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Journalisme, publicité : Quid de l’information ?


Tout part d’un fait divers à Béthune, vendredi 6 novembre 2015, relayé en ces termes le lendemain par la Voix du Nord :
Coup de couteau à Béthune: «J’ai crié mais personne n’a réagi» raconte un témoin. «Je ne veux pas que nous passions pour des héros, nous avons juste fait notre devoir de citoyens». Vendredi soir, Laurence Louchart et son fils Valentin, âgé de 17 ans, n’avaient pas prévu d’intervenir dans une bagarre. Ces deux Béthunois pensaient juste aller chercher de quoi casser la croûte‘.
S’ensuit un article descriptif et très factuel sur les circonstances et les faits.

L’affaire aurait sans doute pu en rester là, le courage et l’humanité des intervenants ne faisant aucun doute. Toujours est-il que leurs noms furent cités dans la presse. Et c’est alors que se met en place une double supercherie : celle d’un ‘bon samaritain’ se prénommant Jean-Claude Jeanson, pâtissier-chocolatier-traiteur de la région de Béthune à Lens, avec celle d’un journaliste dit ‘d’information’, j’ai nommé Jean-Jacques Bourdin, qui reçoit chaque matin des interlocuteurs lors d’interviews ‘chocs’ dont il a le secret sur BFM.

Auto promotion publicitaire à peu de frais.
La première supercherie qui se met en place, consistant en un plan d’auto promotion gratuite basée sur un triple mensonge, est signée Mr Jeanson. On en a un aperçu télévisuel ici :

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A l’écoute de l’interview (dans la vidéo ci-dessus) qu’il donne à Mr Bourdin, il dit avoir pris connaissance le dimanche 9 novembre des faits parus dans la voix du nord de la veille, où sont donc cités les noms des deux courageux intervenants dans cet affrontement de rue.

Il dit avoir cherché le numéro de téléphone de l’intervenante, l’avoir trouvé, et donc appelée le dimanche matin tôt (et l’avoir du coup réveillée). Dans la conversation qui suit la prise de contact, il dit apprendre sa situation sociale précaire : «… elle vivait seule avec ses deux enfants qu’elle élevait comme elle pouvait et avec le RSA». Alors, bonne âme, il enchaîne : «… sur le champ je lui ai proposé un emploi direct, en CDI». A la question de Mr Bourdin «Mais quelle âge a-t-elle ?», la réponse fuse chez Mr Jeanson : «Je sais pas son âge, je la connais pas …». Puis, à Mr bourdin qui lui demande également «elle commence quand ?», Mr Jeanson affirme alors : «le temps de faire les formalités, et qu’elle me donne ses horaires de train et que je puisse adapter ses heures de travail en rapport de ses horaires de transport (…) ça peut se faire dans six – sept jours…» – «elle m’a même dit quand je lui ai annoncé ça que c’était Nöel avant l’heure» ! C’est bien beau, sauf que …

Premier mensonge : la recherche du numéro de téléphone. Mme Louchart, qui a donné à la presse son nom d’ex-épouse est sur liste rouge sous le nom qu’elle porte désormais*. Alors comment Mr Jeanson a-t-il pu trouver ce numéro de téléphone, à part à le connaître avant les faits ?

Second mensonge : prétendre qu’elle est une inconnue. Mme Louchart, sous son autre nom, travaille très souvent Aux Recollets, SARL Jeanson au 41 rue Délissé Engrand à Béthune, où elle est très bien connue des employés pour y faire des ‘extras’.

D’ailleurs, en date du 20 avril 2014, elle en faisait une publicité très élogieuse sur sa page facebook*. Et dans ce second mensonge de Mr Jeanson, on peut aussi arguer du fait que le fils de Mme Louchart, Valentin, élève au Lycée Polyvalent Hôtelier Marguerite Yourcenar à Beuvry, a effectué en 2014 un stage … Aux Recollets ! C’est aisément vérifiable sur demande des conventions de stage à l’administration de ce lycée.

Troisième mensonge et non des moindres : la proposition de CDI. Celle-ci était déjà sur les rails depuis quelques temps, suite au départ prévu d’une autre employée, mais Mme Louchart se posait la question de savoir si le gain apporté par 25h déclarées en CDI ne lui ferait pas perdre davantage que le RSA et les aides diverses qu’elle percevait déjà avec les extras venus compléter son budget mensuel. Et comme elle passerait du Recollet de Bethune à une autre antenne Lensoise, il lui faudrait tenir compte de coûts de transport supplémentaires. Nöel avant l’heure, vraiment ?!

Du journalisme ?
Et c’est donc ici que se met en place une seconde supercherie, oeuvre de Mr Bourdin et de son équipe. Car on voit bien que la belle histoire de patron désintéressé au grand coeur à laquelle l’émission de BFM voudrait faire croire est truffée d’incohérences, facilement détectables par diverses sources. Il était donc possible de comprendre rapidement qu’un commerçant a ici tiré sans vergogne profit d’un fait divers local afin de se faire une publicité nationale à moindre frais en instrumentalisant un ‘journaliste’ peu soucieux de faire une vérification d’information (pourtant à la base de son métier) mais plutôt polarisé sur l’audimat, le buzz, l’affect, l’instantané séduisant – le tout conditionné par un certain modèle de ‘pensée’ néolibérale nourri au mythe d’entrepreneur magicien, conquérant voire père noël. Sinon, comment un média disposant de relais régionaux et de moyens considérables aurait-il pu tomber dans un piège et une manipulation mercantiles et aussi grossières ?

Le même constat désolant se prolonge sur les sites rmc.bfmtv et France3.francetvinfo qui reprennent mot pour mot cette mascarade sans tenter non plus de vérifier leurs sources, d’investiguer un minimum, de recouper les informations, de contacter d’autres interlocuteurs … bref, de faire le travail pour lequel ils sont a priori payés ! Pour eux et pour Mr Bourdin, il serait peut être temps d’aller travailler dans des structures plus proches de leur vrai coeur de métier : la réclame !

Un épisode pareil confirme donc que les informations diffusées et reprises par les médias mainstream ne font l’objet d’aucune investigation, ce ne sont plus des journalistes qui nous informent. Soyons heureux qu’il existe encore quelques médias libres qui vivent de l’abonnement de leurs lecteurs, sortis des censures des Bollorés, Niels, Dassault, Tapie et autres grands patrons d’industrie s’étant offerts chaînes télévisées et grands quotidiens papier ou numériques afin de transformer l’information véritable en une liste de faits divers à enfumage constant. Loin des dérives complotistes ou capitalistes, soutenons ces médias libres pour continuer à nous construire et faire vivre une identité politique active et militante !

*: nous gardons les documents originaux non floutés à disposition de qui de droit si besoin était ainsi que d’autres éléments non utilisés ici et divers témoignages directs ayant permis d’asseoir cet article.