L’élection présidentielle au Sri Lanka : absence d’un discours inclusif
Au mois de novembre 2014, le président de la république sri-lankaise, Mahinda Rajapaksa, avait annoncé que la prochaine élection présidentielle aurait lieu le 8 janvier 2015, deux ans avant l’expiration de son mandat actuel programmée en 2017. Selon de nombreux analystes politiques, ce passage aux urnes imprévu était dû à une chute croissante de la popularité du Président Rajapaksa et de sa famille, qui contrôlent presque la moitié du budget de l’état et des ministères les plus rentables. Au départ, une élection présidentielle servait surtout à renforcer la popularité du Président Rajapaksa, mais c’est le contraire qui semblait se confirmer à l’approche de 2017. Le groupe politique en place pensait réussir à se maintenir au pouvoir, car depuis l’élection de M. Rajapaksa, l’opposition etait confrontée une crise politique et à une série de défaites électorales.
Rajapaksa était sûr d’être réélu, or il s’est fait battre par son rival Maithrilpala Sirisena.
L’opposition « unie » autour d’un candidat « commun » ?
La situation a en fait changé dès l’annonce des résultats de l’élection de novembre 2014. En effet, Maitripala Sirisena, à ce moment là ministre de la santé du gouvernement Rajapaksa et secrétaire général de son parti, le « Sri Lanka Freedom Party » (SLFP), quitte le gouvernement, pour se présenter comme candidat à la présidence de l’ »opposition « unie » » (common opposition). Cette dernière est une formation politique atypique qui comprend un ensemble de groupes politiques différents, tels que le United National Party – le principal parti d’opposition parlementaire, et un groupe de dissidents du SLFP, qui, en raison de leur mécontentement à l’égard du gouvernement Rajapaksa, se sont ralliés à Mme Chandrika Bandaranaike, francophile et ancienne Présidente de la République de 1994 à 2005.
L’opposition unie se compose également d’un autre parti influent – le « Jatika Hela Urumaya » (JHU – L’héritage national cinghalais), connu, comme son nom l’indique, pour son idéologie nationaliste cinghalaise, pour sa volonté de construire un état « unitaire » et pour son opposition ferme à toute réforme qui répondrait favorablement aux exigences politiques de la communauté tamoule, la principale minorité ethno-nationale du pays. Le JHU, qui fut longtemp un parti de premier plan pour la coalition du Président Rajapaksa et qui fut même une force majeure dans la sa première campagne présidentielle en 2005, a quitté le gouvernement, en condamnant une corruption sans précédent, un usage abusif des fonds publics, et une évolution non désirée du Sri Lanka vers une autocratie familiale.
La candidature de l’opposition unie et les minorités ethniques
Les minorités ethniques, quant à elles, se sont également ralliées au candidat de l’opposition unie. Le « Tamil National Alliance », principal parti politique tamoul qui détient la majorité au conseil provincial du Nord (Northern Provincial Council) a déclaré son soutien officiel au candidat de l’opposition. La totalité des partis qui représentent la communauté musulmane (8% de la population) ont également pris la même décision. La résolution des leaders musulmans d’afficher leur mécontentement envers le camp chauviniste et néoconservateur du régime de Rajapaksa est unanime. Ce régime est dirigé notamment par le secrétaire du ministère de la défense nationale, Gotabaya Rajapaksa, frère cadet du Président et ce depuis la fin de la guerre séparatiste en 2009. Ce dernier a soutenu la montée de l’extrémisme antimusulman dirigé par des moines bouddhistes radicaux. En charge de la défense nationale, il entretient des relations proches et privilégiées avec Bodu Bala Sena, le plus connu des groupes porteurs d’un discours antimusulman et coupables d’une série d’actes de violence envers la communauté musulmane. L’opposition « unie » crée ainsi une vague d’approbations sans précédent en réunissant des groupements politiques différents sous une bannière commune. Le parti marxiste « Janata Vimukti Peramuna » (JVP – Front de libération du peuple), un des premiers opposants du au régime actuel, ne soutient pas officiellement le candidat de l’opposition, mais il est très actif au sein de la société civile et incite ses membres à se mobiliser contre le régime de Rajapaksa. Instigateur de deux insurrections de jeunes contre le milieu politique sri-lankhais en 1971 et en 1989 et longtemps condamné à rester en marge de la vie politique du pays, le JVP a pu se rapprocher du processus démocratique depuis la fin des années 1990, où il trouve aujourd’hui progressivement la place qui lui revient. Quelque soit le résultat des prochaines présidentielles, le JVP, dirigé par Anura Dissanayake, jeune leader charismatique, aura un rôle-clé à jouer comme front de l’opposition dans le paysage politique de son pays.
Questions autour de la candidature « commune » ?
Malgré un retour en force de l’opposition sri-lankaise autour de M. Sirisena, et la précision de son programme électoral, des problèmes persistent quant à son fonctionnement si son candidat est élu. Comme on a pu le voir lors d’une réunion avec les représentants des entreprises, en présence de M. Sirisena et de M. Ranil Wickremesinghe, une présidence Sirisena risque d’être sous l’influence et le contrôle de ses principaux financeurs, notamment Mme Bandaranaike-Kumaratunga et M. Wickremesinghe, leader de l’UNP et ancien premier ministre connu pour ses relations cordiales avec l’occident. C’est grâce à leur soutien et (notamment aux relations internationales de l’ancien chef de gouvernement et de l’ancienne présidente) que le projet du de candidat commun a pu lancer ce défi au régime actuel. Il semble donc qu’une élection de leur candidat amènerait Wickremesinghe et Bandaranaike à influencer grandement le nouveau gouvernement, ce qui interroge sur son éventuelle cohésion. Il existe un fossé idéologique très important entre le duo Wickremesinghe-Kumaratunga et d’autres partisans de l’opposition unie, comme le JHU. Alors que ces deux leaders ont soutenu favorablement l’autodétermination des minorités ethno-nationales dans le passé, et les réformes politiques qui donnaient plus de pouvoir à la minorité tamoule de la région Nord, le JHU est radicalement opposé à une telle tolérance sur la question ethno-nationale. Le JHU a un rôle influent sur l’opinion publique de l’électorat cinghalais, et engendre ainsi le soutien d’une grande partie de cet l’électorat du candidat de l’opposition. Mais le devenir d’un gouvernement composé d’idéologies aussi incompatibles interroge en premier lieu l’électorat sri-lankais.
A l‘approche de l’élection, les sondages démontraient une baisse nette des la cotes de popularité du Président Rajapaksa, contre une hausse de celle de son adversaire. Dans un paysag dépourvu de confrontation politique durant toute une décennie, les présidentielles de 2015 marquaient un changement remarquable. Malgré ce point positif, il est un sujet que les deux candidats ont évité d’aborder ouvertement, celui de la justice envers les minorités, notamment envers à la communauté tamoule. Depuis la fin de l’offensive finale controversée de mai 2009, les tamouls du nord de l’île, là où eu lieu la guerre civile, mènent une existence surveillée sous contrôle militaire renforcé. Le gouvernement provincial, dans lequel le TNA détient la majorité des sièges depuis l’élection de septembre 2013, n’a pas pu fonctionner normalement, en raison du pouvoir supérieur exercé par les forces armées et de l’autorité exécutive du gouverneur provincial cinghalais et ex-général de l’armée. Dans ce contexte, on remarque une montée des actes de violence contre les femmes et les enfants, des entraves à la liberté d’expression et à l’engagement politique, et des acquisitions des terrains privés par l’état (surtout par les forces armées) contre la volonté des propriétaires. Le processus de reconstruction d’après-guerre est clairement néolibérale, avec le partage des terrains de bord de mer les plus rentables entre les plus grandes entreprises hôtelières et les familles des personnalités politiques, une priorité accordée à la promotion du tourisme, le maintien du contrôle militaire de la population locale et l’absence d’un projet de développement durable qui permettrait l’amélioration de la situation économique d’un peuple victime d’une très longue guerre. Même si le TNA soutenait le candidat de l’opposition, son chef admettait qu’il y aurait peu d’espoir de voir un changement décisif de la situation du Nord. De son côté, M. Sirisena a été obligé d’affirmer publiquement que sous sa présidence, aucune des bases militaires dans les provinces du Nord et de l’Est ne seraient déplacées. Dans le même esprit, son programme électoral n’abordai, aucune des bases militaires dans les provinces du Nord et de l’Est ne seraient déplacées.
Dans le même esprit, son programme électoral n’abordait guère les questions de la justice sociale envers la communauté tamoule du Nord. Cette absence de discoursmême parcimonieux sur les problèmes de tous les jours qu’affrontent les minorités, est la preuve de l’existence d’un malaise important dans le paysage politique sri-lankais. Même si un prétendant au poste de chef d ’état voulait sincèrement inclure les minorités dans son programme, celui-ci serait automatiquement considéré comme politiquement à risque, et donc à éviter impérativement.
Malgré l’aspect positif qu’a eu un changement de régime le 8 janvier 2015, il est peu probable qu’il mène à une politique ethno-nationale cohérente.
Par Chaminda Weerawardhana : Docteur en science politique titulaire de la qualification CNU aux fonctions de Maître de conférences, Chaminda Weerawardhana est chercheur postdoctoral au Département Science Politique de Queen’s University Belfast et Chargé d’Enseignements à l’Université Lille 1.