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Recherche en eaux troubles

Modèle mondialement réputé depuis les années 90, le Partenariat Public-Privé (P.P.P.) « à la française » en matière de production/distribution de l’eau atteint ses limites tant les prix grimpent et la qualité chute. Pendant ce temps un abîme semble s’ouvrir sous les fondements théoriques, datant du XVIe siècle, de notre santé publique.

Faites entrer les accusés
Ce sont autour de deux grosses entreprises françaises, devenues depuis multinationales, que se sont concentrés les marchés et leurs pratiques : Veolia (Générale des eaux et ex-Vivendi dont on se rappelle l’emblématique patron, Jean Marie Messier …) et Suez (depuis fusionné avec G.D.F. et englobant la Lyonnaise des Eaux).

Grandissant sans cesse, arrachant souvent déloyalement l’exploitation à la concurrence locale, les états majors de ces machines de guerre économique ont petit à petit dépossédé la régie publique de ses acquis pluri-centenaires, et répété à l’étranger cet étrange modèle …
… Celui d’un « partenariat » (qui n’en a que le nom !) entre le public et le privé : le premier renonçant à l’exploitation des infrastructures et du réseau qu’il a crée et entrenu, le second accédant gracieusement aux bénéfices de la distribution avec toute latitude sur le devenir de cet argent anciennement public, mais devenu « magiquement » privé !

Le fric, c’est chic.
C’est par des procédés à la limite du bon sens, voire de la légalité, que les marchés ont été conquis par le privé. On retrouve, comme de bien entendu, les pratiques quasi-mafieuses habituelles (corruption d’élus ou de syndicalistes par des avantages en nature, voyages, primes etc …).

Mais la méthode la plus inédite s’intitule « Droit d’Entrée » ; l’entreprise paie à l’entité publique (commune, région, etc …) une somme pour « acquérir » officiellement l’exploitation, et elle facture ensuite les prix de manière libre en bout de chaîne, a priori comme toute entreprise privée.
En réalité il s’agit là, moyennant variantes selon le contrat passé, d’un prêt dissimulé où l’entreprise récupère sa mise initiale et perçoit en plus des intérêts que les citoyens locaux remboursent sur leur facture d’eau dans les années qui suivent l’accord. Résumons.

C’est à dire que non seulement l’entreprise accède au final gratuitement aux bénéfices (!) car elle récupère son « Droit d’Entrée » avec plus value (!!), mais elle fait de surcroît dans la plupart des cas financer par le public (!!!) l’ensemble des installations/réparations qui restent la propriété de ce dernier …

On croît rêver mais c’est pourtant ce qui s’est déroulé sous nos yeux embrumés depuis plusieurs décennies : le coût au public, le bénéfice au privé, ou le rêve ultime du libéralisme devenu réalité. « Droit d’Entrée », voilà en deux mots le « grand modèle » que la France glorieuse a exporté chez ses voisins du nord comme du sud. Le béotien se demandera sûrement « Et après, quelle différence cela fait-il ? ». La voici qui vient.

Et divergence, c’est énorme !
L’essence primordiale qui va amener des aberrations consécutives n’est pas difficile à comprendre : public et privé ont des buts totalement différents, voire opposés.

Le privé vise en premier lieu sa rentabilité, y compris au détriment de la qualité et notamment parce qu’une fois l’exploitation « acquise » il n’y a plus de concurrence locale. Par ailleurs ses vues se situent à court terme et uniquement au niveau technique et local, donc il préférera souvent facturer les pertes au contribuable plutôt que de réaliser des réparations sur un réseau immense qui ne lui appartient pas et dont il n’a de droit de gestion que sur quelques années. Enfin, il n’a aucune obligation de réinvestissement des bénéfices. Résultat : prix abusifs, ajout de chlore quasi-systématique, réseau mal entrenu et 17 à 27% d’eau gachée dans les fuites sur les régions en P.P.P.

Le public, lui, mise avant tout sur la qualité et la pérennité ; le réseau lui appartenant sans limite de temps, il préférera investir et réparer quitte à se rembourser sur des décennies selon une logique stratégique et globale. Il ira même dans certains cas jusqu’à acheter des terrains au-dessus des nappes phréatiques de captation pour y installer des agriculteurs bio, de façon à garantir une eau la plus pure possible, notamment sans pesticides. Détail important : un exploitant public est tenu de réinvestir ses bénéfices dans le réseau ou d’alléger la facture. Résultat : prix modérés, très peu d’ajout de chlore, réseau maintenu et seulement 3 à 12% de liquide perdu dans des fuites sur les zones en régie publique.

Cette analyse et ces chiffres parlent d’eux-mêmes. Mais soyons encore plus précis.

Quelques exemples, peut être ?
Grenoble a délégué en 1989 à Suez la gestion de son réseau aquifère ; d’un système en excellent état pour un prix raisonnable, on en est arrivé à une catastrophe structurelle coûteuse qui se terminera par un jugement pour corruption du microcosme d’Alain Carignon, maire de l’époque.
Bordeaux a vu ses factures d’eau exploser de +30% en 3 ans avec Suez, sur des motifs qui ne tiendront pas l’analyse comptable : remplacement de compteurs fictifs, surestimation des branchements défectueux, etc … l’affaire se terminera en l’injonction de rembourser 230 000 000 d’euros à la ville !

En P.A.C.A. ce sont quelques 2 000 000 de francs qui sont passés en frais douteux (soirées, vacances, honoraires indûs) sur la facture d’eau des administrés ; Toulouse a aussi remboursé 430 000 000 de francs que son maire Dominique Baudis a déguisé en réduction d’impôts pour agrémenter son image politique.
Lille aura, selon ce même modèle, « financé » un stade sportif et Montpellier un Palais des Congrès en corrompant au passage des élus P.C.F. pour obtenir leur aval ; dans de nombreuses autres communes on a ainsi « effacé » des dettes latentes repercutées sur la facture d’eau en toute opacité.

Globalement, partout où le marché est passé aux mains du privé, le prix est devenu 2 à 3 fois plus élevé que dans les zones sous régie publique. Les pires cas relevés : Toulouse, Marseille, I.D.F. principalement.
En Bretagne, le prix à payer est devenu autant environnemental et sanitaire qu’économique : une industrie agro-alimentaire (engrais, pesticides, lisiers, etc …) et des régies aquifères privées amènent à des taux de nitrates et une mortalité huîtrière record, ainsi qu’au recouvrement des plages par des tonnes d’algues vertes nourries par la pollution et la gestion suicidaire de l’eau. Nous empoisonne-t-on volontairement ?

Là où la science s’ignore.
C’est bien sûr à la faveur d’un modèle productif que les problématiques s’accumulent, mais là où la science devrait intervenir, elle reste impuissante de manière involontaire ou provoquée.

Les fondements mêmes de la toxicologie, par exemple, sont édifiants : on se base encore aujourd’hui sur un principe du XVIe siècle (Paracelse) définissant que l’effet d’une substance est proportionnel à la dose administrée. C’est à partir de là qu’on a posé la norme DL50 (dose capable de tuer 50% d’une population testée, rat ou souris par exemple) pour ensuite descendre vers une dose considérée comme sans effet nocif observale (ou DSENO). On divise ensuite cette dernière par 10 (« par sécurité pour la population humaine ») et encore par 10 (« pour couvrir la variance de sensibilité ») sans avoir encore aucune idée de l’impact sur l’humain. Quelle rigueur scientifique !

On obtiendrait ainsi une dose journalière théoriquement admissible (D.J.A.) pour la substance testée, supposée valable pour toute personne, enfant et femme enceinte compris. Des mesures de résidus sur les fruits/légumes ou dans les viandes et produits dérivés permettraient de normer les taux de substance toxiques sans aucun risque pour la santé à court ou long terme. Mais cette pensée, issue d’approximations expérimentales des années 60 (notamment des théories de René Truhaut), ne tient largement plus la route depuis lors.

D’abord par qu’elle applique la méthode toxicologique à des susbstances nouvelles (plastiques, pesticides) très proches chimiquement des hormones naturelles (perturbateurs endocriniens) dont on sait à présent que l’effet se produit à très large échelle avec des doses infinitésimales, notamment en ce qui concerne la croissance foétale et sexuelle jusqu’à l’adolescence. Ensuite parce qu’à partir de tests potentiellement erronés de quelques mois sur des animaux, on n’a aucune idée des conséquences humaines avant de constater les dégâts sanitaires (ex: aspartame, amiante, etc …) parfois plusieurs décennies après (persistance et concentration progressive des produits, effets sur la génération suivante). Enfin parce que les produits sont testés un par un, hors l’on sait désormais que des cocktails de substances à l’effet bénin séparément ont des résultats combinatoires totalement imprévisibles, voire mortels !

Ajoutons à cela les chiffres et études protégées par le secret industriel mais avalisés par des organismes publics (ex: EFSA), dont la sphère privée ne publie que la facette qui l’arrange au moment opportun, et le financement de la recherche et de ses études largement polluées par des spécialistes à la solde des grands groupes : on obtient ce refus dogmatique de la remise en question y compris face à des taux de pathologies dans les pays développés (cancer, parkinson, etc …) incontestés (organisme officiels comme le CIRC) mais totalement inexplicables avec l’état actuel de « la science » (ou ce qu’il en reste …).

Le bal des faucons.
Alors comment en est on arrivé là ? L’argent en jeu, comme expliqué plus haut, explique en partie cette dérive insensée ; nombre de conseil municipaux auront parfois voulu réaliser un tour de passe-passe éléctoral immédiat en abaissant les impôts grâce au « Droit d’Entrée » payé (sans avertir leurs administrés que la facture d’eau serait injustement salée ensuite …).

Mais il y a mieux : quand elle n’aveugle pas la recherche (corruption, pression, désinformation) et les associations indépendantes (F.N.E., Action contre la faim, Croix Rouge, Solidarités, Secours Catholique, …) ou achète les futurs chercheurs en créant des « universités » financées et acquises d’avance (Montpellier, Strasbourg, Limoges, Nancy, Lyon, Toulouse, étranger), l’industrie privée s’immisce dans le monde politique.

Sous la forme du lobbying (C.E. par exemple) et du sponsoring (colloques et sommets de l’eau), évidemment, mais aussi par le biais de transfuges dont la liste est trop longue pour être exhaustive : Eric Besson, Dominique de Villepin, Joachim Bitterlich, Rainier d’Haussonville, Stéphane Richard, Gérard Payen (etc …) sont autant d’exemples de personnalités tour à tour responsables politiques et privés dans l’industrie de l’eau.
Les conflits d’intérêts, les consultants bidons et les méthodes douteuses d’un mélange des genres fleurant bon le pognon ne font ainsi absolument aucun doute.

Pis : les fruits de ces pratiques ont donné des ailes à ces grands groupes, leur permettant d’atteindre de nouveaux marchés d’expansion locaux (tri et ramassage des ordures, cantines scolaires, etc …) et mondiaux : Afrique (du Sud et Kenya), Uruguay, U.S.A., Bolivie, Argentine, Allemagne … voilà quelques clients que la « carte de visite » de l’eau française (considérée alors comme une des meilleures du monde) a convaincus avant que les problèmes ne surgissent très récemment.

Retour au public !
Depuis quelques années, à la faveur de la fin des contrats d’avec le privé, nombre de communes ont réalisé ou prévoient le retour en régie publique et locale : Paris, Quimper, Landerneau, Morlaix, Montbéliard, Cherbourg, Besançon, Brest, Montreuil et Mantes ainsi que nombre de villes en I.D.F. historiquement muselées par le SEDIF …
Le même mouvement s’annonce dans énormément de grandes villes américaines du nord comme du sud, mais aussi africaines ou européennes, Allemagne en tête comme par exemple à Munich.

Du côté de la population, la demande en agriculture bio et le retour à une consommation raisonnée (notamment de viande et de biens) semblent croître et permettre la création d’une alternative écologico-économique que des volontés locales soutiennent parfois, ou devraient soutenir. Le mouvement est en tout cas en marche.

Point de vue scientifique, même si le chemin à parcourir semble encore long, les consciences progressent et on est en voie de faire admettre que les théories toxicologiques sont inadaptées aux substances pseudo-hormonales, tandis qu’une recherche indépendante et financée par le public semble plus nécessaire que jamais.

Ce n’est donc pas par hasard si les deux documentaires qui ont servi de source à cet article sont malmenés : le premier est attaqué en diffamation par Veolia, tandis que le second subit une campagne de dénigrement piloté par l’industrie pesticide et l’UIPP. Quand de gros intérêts sont en jeux, l’éthique, la santé, l’environnement semblent tout à coup étrangement lointains …

Sources potables :
http://www.dailymotion.com/video/xh0nme_water-makes-money-fr-1-5_news
http://www.dailymotion.com/video/xh3a39_notre-poison-quotidien-1-6_webcam