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Reculer pour mieux passer ?

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C’est finalement au Sénat que le gouvernement aura cédé quelques « yards », permettant une timide avancée de la réforme des retraites sur le terrain de l’équité exigée par une majorité de citoyen(ne)s. Cependant il est un peu tard pour prétendre à un réel dialogue social ; les syndicats ne s’y trompent pas : les mobilisations durcissent partout dans le pays et la journée des manifestations ce 12 octobre est maintenue.

L’ironie de cette légère concession réside en cela, que c’est dans l’assemblée réputée comme la plus conservatrice du régime qu’elle intervient : le Sénat, présidé par l’UMP Gérard Larchet valide un amendement présenté par un président de la commission des Affaires sociales et un rapporteur tous deux également UMP. Il faut rappeller que les mesures de la réforme étaient passées « en force » à l’Assemblée Nationale le mois dernier, défendues comme « durables, justes et efficaces » par Eric Woerth devant la commission susnommée, alors que Nicolas Sarkozy émettait des doutes appuyés sur les aménagements encore possibles : « peu de marge », disait-il, concernant la pénibilité.

Tout à l’inverse, une fois la commission ayant validé la majeure partie du texte, Eric Woerth avait souligné qu’il y avait « encore un certain nombre de marges de manœuvre » en se félicitant de « plein d’avancées » : un aménagement pour les travailleurs handicapés et une allocation compensatoire pour les seniors chômeurs. Mais en revanche, rien pour les femmes ni sur la pénibilité, l’âge obligatoire pour toucher le taux plein est maintenu sans restriction, l’âge minimum légal est repoussé sans liberté possible, la viabilité du système n’est toujours pas garantie liée qu’elle est au taux de chômage futurs, (etc) entre autres anomalies amenant les syndicats à durcir la grève à commencer par mardi prochain.

Traditionnellement, en matière de réforme, la France cumule ainsi plusieurs paradoxes étonnants :
Celui de médias tour à tour complaisants avec les institutions et leurs « messages officiels » martelés de toute part, ou à l’inverse avec « le peuple » et son mécontentement qui monte parfois -comme ces derniers temps sur les retraites.
Celui de politiques qui superposent une ouverture au dialogue (parfois de façade) dans la mission dont ils/elles se disent investi(e)s, et un aveuglement idéologique ou dogmatique résumé par ce refrain désormais célèbre : « ce n’est pas la rue qui gouverne » (Jean Pierre Raffarin).
Celui de citoyens demandeurs de changements mais prompts au blocage dès que l’on touche à leurs acquis ; bien que l’individualisme généralisé peut en attenuer l’effet, c’est en quoi le syndicalisme reviendra sonner la charge.
Celui d’une économie et d’un choix de société écartelés entre la globalisation avec son lot de libéralisme ambiant d’une part , et les problématiques environnementales ainsi que la condition humaine et sociale de l’autre.
Celui, enfin, d’institutions ou de dispositifs démocratiques très puissants tels que le conseil constitutionnel ou le référendum, malheureusement trop rarement mis à contribution pour des raisons plus ou moins avouables.

On pourra à partir de là distinguer plusieurs types de recul de la part des gouvernant(e)s dont les principaux sont :
Le méa culpa pur et simple ; il est assez rare pour être signalé, souvent anecdotique ou purement médiatique : on a l’exemple récent des « avantages » et autres « abus » supprimés auprès de politiques proches du gouvernement (Christine Boutin, Christian Blanc, Christian Estrosi, Alain Joyandet, etc) ou encore celui tout frais des « zones noires » de destruction, après la tempête Xynthia, annoncées à la louche et revues face à l’étonnement légitime des propriétaires non-inondés.
Le bras de fer qui finit (généralement) par céder à force de pression ; on en aurait de multiples exemples dans la sphère entrepreneuriale (occupation d’usine, rétention de dirigeants, etc) mais pour ce qui est de la sphère politique, les exemples les plus marquants de la décennie restent le retrait du CPE par Dominique de Villepin, ou les « opérations escargot » chaque fois très efficaces des routiers. Selon l’enjeu et le déroulement, on peut aussi assister à une résignation de l’opinion publique.
Le pragmatisme de raison invoqué ; cette approche n’est pas nécessairement alliée à une velleité malveillante. En tous les cas il s’agit de communiquer et d’avancer dans une direction, souvent louable éthiquement et/ou désirée par les citoyens, puis d’invoquer des éléments d’abandon (règle de l’UE, compétitivité, diplomatie, etc). De grands exemples : la taxe tobin souvent évoquée jamais appliquée, ou encore le Grenelle et l’impasse de la taxe carbone consécutive.
Le retour calculé à l’avance ; comme à l’heure présente sur la réforme des retraites, c’est par un dialogue social très succinct, inexistant ou non-respecté que cette méthode commence généralement. S’ensuit un texte très dur, soulevant donc la critique et qu’il faudra parfois faire voter en force (article 49.3 …). Pour faire passer la pilule on pourra ensuite laisser filer des amendements d’ordre cosmétiques comme le R.S.A. accordés aux moins de 25 ans avec des critères intenables.

A chaque fois s’entrecroisent le rôle des médias, l’engagement citoyen, les intérêts privés et publics, la crédibilité des politiques et, en filigrane, la pertinence de la démocratie. Il semblerait que dans le cas de la réforme des retraites, on ait commencé par une stratégie de retour calculé ayant tourné au bras de fer de par la mobilisation populaire, le travail relativement objectif de certains médias (presse et internet en tête), et ce malgrès des écarts de comptage manifestatoires plus ineptes que jamais (exemple : de 1 à 10 à marseille !). La suite du feuilleton très bientôt, donc …

Source :
http://www.agirensemblecontrelechomage.org/spip.php?article1877
http://www.lemonde.fr/la-crise-au-proche-orient/article/2006/04/10/mm-chirac-et-de-villepin-retirent-le-cpe_759910_734511.html
http://www.20minutes.fr/article/6295/-Le-49-3-ou-comment-faire-adopter-une-loi-sans-vote.php
http://fr.wikipedia.org/wiki/Taxe_Tobin
http://www.lepoint.fr/economie/gouvernement-fillon-s-attaque-aux-avantages-des-politiques-14-06-2010-466557_28.php
http://www.lexpress.fr/actualite/societe/xynthia-le-gouvernement-recule-sur-les-zones-noires_896828.html
http://www.fne.asso.fr/fr/contribution-climat-energietaxe-carbone–le-gouvernement-recule-en-donnant-limpression-davancer.html?cmp_id=33&news_id=1186
http://owni.fr/files/2010/09/schemaManifestation.jpg
http://www.challenges.fr/actualites/politique_economique/20100930.CHA8554/retraites__la_reforme_adoptee_en_commission_au_senat.html