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L’imaginaire d’extrême droite et le Front National

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Etre un utopiste c’est vouloir que son imaginaire devienne une réalité ;  être d’extrême droite c’est croire que son imaginaire est une réalité.

Sans être pourtant déjà arrivé au sommet de l’Etat,  nous constatons que l’extrême droite s’installe un peu partout et  qu’elle cherche à envahir nos campagnes. Mussolini avait pris les  campagnes pour prendre le pouvoir, les périphéries pour prendre la  capitale. Le FN cherche à faire la même chose, mais nous voulons montrer  ici que quelques éléments simples peuvent nous aider à rendre cet  objectif irréalisable. Cette simplicité repose dans le fait de montrer  l’antagonisme qu’il y a entre l’imaginaire d’extrême droite et nos vies  locales quotidiennes. Commençons donc par étudier le phénomène de  l’imaginaire d’extrême droite car l’imaginaire a toujours été, et est  encore aujourd’hui, la clé d’analyse de ce camp politique. Nous verrons  ensuite que cet imaginaire, celui du FN ou d’autres  groupuscules/mouvances d’extrême droite, est totalement coupé de la réalité du monde rural.

Le phénomène de l’imaginaire d’extrême droite 
L’extrême  droite existe par la création d’une fiction, réalisée par un travail de  propagande. La manipulation des esprits en question cherche à donner  une légitimité au monde imaginaire qui fait vivre l’extrême droite, il  comporte des codes, des problèmes et des solutions qui lui sont propres.  Comme le disait déjà Sartre à son époque, ce n’est pas un problème juif  qui a créé l’antisémitisme, c’est l’antisémite qui crée un problème  juif pour donner à l’antisémitisme une raison d’être. « Si le Juif n’existait pas, l’antisémite l’inventerait. » [1].  La figure de l’ennemi imaginaire change dans l’histoire de l’extrême  droite mais la logique, elle, reste la même. On a ainsi vu passer à  travers le temps une extrême droite française produisant l’imaginaire  d’un ennemi protestant, italien, belge, juif, franc-maçon, puis  africain, maghrébin,  musulman, roumain, etc. L’ennemi imaginaire est à la fois la cause et  la conséquence de la création du monde imaginaire de l’extrême droite et  ce dernier est désigné par des critères idéologiques. Dans la société  totalitaire c’est ce que Hannah Arendt appelle « l’ennemi objectif »,  que la police politique va réprimer, non pas car il représente une  menace, mais car il est désigné comme ennemi par des critères  idéologiques [2]. Le monde imaginaire de l’extrême droite n’est pas un  jugement sur la réalité, ni une certaine vision du monde, ni une prise  de position subjective ;  c’est une croyance irrationnelle, à mi-chemin entre l’illusion  scientifique et la passion prophétique, qui ne dit pas ce qui est ou ce  qui doit être mais qui forge une réalité fictive à partir de  l’imagination.

En  effet, ce n’est pas le réel qui va produire les idées d’extrême droite,  elles ne partent pas d’un constat d’injustice pour exister, mais au  contraire c’est l’imaginaire qui produit l’illusion d’une injustice  contre laquelle ce camp entend lutter. Pour l’extrême droite, c’est l’imaginaire qui produit le réel, son analyse de la réalité est donc l’analyse de sa propre imagination, ces idées peuvent ainsi confortablement se justifier elles-mêmes.

Le  bon sens, la logique, les théories économiques, l’histoire, tout montre  que jamais l’immigration n’a volé du travail aux locaux ;  au contraire elle produit de l’activité comme toute augmentation de la  population, par un regain de consommation, une nécessité de travaux  publics pour fournir de nouvelles infrastructures, etc. Pourtant  l’extrême droite se persuade que l’immigré est un ennemi qui vole le  travail des français, depuis le massacre des ouvriers d’Aigues-Mortes en  1893 jusqu’au célèbre « trois millions de chômeurs c’est trois millions  d’immigrés de trop » du FN.  De la même façon, l’extrême droite crée  dans son monde imaginaire une islamisation de la France qu’elle doit  combattre [3].  Cette islamisation est un mythe et l’extrême droite voit pourtant ce  phénomène dans la réalité, elle seule peut le voir car elle contemple  son imagination dans le monde réel. Par un effet de miroir, l’extrême  droite projette ainsi son imaginaire sur le réel. Ces idées ne se  confrontent donc pas avec la réalité du monde, avec la logique des  choses, avec les limites de la nature ou avec les objections des autres  raisons ;  elles vivent dans des esprits fermés au monde extérieur et aux autres  humains. On peut donc voir ici que l’extrême droite existe par des  réflexions intra-conscientielles, qui se vivent comme un  auto-congratulage intellectuel permanent et qui justifient la logique de  ses idées par les idées de sa propre logique.

L’imaginaire du FN et le monde rural
L’imaginaire du Front National produit ainsi,  par exemple, une volonté farouche de lutte contre l’insécurité. L’image  « antisystème » et révolutionnaire que Marine Le Pen veut donner à son  parti vole d’ailleurs en éclat à la moindre émeute des quartiers  populaires car le FN hurle alors contre ceux qui se révoltent, donc  contre ceux qui produisent, comme dans toute insurrection, ce qu’ils  appellent de l’insécurité. L’imaginaire frontiste produit donc une  situation d’insécurité, un « problème » que ce parti entend pouvoir et  devoir régler. Le FN ne se gêne pas d’ailleurs pour créer une relation  toute fictive – car fruit d’une imagination -  entre immigration et insécurité. Si nous faisons l’inverse du FN,  c’est-à-dire si nous remettons sur pied une logique qui marche sur la  tête et que nous regardons la réalité de notre quotidien, alors nous  voyons bien toute la supercherie de cet imaginaire. Dans nos campagnes  ce que le FN appelle l’insécurité est le plus souvent lié aux enfants  des habitants qui font des conneries de jeunesse, ce que tout le monde a  fait et que les jeunes continueront toujours de faire. Dans les  villages, la peur de l’insécurité ne peut se justifier que par  l’imaginaire et l’acteur médiatique entre ici en scène pour apporter une  légitimité au délire collectif. Néanmoins,  ce ne sont pas les médias qui produisent un imaginaire insécuritaire,  ils ne font que profiter de cet imaginaire à des fins commerciales.  Depuis la seconde moitié du XXème siècle, si la société est de moins en moins violente, le seuil d’acceptabilité de la violence y a pourtant baissé significativement.

Pourtant  le XXIème siècle surexpose médiatiquement bien plus la violence que le  XXème [4]. Le local FN de Vannes arbore ainsi sur sa vitrine la dite  revendication : « Assurer la tranquillité et la sécurité des Citoyens ».  C’est une revendication particulièrement mise en avant par ce parti car  l’imaginaire du Front National peuple le monde de jeunes délinquants,  si possible « issus de l’immigration »,  qui perturbent la vie paisible des honnêtes citoyens.

Un autre cheval de bataille du FN, lié à son monde imaginaire,  s’articule autour de la défense de la religion catholique. Dans le  langage frontiste ils appellent cela « défense de la laïcité ». Cet  imaginaire regarde toujours la France comme « la fille ainée de l’église  » et veut amener son combat politique vers la guerre des religions. Cet  autre délire collectif imagine une chrétienté française menacée par des  hordes de musulmans intégristes [5].  Dans nos villages nous pouvons voir qu’il n’y a pas foule le dimanche  matin dans les églises, non pas à cause de la concurrence d’une autre  religion mais à cause d’un désintérêt populaire, surtout chez les  jeunes. Néanmoins, l’amour de l’extrême droite pour le catholicisme  empêche son imaginaire de concevoir que cette religion n’ait plus autant  de succès que par le passé à cause de raisons qui lui sont propres ;  le problème doit venir d’une autre religion. L’extrême droite imagine  la France comme étant éternellement catholique, si la ferveur s’effondre  à un moment de son histoire c’est qu’il doit y avoir une autre religion  qui séduit un peu trop dans le pays. C’est ainsi que le FN veut «  défendre la laïcité » pour empêcher une autre religion de se développer  et d’aller piquer – dans des églises vides – les fidèles du catholicisme. Dans la vie politique d’un village, « défendre la laïcité » ne signifie absolument rien ; les églises se vident – et c’est tant mieux – car les gens n’en ont juste plus rien à foutre de ce que raconte le curé.

Notes :
[1]         Jean-Paul Sartre, Réflexion sur la question juive, 1946.
[2]         Hannah Arendt, Les Origines du totalitarisme, 1951.
[3]          Raphaël Liogier, Le Mythe de l’islamisation : Essai sur une obsession collective,  2012. Ce livre est ici intéressant dans la mesure où l’auteur effectue  un travail de déconstruction qui montre que l’islamisation ressentit par  l’extrême droite, et même par une frange importante de la société, est  un mythe qui donc n’existe que dans l’imagination.
[4]         Serge Halimi, Les nouveaux chiens de garde, 2005.
[5]         Raphaël Liogier, Le Mythe de l’islamisation: Essai sur une obsession collective, 2012.

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