Tadjikistan : l’Etat surveille le net
Si vous utilisez Internet au Tadjikistan et participez à des discussions en ligne, prenez garde au Big Brother qui vous surveillera d’ici peu. Le 12 juillet 2012, les autorités du pays ont annoncé [en russe] qu’elles prévoyaient de créer un organisme afin de surveiller les publications en ligne ainsi que les sites Internet en ciblant les contenus « insultants » et « diffamatoires ». Beg Zukhurov, le directeur des télécommunications de l’Etat, a déclaré que le nouvel organisme recrutera un groupe de bénévoles, dont des journalistes locaux. Ces bénévoles « localiseront et identifieront » les individus qui publient des contenus et laissent des commentaires considérés comme étant insultants envers la direction du pays.
En fait, les autorités prétendent [en russe] avoir d’ores et déjà identifié un « petit groupe de personnes qui ont adopté ce genre de comportement inconvenant tout en se cachant derrière des faux noms et pseudonymes. » Selon Zukhurov, ces personnes « dénigrent délibérément des gens respectables » et elles le font « pour des sommes considérables qu’elles reçoivent des ennemis du peuple tadjik. »
Et qu’arrivera-t-il aux personnes qui se seront fait prendre à laisser des commentaires « inconvenants », insultant les hauts fonctionnaires « respectables » du gouvernement ? Le responsable tadjik des télécommunications a dit [en russe] l’ignorer mais a supposé que de tels individus pourraient éventuellement être « traités » et « remis sur le droit chemin » par des intermédiaires « appropriés ».
Les cybercitoyens tadjiks ont répondu à ces nouvelles par une vague de commentaires furieux sur les sites d’actualités et les plates-formes de médias sociaux. Jasur Ashurov écrit [en anglais] sur Twitter :
Voici venir le Big Brother qui nous surveillera tous au Tadjikistan.
Sur un groupe public lié aux TIC, Parvina Ibodova s’enquiert [en russe] :
что это? зачем? на каких основаниях? кто уполномочил? кто будет определять наличие/отсутствие клеветы и/или оскорблений (а суды куда денем в таком случае??) ???
Qu’est-ce que c’est que ça ? Fondé sur quoi ? Qui l’a autorisé ? Qui décidera si oui ou non le contenu est insultant ou diffamatoire ? Et qu’allons-nous faire en ce qui concerne les tribunaux dans ce cas ???
À la suite d’un reportage d’actualité sur le site Internet d’Asia-Plus, Nora écrit [en russe] :
аааа куда мы, люди? Что за фигня происходит с государством??? И какие нахрен добровольцы? Кто вам тут сидеть будет и все за бесплатно проверять? Опять же деньги с и без того бедствующего народа! Объясните мне, пожалуйста, зачем нам нужна конституция, когда, казалось бы чиновники- послы народа, наплевали на нее и на народ??? Да черт возьми, где мои права???
Mais on va où, les gars ? Qu’est-ce qui se passe avec l’Etat, bon sang ? De quels bénévoles est-ce qu’ils parlent ? Qui va surveiller tout ça gratuitement ? Ça va demander plus d’argent à la nation, déjà pauvre qui plus est ! Quelqu’un aurait-il l’amabilité de m’expliquer à quoi nous sert une constitution lorsque les hauts fonctionnaires — officiellement ambassadeurs du peuple — n’en ont rien à faire ni de cette dernière ni du peuple ??? Bon Dieu, où sont mes droits ???
À la suite du même reportage, Tor demande [en russe] :
А как же демократия и свобода слова? Или Господин Зухуров забыл про такие пункты в Конституции страны???
Et qu’en est-il de la démocratie ainsi que de la liberté d’expression ? M. Zukhurov a-t-il oublié que ces choses-là sont prévues dans la Constitution du pays ???
Olga ajoute [en russe] :
Это идиотизм, по другому назвать эту инициативу не могу. В этой стране все много хуже, чем я думала. Я имею право критиковать Рахмона, потому что он избранный нами президент, он не король а всего лишь чиновник. И подхалимы типа Бега Зухурова не имеют право указывать что и про кого мне думать. Банановая республика!
C’est de la bêtise. Je ne trouve pas d’autre mot pour cette initiative. Tout est bien pire que ce que pensais dans ce pays. J’ai le droit de critiquer Rahmon [le chef d’état du Tadjikistan] car c’est le président que j’ai élu ; ce n’est pas un roi, c’est juste un officier public. Et les lèche-bottes comme Beg Zukhurov n’ont pas le droit de me dire ce que je devrais penser des gens. Une république bananière !
Quelques cybercitoyens ont commencé à faire circuler des liens vers des réseaux d’anonymat et des serveurs proxy, suggérant que les autorités n’ont pas la capacité technique de surveiller toute l’activité Internet du pays.
Comme Andrew Katkenow l’écrit [en russe] :
Ну и чушь полная, У нас своего контента очень мало, а кто им даст доступ из вне, даже если заблокируют, то только для таджикистана, но кому нужно тот найдет выход. В период когда блокировали фейс, статистика по Alexa показала что посещения с Таджикистана снизилась всего лишь на 15%
C’est n’importe quoi. Nous avons très peu de contenu domestique [sur le segment Internet tadjik]. Personne ne leur donnera accès à des sites Internet extérieurs. Même s’ils bloquent [certaines ressources], le blocage sera effectif au Tadjikistan uniquement. Et les gens trouveront un moyen [d’outrepasser le blocage local]. Lorsqu’ils bloquaient Facebook, les statistiques ont montré que le nombre de visites du site à partir du Tadjikistan avait seulement baissé de 15 %.
Mavzuna Abdurahmanova croit [en russe] que l’initiative mènera les autorités à bloquer Facebook où de nombreux Tadjiks critiquent couramment les autorités :
будем ждать, мне кажется первым закроют фейсбук, тут по высказываниям довольных граждан очень мало.
Attendons de voir. Je pense que Facebook sera le premier à être bloqué, [car] en se basant sur les commentaires, il n’y a pas beaucoup de citoyens satisfaits ici.
Les autorités ont bloqué [en anglais] l’accès local à Facebook pendant une courte période début mars, après que du contenu critique à l’égard du président du pays a été partagé sur le site. Puis, en juin, le gouvernement a bloqué [en anglais] pendant quelques jours le principal site indépendant d’actualités du pays, Asia-Plus, en raison de commentaires de lecteurs considérés comme insultants envers des représentants haut placés du gouvernement sous un article qu’il avait publié.
De façon intéressante, les commentaires de Beg Zukhurov à propos d’utilisateurs d’Internet « subversifs » et « inconvenants » paraissent faire écho à la rhétorique utilisée par les hauts fonctionnaires du gouvernement ouzbek voisin. Le 10 juin, la télévision d’état de l’Ouzbékistan a dénoncé les réseaux sociaux tels que Facebook et Odnoklassniki [Copains de classe], basé en Russie, comme étant de « dangereuses armes » utilisées par les « ennemis » du pays afin de faire subir un lavage de cerveau à la jeunesse ouzbèke. Les ressortissants du pays ont été encouragés à utiliser des réseaux sociaux « domestiques » tels que Youface, récemment lancé [en français].
Alexander Sodiqov a contribué à ce billet.
Image : libération.fr