Fukushima, 3 ans déjà !
Pour souligner les 3 ans de la catastrophe, cet article sorti quelques jours après, le 7 avril 2011.
A l’heure des pires clichés journalistiques sur le stoïcisme des japonais pour « éviter la catastrophe », force est de constater que celle-ci a de facto eu lieu et que les autorités nippones en sont réduites à communiquer piteusement pour en réduire l’apparente gravité : la fusion des coeurs des réacteurs. C’est donc en cette période funeste où des dizaines de milliers de vies se sont éteintes et qu’au moins autant d’autres sont en danger, qu’il semble plus que jamais nécessaire de changer de regard sur le nucléaire et son palmarès inquiétant …
Un peu de cuisine théorique !
N’en déplaise aux béotiens, il faut en passer par là pour comprendre ce qu’est une centrale : qu’est-ce que la radioactivité ? Commençons par rappeler que toute les matières connue dans l’univers (gaz, métaux, roches, liquides, plasmas, astres …) sont des états particuliers d’éléments de base dont une centaine sont naturels (carbone, fer, néon …) et une vingtaine artificiels (plutonium, curium, ununoctium …). Cependant tous ces éléments ne sont différenciés que par une seule chose : leur numéro atomique soit le total de protons (positifs) dans leur noyau, au sein duquel on peut trouver un nombre variable de neutrons (définissant les variantes, ou isotopes, d’un même élément) et autour duquel « gravitent » un nombre lui aussi variable d’électrons (négatifs). La fission nucléaire est donc ce phénomène, naturel ou provoqué, au cours duquel le noyau d’un élément massif (avec beaucoup de protons/neutrons) et donc instable, se brise pour former des noyaux d’éléments plus légers donc plus stables. L’exact inverse, qui se déroule naturellement au coeur des étoiles, se nomme fusion.
Cas radioactif d’école, étudié par ses découvreurs Pierre et Marie Curie (1898) : la désintégration d’une petite masse d’uranium « enrichi » (238 = 92 protons et 146 neutrons) successivement en thorium, protactinium, radium, radon, polonium, bismuth pour finalement se stabiliser en plomb (210 = 82 protons et 128 neutrons) ; au cours de ces réactions sont également émis des noyaux simples ou des éléments « libres » : les rayonnements gamma (photon), bêta (électron ou positron + antimatière) et alpha (hélium + neutron), dont l’émission peut déclencher des désintégrations au voisinage du noyau émetteur. Ces réactions se déroulent de façon plus ou moins fréquente (= période radioactive) selon l’élément et sa concentration, d’où la durée de vie d’un matériau radioactif donné (déchet compris …) ; on comprend donc que concentrer un élément très instable, voire provoquer sa fission, créera cette réaction en chaîne connue pour avoir donné naissance à la bombe A (Hiroshi et Nagasaki 1945). La température atteinte par cette fission permet d’amorcer l’inverse : la fusion d’éléments simples en un élément plus complexe, soit la bombe H (1952). La bombe N (1963) quand à elle, vise à émettre des neutrons à grande vitesse de manière à déstabiliser, même à travers des blindages, les molécules les plus simples dont l’eau qui compose 70% d’un corps humain …
Le moyen le plus dangereux de faire bouillir de l’eau ?
En réalité une centrale nucléaire n’est donc ni plus ni moins qu’une bombe (A ou H) « maîtrisée », autour de laquelle on met en place des dispositifs de contrôle des réactions nucléaires se déroulant dans le coeur et qui permettent de produire de l’électricité. La première fut russe, en 1954 à Obninsk. Le profil de centrale le plus courant de part le monde : un matériaux fissile plongé dans une piscine refroidissante émet des neutrons, créant une réaction en chaîne qui produit de la chaleur, elle-même transmise en vapeurs pour actionner les turbines et générer du courant électrique, tandis qu’un élément « modérateur » (tel que le graphite) permet, par absorption de neutron, de contrôler cette fission si et quand nécessaire. Il y a donc schématiquement 3 circuits hydrauliques indépendants : un premier dit « confiné » car en contact avec le coeur pour en extraire la chaleur, un second « semi-ouvert » pour produire les vapeurs qui actionnent les turbines, un troisième « ouvert » pour refroidir le système par condensation -que l’on voit sortir par les cheminées.
Une centrale peut contenir plusieurs réacteurs, par exemple en France : 58 réacteurs (environ 10% du total mondial actuel) dans 19 centrales ayant un potentiel de production compris entre 900 et 1450 MégaWatts, d’une durée de vie de 40 ans (avec les meilleures conditions de maintenance), construites entre 1977 (Fessenheim) et 1999 (Civaux), auxquelles ajouter 9 ex-centrales dont le démantèlement pose des problèmes (exemple : Brennilis) tant techniques que sanitaires et environnementaux. Le problème central : les déchets dont la durée de vie se compte en siècles, les installations internes extrêmement radioactives et les émission plus ou moins massives dans l’air, l’eau ou le sol avoisinant les réacteurs qui, sans aller jusqu’aux incidents majeurs, rencontrent fréquemment des avaries notables et des fuites plus ou moins discrètes (exemple : Tricastin en 2008).
En plein sous les feux de l’actualité, le Japon est pourtant un pays très avancé technologiquement et qui ne produit qu’environ 30% de son électricité via le nucléaire, tout comme l’Allemagne, la Finlande, la Corée ou la Hongrie. Sous la barre des 20% on retrouve des pays développés (U.S.A., Angleterre, Espagne, Canada, Taiwan, Canada, Russie) tandis que les émergents restent sous les 10% (Inde, Chine, Brésil, Afrique, Mexique). A l’inverse, certains pays se situent autour de 50% (Belgique, Suède, Suisse, Bulgarie) dont l’Ukraine (chose étonnante vu son passif …) tandis qu’un seul pays atteint les 75% : la France ! Alors qu’y-a-t-il donc à craindre, au pire, dans l’éventualité d’un accident nucléaire comme la fusion redoutée dans 34 réacteurs français, tous mis en doute depuis 3 décennies ?
Retour vers le passé
Les années 60 et 70 auront été un défilé d’avertissement sur les dangers encourus : contamination grave des eaux, évènements anormaux reconnus par le CEA (qui fait autorité en la matière), incendies et problèmes divers dont pannes et défaillances amenant parfois à la fusion partielle et même à la contamination alimentaire dans des pays pourtant à la pointe : France (Saint-Laurent-des-Eaux, acte I), Pays de Galles (Wylfa) et aussi plusieurs états des U.S.A. dont l’Alaska.
Mais les erreurs de ces prémices du nucléaire n’auront pas servi : nouvelle fusion française en 1980 (Saint-Laurent-des-Eaux acte II) irradiation du personnel en 1981 à Tsuruga (Japon), incident majeur étouffé en 1987 à Biblis (Allemagne), incendie et inondation en 1989 à Vandellos (Espagne) mais surtout, le fatidique Tchernobyl en 1986 dont la contamination du nord de l’Ukraine (et au-delà, de toute l’Europe par le truchement des mouvements météorologiques) a été dénoncée par le professeur biélorusse Yuri Bandajevsky qui aura pour cela purgé 6 années de prison.
Malgré cela, l’intensification du nucléaire civil se poursuit -à l’exception de quelques rares pays-, qui apporte son lot d’accidents : avarie en 1992 à Snovosi Bor (Russie), inondation en 1999 au Blayais (Gironde), vapeur radioactives en 2000 à Buchanan (New York) et incendie à Richland (Washington), fuite dramatique en 2003 à Paks (Hongrie), accident et fuites en 2004 à Fukui (Japon), défaillances en 2006 à Forsmark (Suède), incendie suite à un séisme en 2007 à Kashiwazaki (Japon). En 2008 on cumule panne de refroidissement à Krško (Slovénie) + fuites du Tricastin et accident à Tihange, respectivement en France et en Belgique qui subissent ensuite un arrêt d’urgence en 2009 à Cruas et en 2011 à Doel.
Cette énumération n’inclut pas les accidents militaires (manoeuvres, sous-marin, …), scientifiques (essais, expériences, médical, …) ni ceux de la production de combustible (exemple : Kychtym en 1957, dont les effets persistent à ce jour) ou du traitement des déchets (exemples : Marcoule et Cadarache en 2009) pourtant nombreux et souvent passés sous silence ou amoindris par les autorités « compétentes ». Par conséquent, il est évidemment impossible de dénombrer les cas de maladies et de morts (cancer en tête) animales ou humaines par pollution/contamination directe (et encore moins indirecte) de l’ensemble des accidents radioactifs évoqués dans cet article.
Fukushima, mon Amour
A la lumière de ces informations, on se prend donc à rêver que toutes les mesures de sécurité sont prises, que toutes les normes sont respectées et que les cas de figure extrêmes y sont inclus. Hé bien, non. Il faut atterrir : ce n’est quasiment jamais le cas, ne serait-ce que parce que la plupart des centrales sont gèrées par des entreprises privées, et donc soumises à concurrence et aux impératifs de rentabilité. Exemple édifiant et d’actualité : le japonais TEPCO, au bénéfice annuel net de 300 à 400 millions d’euros, dont la centrale endommagée est encore mortellement dangereuse à l’heure de la rédaction de ces lignes (et qui risque de le rester encore longtemps).
L’entreprise était déjà sur la sellette suite aux accidents de Kashiwazaki en 2007 (évoqués plus haut) dont voici quelques détails : abscence de dispositif anti-incendie adéquat, débordement et fuite des piscines en mer, non vérification de matériel critique (grues, fûts …), « erreurs » de calcul, décisions tardives et manquements divers et variés. Mais si l’on remonte encore un peu, on constate qu’elle avait déjà été accusée en 2002 de falsification de 27 rapports courant sur des décennies, d’embauche de sous-traitants non-qualifiés pour la recherche d’un profit maximal, ainsi que de diverses négligences qui ont pu causer la première fusion du réacteur 3 de Fukushima dès 1978, et deux autres dans la même centrale dissimulées au public en 1993. Dans le cas présent il semble que les installations électriques n’étaient pas prévues pour résister à un tsunami d’ampleur, tandis que le personnel n’était pas formé aux situations d’urgences – notamment à réactiver par valve manuelle des condenseurs vitaux pour abaisser la pression du coeur.
En mettant de côté l’entreprise elle-même et le système économique dont elle tire l’essence de son fonctionnement, tentons d’étudier l’extrême induit par la conjonction d’un tremblement et d’un tsunami. Pouvait-on prévoir un tel désastre ? Malheureusement la réponse, bien que nuancée, n’est pas à l’avantage de l’industrie nucléaire : si la compréhension de la tectonique des plaques et les avancées en matière de prévision sont récentes, rien ne justifiait de poser des réacteurs en bord de mer avec des protections maritimes de 5 mètres seulement quand des estimations raisonnables prévoyaient des cas extrêmes de 10 à 30 mètres ; côté magnitude, les installations étaient prévues pour résister à 7 sur l’échelle -logarithmique- de Richter, ce qui semble dérisoire face au 8 à 9 enregistrés en mars et au 7.5 des répliques d’avril, sachant qu’un degré multiplie l’intensité par 30 ! Disons-le clairement : plus qu’optimiste, l’industrie s’est montrée négligente et les pouvoirs publics aveugles aux erreurs passées et aux alertes de la communauté scientifique mondiale. Au japon plus qu’ailleurs, faire de tels choix nucléaires était donc tout bonnement de l’inconscience confinant au suicidaire – ou à un semblant de vie condamnée au dosimètre à perpétuité.
Prochaine sortie dans 30 ans …
En ces heures sombres, face à ces absurdités, nonobstant la raréfaction annoncée du pétrole, il n’est donc pas indécent de poser la question de la sortie du nucléaire, et tant qu’à faire commencer par chez soi : la France est le mauvais élève du monde en matière de production électrique avec environ 50% de thermique -dont 33% d’hydrocarbures et 17% de diverses sources (gaz surtout mais aussi bois, déchets, biocarburant)- et seulement 5% d’alternatif (marémotrice, barrage, solaire, vent) ; les 45% restant sont de l’électricité issue du nucléaire. Or, très peu de moyens sont investis dans d’autres branches énergétiques, alors qu’on considère qu’il faudrait seulement 5 à 10 ans de développement pour mettre au point des rendements concurrentiels par le duo éolien + photovoltaïque couplés à un système intelligent de pilotage de la consommation à l’échelle nationale -que l’Allemagne est entrain de mettre en place. Mais la France, elle, reste sur sa vision massive de la consommation qui justifie une centralisation de la production et donc le choix nucléaire.
La biomasse et la géothermie sont aussi négligées malgrè leur intérêt énergétique et leur taux de pollution quasi nul voire négatif. Dans tous ces cas alternatifs, n’est considèrée qu’une comparaison de coût à courte-vue avec la référence nucléaire, sans tenir compte de la durée de vie et du démantèlement des centrales ni, et c’est où le bât blesse, des risques liés à leur exploitation -accidents et déchets y compris. Quand on voit, de surcroît, la perte entre énergie créée et transformée (2/3 perdus dans le coeur d’une centrale !), électricité produite et consommée (5% de pertes durant le transport), ainsi que la part de l’électricité dans l’énergie totale utilisée (moins de 20%), on se demande tout de même si les risques pris valent l’économie de court terme. Malgrè cela, la recherche se poursuit principalement sur le nucléaire avec des technologies encore plus dangereuses (EPR de 3ème génération, surgénérateurs de 4ème génération refroidis à l’hélium, au plomb ou pire : au sodium qui explose au contact de l’eau) et les centrales actuelles (2ème génération, la 1ère étant en démantèlement) continuent de tourner … car l’énergie ne cesse d’être consommée en France à raison d’un tiers pour le chauffage ménager (le pire gâchis d’Europe !), un autre tiers pour l’électroménager/informatique et un dernier tiers pour les transports ; le secteur industriel pesant 32% du total, c’est peu dire que les économies sont à chercher dans le résidentiel et le tertiaire (isolation, optimisation, norme HQE, …).
Seule bonne nouvelle : un moratoire pour empêcher l’exploitation, catastrophiquement polluante et irraisonnablement dispendieuse, du gaz de schiste en France semble faire consensus dans la classe politique, à l’heure de la sortie d’un documentaire édifiant (Gasland par Josh Fox), y compris parmis nos louvoyants acteurs du Grenelle de 2007, j’ai nommé Nathalie Kosciusko-Morizet et Jean-Louis Borloo : la première a tempéré ses affirmations sur les capacités de cette « alternative » à permettre une sortie du nucléaire, et le second dépose un projet de loi (aux côtés du PS et de l’UMP) allant contre les permis d’exploitation de ce gaz qu’il avait délivrés en temps que Ministre de l’Écologie. Merci à eux de nous faire rire (même jaune) pour conclure ce triste tour d’horizon.
Source :
Démagrocratie : Au secours, c’est par où la sortie ?