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Notre Dame des Landes : la campagne du vrai changement

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Par Johan Badour et Alan ar Cloarec. Photos par Chloé Lavalou

Samedi 17 novembre, dans la campagne de la ZAD les champs sont nappés de brouillard, mais les esprits eux sont d’une grande clarté. C’est à travers cinq kilomètres de routes sinueuses que les opposants au projet d’aéroport marchent dans une ambiance festive et bon enfant, pour finalement arriver au lieu d’occupation et de reconstruction. Quoi qu’en disent les médias qui tentent d’effrayer la population à travers des images de jeunes cagoulés, c’est bien pour reconstruire qu’ils sont tous là. Reconstruire ce que le gouvernement, et ses chiens de gardes à la matraque facile aiment à détruire. Ils détruisent, et bien nous reconstruisons.


VINCI a le droit avec lui, et bien le peuple est avec nous. Voilà le message envoyé depuis Notre Dame des Landes à tous les oligarques parisiens. Mais la désinformation médiatique fait son office, et à ce titre on oppose « squatteurs » et « paysans », « locaux » et « arrivistes ». Rien de tel samedi 17 novembre, juste une symbiose révolutionnaire de vieux, de jeunes, de ruraux, de citadins, de familles. Une véritable diversité dans l’unité retrouvée d’un peuple qui réalise l’impasse du système capitaliste, incarné aujourd’hui par ce projet inutile d’ayraultport. Exemple cinglant : sur les quelques secondes que France 2 a accordé à la manifestation, on retient plus l’image d’un jeune en noir crachant sur la caméra qu’autre chose. Libre à vous de penser que son geste était injustifié. Pour ma part, je pense que cracher à la figure de ceux qui tous les jours crachent sur la vérité est tout à fait légitime. De plus, sans ces jeunes militants qui depuis des jours dorment dans la forêt et tiennent les barricades dès le petit matin, à quoi ressemblerait la ZAD aujourd’hui ? Surement pas à cette magnifique terre d’espoir ou depuis des mois, et pour encore très longtemps, on se bat pour que les terres qui nous nourrissent ne soient jamais recouvertes de béton. C’est plus qu’un aéroport qui fait aujourd’hui vivre ce combat, ce sont deux mondes qui s’affrontent, les résidus du passé font face aujourd’hui aux étincelles de l’avenir. Et c’est chargés d’un immense respect que nous félicitons les opposants à ce projet, car ce combat est peut être sans en avoir l’aire, un des plus ambitieux de que nous connaissons.

Le 14 Novembre avait lieu une grève générale à l’échelle européenne. Celle-ci avait pour leitmotiv la dénonciation des plans d’austérité visant à la réduction des déficits qui s’abattent sur la plupart des pays européens. Ce rassemblement, à l’image des mouvements sociaux qui secouent l’Europe depuis 2008, est symbolique de l’impasse dans laquelle se trouvent nombre de mouvements d’extrême gauche aujourd’hui. En effet, ces derniers se contentent généralement, et souvent dans le meilleur des cas, d’une dénonciation quelque peu stérile des abus du capitalisme. Tous les maux de notre société seraient portés par un référentiel néo-libéral porteur de valeurs dangereuses à la bonne santé de l’économie et faisant une place centrale à la finance. Ainsi, nombre de figures de la gauche « radicale » revendiqueraient une mise au pas de la finance, du travail pour tous, une moralisation de l’économie…un retour à un capitalisme de bon père de famille en quelque sorte. Cette vision tronquée de la réalité est à la fois aveugle et dangereuse. En stigmatisant le rôle de la finance dans la crise actuelle on s’empêche de penser le capitalisme dans sa globalité. En analysant la situation actuelle comme issue des dérives de la finance et non pas comme une crise de la reproduction de valeurs on s’empêche de porter une analyse vraiment critique du capitalisme.

Il est intéressant de constater que la finalité du rassemblement de Notre-Dame-des-Landes était toute autre. Il s’agissait bien entendu de dénoncer l’inutilité du projet mégalo et juteux d’Ayrault et de VINCI, mais pas seulement. Le mot d’ordre étant le rejet total de « l’Ayraultport » et de son monde. C’est donc ici l’Etat capitaliste qui est attaqué dans ses fondements. Le rejet d’une société marchande régie par le diktat de l’argent et du profit, du travail salarié, du fétichisme de la marchandise, des relations désincarnées et de la « démocratie » représentative prennent le pas à une indignation, certes nécessaire mais absolument insuffisante face aux pseudo-dérives du néo-libéralisme. On aperçoit donc ici le fossé entre deux mouvements catalogués tous deux de « gauchistes » par les médias mais qui ne se rejoignent finalement qu’au travers d’un socle de valeurs communes. Il parait néanmoins intéressant de s’interroger sur la postérité d’un tel mouvement.

Dans la foule qui se massait samedi dans un champ voisin à la ZAD, on pouvait entendre parler italien, espagnol, allemand… Pourquoi avoir fait des milliers de kilomètres pour rejoindre la campagne nantaise et soutenir un mouvement local de lutte contre un projet d’aéroport ? Justement parce que l’aéroport n’est pas l’objet du mouvement. C’eût pu être une autoroute, une prison, une ligne de train à grande vitesse dont il aurait été question ici, cela n’a pas d’importance. Que ça se passe en Argentine, en Andalousie ou dans la Loire Atlantique ne change rien. L’aéroport est un symbole. Le capitalisme son promoteur. C’est pour cela que des collectifs de soutien ont vu le jour dans de nombreux coins de France et que l’on a pu entendre intervenir des italiens en lutte contre le projet de liaison ferroviaire transalpine Lyon-Turin. Le capitalisme est total, que l’on soit dominant ou dominé, possesseur ou possédé,  du Sud ou du Nord, avancé ou sous développé , on est parti intégrante de ce système et il nous appartient où que l’on soit, qui que l’on soit, de le rejeter dans ses fondements les plus profonds. Là se joue toute la dualité d’une critique à vocation révolutionnaire. C’est au niveau local que s’initie la lutte mais c’est à l’échelle mondiale que s’analysent ses conséquences. Un monde globalisé est un monde interdépendant. Ce qui se joue à Notre-Dame-des-Landes n’est pas qu’un simple aéroport. Loin de là.