Le Travail est désormais hors la Loi …
Saint-Martin et l’ensemble des Caraïbes (jusqu’à la Floride) ont eu à endurer Irma et autre Maria. Leurs dégâts sont immédiats, ravageurs, visibles et médiatisés. Le président, en premier, a surfé sur cette catastrophe pour se vendre en pragmatique homme de terrain devant les caméras avides.
Mais il en est une autre plus extrême dans son application et ses effets, plus pernicieuse car nous n’en mesurerons les impacts qu’au fur et à mesure des années … voyons quel doux nom, féminin lui aussi (la misogynie ordinaire n’ayant pas de frontière), porte cette nouvelle nuée destructrice ? Celui, qui sonne très élément de langage, de : Réforme !
Car, oui, la voilà : le petit Macron aux pieds d’argile, élu avec un socle ultra-minoritaire de personnes en âge de voter, signe actuellement d’un air royal ses 5 ordonnances réduisant le Code du Travail et, par suite, les droits des travailleurs pour donner encore plus de pouvoir aux patrons dominants qu’ils n’en avaient déjà.
Il réalise ce projet néo-libéral dans un total mépris de toute forme de débat démocratique, sans consultation ni populaire (ça on s’en doutait, le référendum étant utopique dans un régime ultra-présidentiel …) mais pas non plus ni députaire ni sénatoriale – instances dont la « représentativité » plutôt discutable présentait pourtant un filtrage suffisamment élitiste.
On aurait un Gattaz ou un Bolloré au pouvoir qu’on n’aurait pas eu droit à une autre anti-politique ; oui, car c’est bien là tout l’inverse du « politikos » – au sens de la chose publique, ou de la recherche de l’intérêt du plus grand nombre – que ce à quoi on assiste ici. Jamais le gouffre entre la classe « politique » et les classes dominées n’aura été aussi béant qu’en ce début de quinquennat qui s’annonce calamiteux.
En effet, c’est ni plus ni moins qu’un agenda libertarien de privatisation intégrale avec son cortège de baisse des protections sociales, qui nous est déroulé et imposé ici, sur tous les aspects possibles et imaginables par la conjonction d’intérêts cyniques bien entendus de la finance internationale et du patronat exploiteur – et donc fainéant au sens direct (c’est à dire : qui ne produit rien mais utilise le travail des autres).
Qu’on en juge : baisse des indémnités prud’hommales, facilitation des licenciements et plan dits « sociaux » (sic), moins de temps pour porter plainte, moins-disant des garanties en faveur de l’accord local d’entreprise contre les accords de branche, le syndicat relégué à de la figuration, CDI moins protecteur, réduction des instances pro-salariales, etc.
C’est un fait : il n’y a absolument aucun aspect positif pour les « employés » (ou disons plutôt : exploités !) dans l’ensemble des mesures imposées par ces ordonnances, aucune contrepartie qui vienne contrebalancer la porte ainsi ouverte à tous les abus patronaux qui seront par là normalisés voire légitimés puisqu’encore moins aisément contestables.
Le gouvernement et sa cour communicante voudront peut être faire valoir leur injonction à faciliter le télétravail … mais comme pour leurs appels (dans le désert) à baisser les loyers, les décideurs ne sont pas ceux qui y ont intérêt ! Il y donc fort à parier qu’on ne verra aucune baisse de loyer tout comme aucune généralisation du télétravail au-delà de l’effet d’annonce, tandis que l’ISF sera par contre très concrétement réduit.
Ce mépris décomplexé des urnes comme de la rue devrait créer une vague sans précédent d’indignation. Les mobilisations devraient aller croissantes, les grèves devraient se propager comme feu de paille. Alors, certes, on aura bien vu un front syndical relativement uni ces derniers jours – si l’on oublie les turpitudes de la tête de FO, J.C. Mailly, qui semble oublier qu’ils doivent représenter leur base.
Et le cortège de tête, toujours vivace, aura pu s’étonner positivement de la conjonction d’une « grève » déguisée en « arrêt maladie » de plus de 2000 CRS (selon la police comme les syndicats, pour une fois unanimes) – corps qui renâcle pourtant peu à se laisser instrumentaliser dans son rôle patent de contrôle social au prétexte de l’urgence antiterroriste, y compris lorsque cela débouche sur des mutilations (oeil crevé, viol à la matraque, etc) ou des morts (Rémi, Adama, tant d’autres …) que la justice ne condamne qu’exceptionnellement.
Mais on s’étonne : jusqu’où faudra-t-il que les choses aillent pour en arriver au point de rupture ? A quel régime indigne faudra-t-il qu’on nous cuisine pour qu’on fasse bloc ? A quel moment l’Histoire pourra-t-elle basculer dans un refus généralisé, sans plus de concession ? Sans réponses claires à ces questions, on en reste à prédire avec crainte et dégoût le prénom féminin, très probablement océanique, de la prochaine tempête que l’incurie des « élites » nous réserve – bien qu’ils s’en défendent.
Voilà pourquoi l’heure est si noire, face à un constat décidément dramatique, et les rêves si rouges, autant de force vitale que de colère contenue. Est-ce dans la juxtaposition historique de ces deux couleurs que viendra le salut ? Dans notre situation actuelle, c’est une vague lueur d’espoir, certes ténue mais qui est toujours bonne à suivre, telle une boussole dans le brouillard idéologique.
Photos : Brice Le Gall et Serge D’ignazio