir, mais ne serait-ce que pour imiter l’apparence du journalisme on retrouve même sur les sites les plus fantaisistes de quoi remonter la filière d’une information, et parfois même qui la finance et/ou la relaie (voir n°3).
2- Comment est-elle formulée (choix lexicaux, tournure) ? Cet aspect peut demander un énorme travail de fond et de recoupement méta-journalistique (occurrences des mots-clefs, proximité des éléments de langage, levée des masquages par synonyme, listing des rhétoriques et arguments, etc), mais il peut être payant.
3- Qui la relaie et la crédibilise (site, presse, pays) ? Voilà peut être la partie la plus facile de nos jours avec les outils de recherche internet ; il suffit de quelques requêtes et d’un peu de patience pour voir combien d’acteurs relaient une info et quelle est la nature et le positionnement de ces acteurs.
4- Quelle est sa conséquence si vérifiée (gain, pouvoir) ? Question ultime dans laquelle il faut ironiquement se garder de tomber soit-même dans le complotisme ; ceci étant posé, il reste utile de se renseigner sur l’objectif d’une (dés)information.
A partir de tout cela il est possible de se faire une idée plus personnelle, moins émotionnelle, centrée sur les faits et les biais ; mais bien sûr toute méthode a ses limites – la meilleure manipulation étant celle qu’on ne soupçonne jamais.

Sources :
Conférence sur le conspirationnisme
Article sur Meyssan
Soral, Asselineau, Chouard
Qui est Collon ?
Le survivalisme
Le mouvement ZG
Sur Cheminade
Reopen 911
Delacroix vandalisé
Forcené D’Alabama
Le manifeste de Breivik
L’affaire Merah