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Pakistan : Une commission parlementaire entame une enquête sur la dette publique contractée depuis 1985

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Le 27 juillet 2012 à l’Assemblée nationale pakistanaise, le Pakistan Peoples Party (PPP, Parti du peuple pakistanais), qui détient la majorité, et la Pakistan Muslim League (PML-N, Ligue musulmane du Pakistan), parti de l’opposition, se sont accordés sur le principe d’auditer la dette publique du Pakistan. Le président de l’Assemblée nationale, Dr. Fehmida Mirza, a approuvé la formation d’une commission de 12 membres après le vote à l’unanimité de la résolution par l’Assemblée |1|. Syed Kurshid Shah, membre du gouvernement, a porté la proposition, qui a reçu le soutien d’ Ahsan Iqbal, leader de l’opposition. C’est une bonne surprise pour nombre d’entre nous au Pakistan, qui nous nous efforçons depuis plusieurs années de mettre en évidence la nécessité de former un organe parlementaire en vue d’examiner la dette publique du pays.

La résolution parle d’enquêter sur la dette interne et externe contractée par l’État depuis 1985. Le mandat de la commission est donc limité, et ne remonte pas jusqu’à 1947, date de création du Pakistan. La commission a seulement le pouvoir d’enquête sur les emprunts internes et externes contractés ces 27 dernières années par différents gouvernements et régimes. Autrement dit, les prêts réalisés par les trois généraux dictateurs, Ayub Khan (1959-1969), Yehya Khan (1969-1971) et Zia-ul-Haq (1977-1988), ne feront pas l’objet d’un examen pourtant plus que nécessaire.

Bien qu’initialement, Kurshid Shah, le membre du PPP à l’origine de la motion, avait proposé que la période couverte remonte à 1960 afin d’y inclure les quatre régimes dictatoriaux qu’a connus le Pakistan, Ahsan Iqbal du PML-N a appelé au contraire à ne remonter que jusqu’à 1985, date de la venue au pouvoir d’un gouvernement civil sous la présidence du Général Zia-ul-Haq. Après un court débat, l’Assemblée a adopté la motion commune, finalement portée par Ahsan Iqbal.

La commission nouvellement formée, baptisée Commission parlementaire spéciale sur les emprunts internes et externes (Special Parliamentary Committee on Foreign and Domestic Loans) doit mener ses recherches sur les cinq domaines suivants : a) quel gouvernement a contracté b) des prêts de quel montant c) auprès de quel prêteur d) pour quelles raisons et e) à quoi a servi l’argent de ces prêts durant ces 27 dernières années. La Commission, selon ce mandat, doit donc pour chaque prêt déterminer le montant et identifier les noms du gouvernement emprunteur et du prêteur. Le mandat est donc limité ; il devrait être étendu à une période plus longue et inclure l’évaluation du caractère légal ou non des prêts.

Malgré les limites mentionnées ci-dessus, le CADTM Pakistan a accueilli cette décision de manière favorable, y voit un début positif et espère que les choses pourront aller plus loin, vers la création d’une véritable commission d’audit de la dette. Rappelons que peu de temps après les terribles inondations de 2010, le CADTM Pakistan a activement pris part à la campagne, lancée par Oxfam Novib et soutenue par plusieurs organisations de la société civile, en faveur de l’annulation de la dette extérieure du Pakistan. Cette campagne a eu un impact certain au niveau de l’État et de l’opinion publique en général. La question de la dette n’a pas été enterrée depuis lors.

Regroupée derrière la bannière de cette campagne large (la Pakistan Debt Cancellation Campaign, PDCC), la société civile a aussi exigé la création d’une commission d’audit de la dette. Depuis son lancement, le CADTM Pakistan a été en contact avec plusieurs membres de l’Assemblée nationale de différents partis, et leur a transmis de la documentation sur la dette pakistanaise. Un livret sorti récemment, Les Institutions financières internationales et la politique d’endettement : Plaidoyer pour le Pakistan (IFIs and Debt Politics – Pleading Pakistan’s Case) a été envoyé à plus de 100 parlementaires.

Le rythme de travail de la Commission est relativement lent. Au cours des deux derniers mois, la Commission a tenu une réunion et élu Shehnaz Wazir Ali au poste de présidente. Cette dernière a formellement ordonné au ministère des affaires économiques de lui transmettre toutes données utiles.

Shehnaz Wazir Ali (présidente), le ministre de la défense Syed Naveed Qamar, Mian Abdul Sattar, Ahsan Iqbal, Rana Tanveer Hussain, Asia Nasir, Hamidyar Hiraj, Abdul Rasheed Godel et Jameela Gilani figurent parmi les membres de la Commission.

Notons que le montant total de la dette publique a atteint 126 milliards de dollars. Les commentateurs politiques pensent que le sujet de la dette n’intéresse pas vraiment la classe politique. Il ne s’agirait que d’une manœuvre du gouvernement du PPP contre l’opposition. Sinon comment expliquer qu’il ait, quatre ans durant, emprunté de manière aussi imprudente auprès du FMI et d’autres prêteurs ? De son côté le PML-N ne serait pas davantage motivé à mettre un frein à des emprunts extérieurs toujours plus nombreux. Seule l’enquête concernant les prêts contractés sous le mandat du général Musharraf, leur grand rival, les intéresserait vraiment.

Les observateurs de la vie politique s’attendent cependant à ce que les résultats de la Commission soient suffisamment intéressants pour fournir des munitions aux partis politiques désireux de s’attaquer à toute irrégularité qui serait constatée dans la gestion de la dette publique, qui s’élève maintenant 126 milliards de dollars, dont plus de 60 milliards de dette extérieure.

Par Abdul Khaliq sur Cadtm.orgTraduction par Stéphanie Jacquemont

Notes

|1http://www.na.gov.pk/en/cmen.php?comm=NzY=

Photo : cadtm-pakistan.org