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Quelques réalités sur la franc-maçonnerie

Elle a une réputation de société secrète, sinon de lobbying défensif des intérêts de ses membres, voire de gouvernement parallèle et même de secte satanique pratiquant des rites sacrificiels, sexuels ou de cannibalisme (!). Rien que son nom alimente les théories les plus délirantes depuis 3 siècles, jusqu’à aujourd’hui sur divers sites et dans divers courants conspirationnistes voire réactionnaires. Qu’en est-il réelemment ? Quelle est l’histoire de cette mouvance ? Quel fonctionnement et quelles valeurs l’animent-elle ? Quelle influence a-t-elle aujourd’hui ? Bref, apportons un peu de réalité face aux fantasmes.

Historique

La FM est originaire des loges dites « opératives » : il s’agissait de réunions, généralement le soir, des bâtisseurs (« francs », car exemptés d’impôts de par leur fonction) dans un espace en bordure de chantier afin de faire le bilan, réfléchir, discuter, améliorer le travail mais aussi de philosopher, échanger, nouer des liens – voire manger, boire et festoyer. On en retrouve des traces en Écosse au 14ème siècle. Par la suite, les loges dites « spéculatives » essaiment toute l’Angleterre, dont les principales à Londres au début du 15ème siècle. Elles réunissent désormais divers métiers dans toute la société, y compris des fonctions plus intellectuelles – dites « acceptées ». Dès lors, la FM va évoluer vers davantage de spiritualisme dans une lignée, inspirée des Lumières, évoluant généralement au-dessus du clivage des religions et de l’athéisme – même si une partie de son symbolisme ésotérique a des racines clairement chrétiennes et hermétiques. Au cours du 19ème siècle, la FM va apporter son influence notable, mais pas toujours déterminante, et surtout son esprit de réunion citoyenne dans les grands changements de société en Europe et aux Etats-Unis naissants. Ses membres se situeront souvent du côté révolutionnaire, parfois du côté conservateur, ou même des deux côtés à la fois ; en tous cas, la FM tentera le plus souvent de plaider le compromis républicain pour limiter les conséquences des conflits, un peu à l’instar de ses apports à la construction juridique (dont beaucoup de figures ont été maçonnes jusqu’au siècle dernier) dans les pays occidentaux.

Par exemple en France, il est notable que beaucoup de notables et de soldats (des simples troufions napoléoniens aux plus hauts gradés tels Lafayette voire des évêques comme Talleyrand) étaient maçons, alors que le Directoire avait combattu les clubs de toutes sortes par réaction vis-à-vis de la Terreur (période très anti-maçonnique) et des protagonistes primaires de la Révolution française – dont pourtant un nombre important fréquentait jusque 1791 des groupes et/ou des loges généralement anti-royalistes. L’explication est que la FM est une organisation complexe, diverse voire divisée et qu’elle a énormément muté et faibli au tournant du siècle, comme quasiment à chaque période de guerre. D’ailleurs, c’est à l’aune des révoltes meurtrières de 30 et 48 qu’elle prendra plutôt position contre la répression, telle celle de Thiers et ses massacres massifs de communards (dont certain-e-s illustres initié-e-s), jusqu’à l’institution de la 3ème république – dont la FM sera l’une des principales inspirations au niveau de l’amélioration sociale et éducative, ou de la séparation du clergé et de l’état en 1905. On peut aussi noter que la FM, capable d’inclure des personnes de toutes origines sociales et culturelles, rejoindra Zola contre l’antisémitisme facile de l’affaire Dreyfus. On comprendra donc qu’elle se soit faite ennemie à la fois des courants royalistes, des intégrismes catholiques et de l’aile fasciste de l’armée ; de fait, ces 3 sphères rapprochées par le scandale Taxil convergeront en 40 pour tenter la détruire durant la période de Vichy, dépeinte qu’elle sera comme juiverie-complotiste-antipatriote en pleine collaboration revancharde.

Fonctionnement et valeurs

Les fonctionnements varient selon les régions et les tendances interprétatives (« régulières » ou « libérales » notamment). Mais globalement, chaque obédience accueille en ses locaux (ou loge) des ateliers de taille variable (de 20 à 80 personnes en moyenne) qui se réunissent 2 fois par mois (ou plus) à jour fixe, généralement le soir – hors des activités personnelles et professionnelles des adhérents qui sont tenus de n’avoir aucun casier judiciaire. Une réunion, dite « tenue », se déroule par attribution de rôles très définis (orateur, secrétaire, trésorier, maître de cérémonie, etc) selon un rituel très défini (phases, sujets, parole, etc) en présence de symboles plus ou moins explicites (colonne, équerre, compas, astres, damier, pierre, etc) dont les membres vont rechercher le sens au fur et à mesure de leur évolution dans les rangs auxquels correspondent un tablier chacun : apprenti, compagnon et maître – puis plusieurs grades variant d’un pays et d’une obédience à l’autre, régis par des rites divers (français, egyptien ou écossais) souvent dérivés de la constitution d’Anderson. Si toute origine socio-culturelle est admise au sein des principales communautés maçonniques, toutes ne sont pas mixtes. Par exemple les obédiences françaises majeures (Grande Loge et Grand Orient) sont masculines ; mais il existe bien sûr des mouvances pour les femmes (comme la Grande Loge Féminine) ainsi que de nombreux rassemblements mixtes (tel le Droit Humain).

Au niveau international, il existe bien sûr des liens de reconnaissance des grandes loges entre elles, notamment par le biais des rites, des gestes symboliques, des réceptions. Ceci dit, les actions maçonniques concrètes, directes sont le plus souvent très locales et charitatives – et donc moins orientées qu’on ne le penserait à l’endroit des membres en raison d’une certaine éthique. Ainsi, les valeurs promues par la FM sont assez œcuméniques : débat serein et réunion des opposés dans la nuance, modernisation de la société avec respect de la tradition, considération de la diversité et actions philantropiques, libre pensée et spiritualisme dégagé du carcan religieux (surtout après le schisme de 1877) et politicien, etc. Tout cela se déroule dans la discrétion et à une échelle où l’individu s’élève par la remise en question dans une certaine humilité bien cadrée, bien qu’on puisse quitter la FM quand on veut : à l’inverse d’une secte, y entrer est difficile mais en sortir est aisé. Bref, l’intention est de faire progresser chacun tout en reflétant la société, de mener des débats éclairants pour devancer les évolutions, d’être d’avant-garde et de promouvoir une ligne aussi humaniste que possible.

Jusqu’à nos jours

Ce cadre de pensée égalitariste est bien sûr ce qui fonde la détestation de la FM par les courants réactionnaires décrits plus haut. Cependant, les sphères anarcho-syndicales commencèrent à considérer, notamment au début du 20ème siècle, que la FM était devenu trop tiède, pas assez radicale voire même bourgeoise et donc ennemie du point de vue ouvrier (alors aux prémices de ses dérives staliniennes) ce malgré l’union sacrée qui régnait alors. Surtout, grâce à son influence directe sur les grandes décisions politiques par exemple durant le cartel des gauches, la FM (et surtout le Grand Orient) a fini par être considérée -à tort plus qu’à raison- comme un appareil d’État, un quasi-ministère occulte. Même revenue de loin après 45, elle a perdu cette place dans son déclin archaïsant post-68 (dont sa compromission partielle avec la françafrique mitterrandienne) qui en a fait, aujourd’hui, une force secondaire par rapport aux nombreux lobbys et think-tanks bancaires, industriels et idéologiques – pour la plupart tout aussi internationaux mais beaucoup mieux armés à tous les niveaux (financiers, légaux, relationnels, organisationnels) que la FM sur laquelle l’Église a lèvé son excommunication au début des années 80.

Bien loin de l’image élitiste sinon aristocratique qu’elle dégage (alors qu’on estime que seulement 10% des parlementaires en font partie), celle-ci accueille aujourd’hui toutes les difficultés françaises, au premier rang desquelles le chômage qui frappe un pourcentage supérieur de membres par rapport au reste de la société. Bien qu’en Europe les effectifs de la FM soient stables voire en légère hausse dernièrement, au niveau anglo-saxon (qui part pourtant d’un nombre énorme de membres) et mondial la chute est drastique : à peine 3 millions de nos jours contre le double après-guerre ! C’est dire si la FM est une maison un tantinet vieillotte qui, malgré son symbolisme persistant d’inachèvement humble et dynamisant, se cherche une cure de jouvence … meilleure preuve : la plupart des obédiences recrutent désormais sur le volontariat personnel, par exemple via des candidatures internet à l’ère de la communication 2.0, et non plus seulement par une cooptation qui créait le plus souvent un certain corporatisme assez étouffant de l’aveu même de certains initiés. Ces derniers témoignent d’ailleurs, ici et là, de dysfonctionnements qui mettent en relief les limitations inhérentes à la maçonnerie par rapport à ses objectifs et valeurs. Nous concluerons donc ci-dessous en ce sens.

Limites de la FM

Sans prétendre à une totale exhaustivité, nous finirons en citant quelques problèmes internes à cette société civile dont l’image sulfureuse est, comme on l’a vu, largement fantasmagorique. Ce qui revient le plus souvent, c’est une certaine lourdeur hiérarchique une fois dépassé l’échelle des assemblées « bleues » (trois 1ers grades) : des perfectionnements aux consistoires, avec une certaine inclination à régenter les niveaux inférieurs -rendus impuissants à se coordonner d’eux-mêmes- l’ordre contredit un certain nombre de ses principes moteurs (indépendance, ouverture, égalitarisme, etc). Ceci ajouté à la fermeture aux femmes ayant toujours cours, de surcroît pour des raisons absurdes (respect de la tradition ou peur infondée de la séduction corruptrice) indéniablement patriarcales, et l’on comprend mieux que de force novatrice jadis la FM semble aujourd’hui à la traîne – à l’image de son serment contre cou tranché sur parjure. Autre facteur : suite à son retrait partiel des questions politiques déjà explicité, la confrérie (Grande Loge en tête) peut donner le sentiment de n’être plus lié au réel sans la concrétisation de ses principes devenus idéels, ce qui décourage plus d’un membre – d’autant qu’avec les coûts relativement élevés des cotisations (capitation), fêtes (agapes) et accessoires (tabliers, etc), l’engagement spirituel peut s’accompagner d’un budget pas forcément à la portée des plus modestes pourtant nombreux et demandeurs de rapport de force social.

Enfin, il y a évidemment les inmanquables dérives personnelles ou collectives au sein de la FM – mais qu’il ne faudrait pas non plus attribuer à l’ensemble de l’ordre. Certaines personnes avides de gloriole courent ainsi après les titres honorifiques tels des militaires après les médailles, affectés par ce que les frères nomment -non sans ironie- « gradolâtrie » ou « cordonite » ; d’autres ne ratent pas non plus les occasions de s’arroger de petits (ou gros) avantages que cette fraternité peut, comme d’autres ailleurs, leur apporter dans la société tels les pistons, arrangements et autres trafics d’influence qui éclatent parfois en scandale. Et quand ces agissements pourtant réprouvés deviennent plus collectifs, on assiste au clientélisme le plus éhonté dont un nombre notable de fraternelles maçonniques (congrégations corporatistes se déroulant hors des loges et très mal vues par celles-ci) se sont rendues coupables dans les années 80/90 au fric décomplexé et à la corruption généralisée jusque dans la FM – qui n’hésita alors pas à exclure les membres complices et dissoudre leurs loges lorsque nécessaire. Abus de la P2, révélations Méry, détournement Mellick/Tapie, commissions Dassault ou Schmitt, scandale MNEF, Tribunal de Nice, HLM en Île de France, DCN de Toulon, affaire Elf, Mairie de Nîmes sont autant d’exemples d’affaires localisées qui ont malheureusement détériorié l’image de la FM dans son entiereté.

Sources :

Wikipédia FM
La Fayette et l’Amérique
Révolution Française
Maçon célèbres
Rite Français
Maçonnerie française
Hauts grades
Dossier FM
Francs maçons et pouvoir