Maurice Levy : étude de Texte
Voilà que Maurice Levy, à l’image de Warren Buffett et sa tribune dans le New York Times, se propose que seize des plus riches contribuables français mettent la main au porte monnaie pour participer, à travers un impôt plus également réparti, au redressement de la nation. Il a commis cette intervention sur le site du « Monde », et l’analyse vaut le pesant de cacahuètes…
Quel beau geste, élégant, fraternel, coopératif, participatif, qui montre que, comme disait si bien nicolas sarkozy qu’en ces temps de crise « même les riches doivent payer » (lapsus révélateur). Enfin, les riches vont nous aider à redresser le pays, plutôt que s’abriter derrière les niches fiscales, les évasions de capitaux, ou les entourloupes en écriture de bilan, dénichées par leurs comptables fiscalistes. Enfin ils paieront une part au moins égale à la notre en proportion de leur déclaration….
Sauf qu’en y regardant de plus près, l’ardoise va bien être payée par les mêmes, c’est à dire la grande foule des vaches à lait que nous sommes. Dans cet article, tout ce qui sera « en bleu italique entouré de guillements » sera en fait une citation du contenu de la tribune de M Levy dans le Monde… A vous de juger !
Les vilains empêcheurs de profiter des ronds :
D’abord rechercher les coupables : l’Etat vient de subir un « nécessaire rappel à l’ordre, brutal et impératif, de remettre de l’ordre dans (ses) finances publiques ». A qui la faute ? C’est que depuis les années 1970, nous nous sommes « adonné(s) à l’addiction au déficit, à la dette, ajoutant ainsi à l’idée que les Français ont de l’Etat-providence et de l’assistanat : L’Etat y pourvoira ! ».
Profiteur de travailleur qui après avoir travaillé 37 ans pour un smig, s’octroie royalement une retraite, pour laquelle il a cotisé, qui doit tourner autour de 1000 € pour les mieux lotis.
Ne cherchons ni du côté de la fraude fiscale qui nous coûte 30 milliards d’euros chaque année, ni du côté des niches fiscales qui permettent à 75 Milliards d’euros de s’envoler dans des coffres paradisiaques, ni les 4 milliards d’exemption de charge aux entreprises, ni entre autres la réduction d’impôts aux ménages les plus riches qui, depuis 2000, se chiffre à 30 milliards. Cette liste n’est pas exhaustive et pourtant les déficit se verraient rien qu’avec ces exemples réduits comme peau de chagrin sans qu’il soit besoin de sabrer les services et le social par solidarité.
Le chevalier blanc et le dragon impôt :
Ensuite et pour clarifier de fait toute chose, cette égalité violente devant l’impôt ne serait qu’une « contribution exceptionnelle des plus riches, des plus favorisés, des nantis », mais surtout « calculée dans des proportions raisonnables », il ne faut pas faire fuir les riches à l’étranger quand même en les imposant selon les mêmes critères que tout le monde : « Il faut que ce soit suffisant pour que ce soit notable, que les gens perçoivent qu’il y a un véritable effort, et il ne faut pas que ce soit décourageant au point qu’un certain nombre de personne profiterait de ça pour partir ». Donc une taxation sur un impôt pour faire comme les pauvres, mais pas trop vu que les riches risquent de partir évader ou nicher fiscalement dans un pays étranger accueillant (où on a déjà de beaux coussins soit dit en passant).
La solidarité payée par les ouvriers coûterait cher aux actionnaires :
La solidarité c’est fini, cela coûte cher à l’Etat, qui doit placer ses billes ailleurs.Le chômage endémique imposé par les délocalisations induites par le modèle ultra-libéral, a vu en effet se réduire le nombre de cotisants aux caisses de solidarités sociales, chomâge, retraite, santé. Il faut quand même savoir que 100 000 chômeurs en moins c’est plus d’un milliards d’euros qui entrent dans les caisses de retraite par an, plus l’apport en cotisations sociales pour la santé et le chômage. Du travail pour les 5 millions de chômeurs apporteraient 65 milliards d’euros aux diverses protections sociales. Il suffit pour cela de tout baser sur une production de qualité, localisée sur le lieu de consommation (la France), et de payer impôts et charges sociales comme tout le monde, et non de verser 35 milliards (2009) de dividendes aux actionnaires.
Mais « pendant toutes ces décennies nous avons vécu au-dessus de nos moyens, défendant bec et ongles un modèle que nous n’avions plus les moyens de financer », il nous faut donc s’ « attaqu(er) à la réforme de nos systèmes sociaux, de nos administrations, des coûts structurels de notre pays, dans toute leur profusion et leur complexité ». Il reconnait quand même au passage (pour le sabrage des retraites et du service public) qu’un effort du gouvernement a été fait « en ce qui concerne la réforme des retraites et le non-remplacement d’un fonctionnaire partant sur deux ».
Donnant donnant, mais eux moins … :
Le chantage clair et sans ambigüité de la part des magnats du CAC40 est qu’ils veulent bien qu’on taille exeptionnellement dans leurs profits, à condition qu’on sabre vertement les charges et acquis sociaux qui grèvent depuis leur création les profits possibles. En effet « il s’agit autant de couper dans la dépense que de raboter ou supprimer des niches fiscales », ce qui en clair signifie : moins de social, moins de services et vous pourrez supprimer sans vagues « des niches fiscales ». Il n’est pas questions ici de la fin des paradis fiscaux et donc de l’évasion fiscale, sport national des grandes entreprises cotées en bourse, ni de la fin des sociétés écrans qui masquent la fuite des capitaux et donc des impôts liés, ni de faire remonter le taux d’imposition de 8% à 13% en moyenne vers les 30% normalement attendus comme pour les PME. Juste de supprimer « des » niches fiscales, pas « les » niches fiscales.
Bonheur et argent, modèle « philosophique » :
Bien qu’il lui « paraî(sse) indispensable que l’effort de solidarité passe d’abord par ceux que le sort a préservés », car dans « la grande majorité (l)es dirigeants méritaient leur rémunération, et pour certains plus encore », il préconise de taper plus large. En effet ce ne sont pas seulement les dirigeants mais « tous ceux qui peuvent par leurs moyens participer à ce nécessaire effort national ». A qui ferait il allusion dans cette assiette floue ? Aux cadres plus nombreux donc plus « rentables » via une surtaxation, ou aux hommes politiques eux-mêmes ? Car en clair il met des conditions drastiques à l’application de la rigueur pour les grandes sociétés.
En passant, notons la portée philosophique du modèle humain présenté par M. Levy quand à la réussite de la vie et de la notion de bonheur : « … il est normal que nous, qui avons eu la chance de pouvoir réussir, de gagner de l’argent … », sous-entendu que réussir sa vie nécessite gagner de l’argent … ou avoir une rollex à 50 ans …?
Esclaves d’une dette illégitime née de la spéculation boursière :
Il préconise donc une « une vraie, une sérieuse, une profonde réforme de nos structures administratives et de nos systèmes sociaux, pour pouvoir à l’avenir réduire drastiquement nos coûts afin de pouvoir servir la dette ».
Sauf que la dette est illégitime.
Si on se réfère à l’excellent ouvrage de François Chesnais (Les dettes illégitimes : quand les banques font main basse sur les politiques publiques ») on s’aperçoit que les mécanismes financiers et bancaires à l’origine de la dette dite souveraine sont « des dettes odieuses » et selon Le Center for International Sustainable Development de l’université McGill de Montréal «celles qui ont été contractées contre les intérêts des populations d’un État, sans leur consentement et en toute connaissance de cause du côté des créanciers».
Les placements effectués par les états, les mairies, les conseils régionaux, et certains services publics comme les hopitaux par exemple, l’ont été avec des produits dont les banques ont caché la toxicité (dont elles ignoraient pour certaines leur provenance même !).
De ce fait il n’est pas nécessaire, comme pour la « dette odieuse » des pays du sud, d’honorer cette dette.
Mais non seulement M. Levy veut « servir la dette » (sic), mais il veut « la réduire au besoin et en complément, par un programme de privatisation dédié exclusivement au désendettement ». En clair, honorer cette dette illégitime par des privatisation en masse des services d’Etat, sociaux, santé, éducation, recherche …
Dégager plus de profits pour servir la France :
Et comble du cynisme et du mépris ultra-libéral pour le bien commun, il propose de « réduire sensiblement les coûts des charges qui pèsent sur les salaires afin de regagner le terrain perdu et se donner les moyens de créer de la richesse et des emplois dans notre pays »
Non content de délocaliser afin de dégager de plus grosses marges grâce aux charges salariales plus faibles, il demande clairement à l’Etat de baisser les charges sur les salaires contre le risque de délocalisation pour gagner en compétitivité. Pourquoi dans ce cas ne pas augmenter les salaires et les protections par solidarité dans les pays délocalisés pour rééquilibrer les prix de revient ? Mais qu’en diraient les actionnaires ?
Et comme Churchill durant la seconde guerre mondiale, il nous promet des larmes et du sang, car les demandes des grandes entreprises seront « celle(s) d’une action forte, certes difficile et probablement encore pénible pour beaucoup ».
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