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Notre Dame des Landes, retour sur le no man’s land

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Revenons quelque peu sur ce no man’s land du bon sens et de la démocratie qui occupe obstinément -et légitimement- l’actualité depuis plusieurs mois maintenant. Le projet se tient-il sur le fond ? Les occupants sont-ils vraiment ce qu’on nous en dit ?

De longue date

Le projet d’un aéroport du grand-ouest, et l’organisation de ses opposants, remonte au années 60. Déjà à l’époque de son inscription au plan d’urbanisme, en 1974, l’inutilité d’un tel équipement avait fait grand bruit dans la presse, notamment locale, qui dénonçait déjà les ambiguïtés du parti socialiste et la nébulosité du projet. Celui-ci sera pourtant relancé en 2003 sous un gouvernement de droite, celui du Président Chirac, qui le déclarait d’une « utilité publique » assez peu étayée. Il faudra attendre 2008 pour qu’en soit publié au J.O. le décret de réalisation qui nous amène à la période actuelle.

PéPéPé

Selon la coutume en matière d’arrangement, on a finit par procéder à un Partenariat Public Privé (dont on sait grâce à des dossiers comme l’eau potable qu’il socialise des dépenses grandissantes au seul bénéfice privatif) auquel s’ajoute ici un appui politique régional majeur : celui de Jean-Marc Ayrault, Maire de Nantes au moment de la signature du projet entre Vinci et les collectivités locales en 2010. Il n’aura échappé à personne qu’il en a fait une affaire personnelle quand à défendre sa crédibilité politique depuis qu’il est devenu le premier Ministre très critiqué qu’on connaît, décrié jusque dans son parti dont les militants (d’Ille-et-Vilaine et d’ailleurs) demandent l’arrêt du projet ou au moins sa mise en débat … d’autant que ce dossier a été démonté par un cabinet néerlandais (CE Delft) qui a démontré que les chiffres ont été truqués et que le projet est déficitaire !

Mais l’affaire a ses raisons …

… que la raison ignore. En effet : l’argument principal pour justifier les dépenses somptuaires (près de 600 millions d’euros dont la moitié d’argent public, sans aucune marge de dépassement prévue) est que l’aéroport actuel de Nantes, l’Atlantique décoré meilleur aéroport européen en 2011, arriverait à saturation dès 2015 selon des experts. Les premières études « paritaires » sur son extension (menées par le SMEANDDL) n’ont à priori pas donné satisfaction : trop proche des habitations, de forêts protégées (Natura 2000) et du lac de Grand-Lieu voisin. Mais ces arguments urbanistiques et écologiques ne doivent pas faire oublier que l’implantation régionale d’Airbus, qui souhaiterait un aménagement à même de pouvoir accueillir son A380, joue un rôle économique et politique puissant sur les acteurs et décisionnaires locaux. Il faut aussi noter 2 conflits d’intérêts notables : Bernard Hagelsteen préfet à l’époque de la signature et Nicolas Notebaert conseiller technique du PS favorable au projet ; tous deux ont été employés par Vinci ou une de ses filiales depuis lors. D’où que d’autres possibilités, que l’on va évoquer plus loin, ont été balayées d’un revers de main – intéressement oblige.

Contrepartie du projet

Or, le transfert des activités aéronautiques du site d’Atlantique à NDDL verrait par ailleurs le sacrifice d’environ 50 exploitations agricoles, chacune de 100 hectares en moyenne. Seules une dizaine seraient transférées ailleurs, et toutes les autres indémnisées à des tarifs assez bas qui ont donné plus ou moins de satisfaction à leur propriétaires. Et de toute façon, les résistants n’ont pas eu le choix puisqu’ils ont été expropriés par décision de « justice » ; leur unique consolation est d’avoir obtenu un peu plus d’argent que ceux qui ont accepté d’office, même si ce n’était pas leur motivation première. In fine, ce sont donc environ 600 emplois agricoles nets qui sont ainsi détruits, puisque les emplois crées à NDDL seraient au fur et à mesure détruits à Atlantique – qui fermerait à terme.

Sons de cloches

Et si l’on creuse un peu, non content du déroulement de ce plan bien rodé, on entend d’autres voix s’élever ; déjà, il semblerait qu’Atlantique soit très loin de la saturation, et des avis dissidents se font entendre quand aux projections sur l’évolution du trafic. Ensuite, vu les coûts (financiers, sociaux, agricoles et environnementaux) engagés, le doute subsiste sur l’opportunité d’abandonner un aéroport pouvant accueillir 3,5 millions de voyageurs par an pour le remplacer par un nouveau supposé en accueillir 4 millions (soit seulement 500 000 de plus). Enfin, il y avait d’autres possibilités cumulables et moins coûteuses, comme de nouvelles liaisons ferroviaires (vers Angers, Pornic ou même Bordeaux) et/ou une piste alternative à Atlantique et/ou un dégraissage des activités vers l’aéroport d’Angers (largement sous-utilisé) et/ou une réorganisation des flux et des pistes. Toutes ont été repoussées pour favoriser uniquement celle promue par le groupe Vinci et l’actuel premier Ministre.

Démocratie ?

Des ONG (comme Greenpeace) et des politiques, notamment écologistes mais pas seulement, s’opposent ouvertement à ce projet quand ils ne demandent pas un débat public comme F. Bayrou ou J.L. Borloo, pouvant même déboucher sur un référendum régional sur la question – puisque les enjeux sont avant tout locaux. Si l’on regarde avec des pincettes du côté des sondages (qui ne valent jamais élection, ceci dit), on y voit une large tendance contre la construction de nouveaux aéroports en France y compris au niveau régional, d’autant que les prévisions de trafic aérien au niveau mondial sont certes en explosion (doublement prévu d’ici à 2030) … mais ne donnent aucune indication ni de la soutenabilité en terme de ressource, ni du prix des carburants à l’horizon 2020 dans un contexte de pouvoir d’achat déjà dégradé.

Crise du transport

Car il faut effectivement rappeler que le prix du baril et la raréfaction annoncée du pétrole aidant, le transport aérien est en crise ; ainsi, l’Iata regroupant 250 compagnies (soit la quasi-totalité du secteur) a notifié l’augmentation de 34% de ses coûts en raison d’un tarif pétrolier 20% au-dessus de ses prévisions. Les marges réalisées sont donc inférieures aux prévisions mais les actionnaires n’étant pas prêts de renoncer à leur part, les risques de faillites (comme en Espagne où l’on songe à fermer des dizaines d’aéroports) sont en vues si cette tendance perdure. D’où qu’étant donnée la situation sociale et monétaire critique en Europe (comme ailleurs dans le monde), il y a fort à parier que la demande ne pourra pas suivre une offre dont les prix exploseraient pour maintenir la rentabilité ; meilleure preuve, la plupart des grandes compagnies s’alignent actuellement sur le low-cost pour ne pas perdre de part de marché. On se base donc sur des conjectures totalement théoriques, sinon irréalistes, pour justifier des projets comme NDDL censés subvenir à une croissance (pour l’heure incertaine) des besoins !

Défi scientifique ?

Les ingénieurs en Aéronautique s’arrache pourtant les cheveux (quand ils en ont) sur cette équation : comment baisser toujours plus la consommation de carburant ainsi que le coût de fabrication et de maintenance des appareils, afin de maintenir l’actuelle croissance du trafic (tendance moyenne de 4% par an ) et avec elle l’image « bankable » du secteur ? C’est en effet un secteur pour lequel l’investissement et la commande sont absolument vitaux : pour tenter d’atteindre les objectifs, il faudrait investir par milliards dans la recherche, qui compte sur de grands emprunts et sur l’attractivité vis-à-vis du marché spéculatif. Car la concurrence sera rude : l’américaine, ennemie historique, mais également l’asiatique et notamment chinoise qui arrive à grand pas et en force.

Mais revenons au terrain !

Et dans la gadoue de la Zone A Défendre : le week end dernier a encore vu la mobilisation de nombreux artistes pour un FestiZad musical au cœur des marécages tenus par les opposants, qu’on dénombre de quelques centaines à plusieurs dizaines de milliers les périodes d’affluence. Soutenus par la sphère militante (exemple : Alternatifs, Confédération paysanne, etc) ils tiennent le pavé malgré un déferlement de police/gendarmerie/CRS permanent : des milliers d’hommes en arme et armure, hélicoptères et camions en fanfare, gazages et arrestations quotidiennes, interventions souvent disproportionnées ayant déjà fait des dizaines de blessé(e)s (notamment par éclats de grenades « assourdissantes ») parmi les civils désarmés et non-violents dans leur immense majorité. Mais bien sûr, le temps passant, la fatigue aidant, le ras-le-bol menaçant, certaines personnes ont perdu (quand ils en avaient) tout confiance dans les pouvoirs publics et politiques, et toute patience vis-à-vis de la moindre apparence d’autorité institutionnelle et jacobine – ce que signale et déplore même le syndicat policier Union Unité SGP !

Et les médias ?

Conséquemment une image partielle et caricaturale des opposants (crasseux, violents, alcooliques, etc) est régulièrement véhiculée dans les médias y compris satiriques (exemple : Le Petit Journal du 28/11/12) quand on ne fait pas planer le doute sur leur dangerosité (exemple : affaire des 2 fugueuses largement relayée par la presse). Les journalistes s’étonnent donc de l’accueil mitigé sinon hostile qu’ils reçoivent sur place par des activistes qui prétendent tous et toutes se prénommer « Camille » (multigenre à consonance révolutionnaire) autant par défiance que par symbolisme. Les occupants ont bien en tête qu’ils ne peuvent pas se dispenser de communiquer vers le grand public pour élargir les soutiens et faire connaître leur cause, mais ne peuvent avoir aucune confiance dans des rédactions qui les dépeignent systématiquement à leur désavantage sans jamais aller fouiller dans les tiroirs vaseux de ce dossier hautement politique. A ce titre, les reportages les plus instructifs et réalistes proviennent de militants eux-mêmes venus rencontrer les Zadistes, bien loin des affrontements télégéniques recherchés par les « grands »médias.

Justice partout !

Sur les aspects juridique, le bilan n’est pas meilleur : les recours ont été rejetés quand ils n’ont simplement pas aboutis. Les expulsions ont parfois été retardées mais elles ont toujours été prononcées. La justice locale tout comme le conseil d’État ont favorisé la décision politique et le groupe Vinci – au nom du bon droit, bien sûr. Les condamnations d’opposants ont également été crescendo avec la pression politique, médiatique et policière sur place et ailleurs, provoquant une réponse de plus en plus excédée des occupants de la ZAD. Cela a commencé par du sursis et même jusqu’à un an ferme pour quelques barricadés en octobre et novembre dernier. Avec l’épisode récent, qui aurait vu des gens « armés » mener des « actions violentes » vis-à-vis de gendarmes (donc aucun n’a été blessé soit dit en passant) au lieu-dit « Le Rosier », le tribunal de Saint-Nazaire vient d’ordonner à nouveau l’expulsion et la destruction des cabanes des opposants. Ou comment faire pourrir la situation et laisser monter la violence (des 2 côtés !) pour justifier l’injustifiable (sinon injustifiable !) aux yeux de l’opinion publique …

[alert type="blue"]Publié par six_toyens dans Actualutte n°36 – Mai 2013[/alert]