Accueil ECONOMIE Fraude et évasion fiscale : une industrie prospère

Fraude et évasion fiscale : une industrie prospère

Il est clair aujourd’hui, pour tout analyste économique ou financier objectif, que deux des grands maux qui mènent le libéralisme à la faillite sont la fraude et l’évasion fiscale (légale ou illicite) et le coût prohibitif du capital « improductif » imposé aux entreprises de biens et de services qu’elles soient publiques ou privées.
Si la seconde cause a largement été expliquée par le Centre lillois d’études et de recherches sociologiques et économiques (Clersé), il n’est pas inutile d’aller voir de plus près l’impact dévastateur que le non respect du devoir citoyen devant l’impôt peut avoir sur l’enlisement de nos sociétés dans une spirale de crise sociale, économique et structurelle.
Quel serait donc le poids financier que représente cette fuite de capitaux qui devrait servir aux finances publiques ?
Le problème de l’évaporation de cette manne financière, qui devrait servir au bien collectif, cache bien des zones sombres, des soumissions, des compromissions et devrait mener bien souvent des hommes politiques, des banquiers, des patrons d’industrie devant les tribunaux.

Des constats désespérants :

Pour avoir une échelle de valeur de l’ampleur du phénomène, il suffit d’aligner quelques chiffres révélateurs des sommes en jeu.
Les avoirs dissimulés au fisc français équivalent à la recette annuelle fiscale de la France. Pour les spécialistes, ils représentent même cinq fois le produit de l’impôt sur le revenu perçu en 2010. Chaque année, ce sont au moins 2,5 milliards d’euros qui s’évadent rien qu’en Suisse, et cela depuis plus de dix ans, ce qui représente entre 100 000 et 150 000 comptes non déclarés. Si on y ajoute d’autres paradis fiscaux (Luxembourg, Caïmans, Lichtenstein..), ce sont près de 15 milliards d’euros d’évasion sur dix ans gérés par les banques suisses seules.
Les spécialistes estiment que les avoirs dissimulés en Suisse s’élèvent à environ 100 milliards d’euros, tandis que le total estimé dans les autres paradis fiscaux se situent autour de 220 milliards d’euros. Ces sommes représentent un manque de rentrées fiscales annuelles de 10 milliards d’euros. Sans compter que ces avoirs « travaillent » pour leurs propriétaires à l’abri des taxes.

Mais les banques françaises ne sont pas en reste. BNP, Crédit Agricole, Banque Populaire, Société Générale pratiquent aussi l’évasion fiscale. En détournant chaque année quelque 370 milliards d’euros dans des paradis fiscaux, ce sont 20 milliards d’euros supplémentaires qui échappent encore au fisc.
Ces banques disposent, à elles seules, de plus de 360 entités offshore pour permettre l’évasion des avoirs des entreprises du CAC40 ou d’autres grandes entreprises.
C’est en définitive, pour la France, un montant de 590 milliards d’euros qui s’évapore dans la nature, un tiers des impôts potentiels qui ne sont pas perçus par l’Etat, soit une trentaine de milliards d’euros.
Si on y ajoute les diverses fraudes des entreprises, escroquerie à la TVA, travail au noir, fiscalité locale non versée, prélèvements sociaux non effectués, la fraude fiscale approche plutôt les 80 milliards annuels.

D’après les anomalies remarquées par le FMI dans la balance mondiale des paiements , on peut estimer, pour 2011, que 6 000 milliards d’euros sont détenus par des ménages dans le monde dans des paradis fiscaux, avoirs gérés pour le tiers par des banques suisses. Ces 8% de la richesse mondiale, qui sont hors de portée des fisc nationaux, rapportent en plus des dividendes qui échappent aussi aux impôts ( cf : Gabriel Zucman « la richesse cachée des nations »).

Une réalité déformée par la fraude :

Ces avoirs privés européens, auxquels il faut ajouter les dividendes issus de leurs placements dans des fonds d’investissements, représentent près de 10% de la richesse privée européenne. Ce sont alors 2 275 milliards d’euros qui n’entrent pas dans les comptes financiers de l’Europe.
Cette distorsion entre les comptes officiels des Etats et la réalité financière bancaire présente l’Europe comme une région pauvre et endettée, alors que d’après les avoirs bancaires, elle est une des plus riche de la planète. Soumettre ces avoirs bancaires cachés aux impôts serait une partie de la solution à la fameuse dette publique… illégitime.
Si comme aux Etats Unis ces avoirs étaient taxés à 50%, cette taxe d’assainissement s’élèverait à quelque 66 milliards d’euros rien que pour la France et serait une solution non négligeable vers un début de sortie de crise.

UBS : une industrie à évasion fiscale.


La championne toute catégorie de montages offshore pour industrialiser l’évasion fiscale se trouve être la banque Suisse UBS.
En 2004, elle avait déjà créé aux USA plus de 900 sociétés écrans pour organiser la fuite fiscale anonymisée de richissimes clients étasuniens via 52 000 comptes.
Pour ce qui concerne la gestion des fortunes privées investies hors de leurs pays d’origine, cette banque s’octroie à elle seule 27% de cette manne financière mondiale (chiffre datant de 2007…)
Elle accuse en 2010 un résultat d’exploitation de plus de 26 milliards d’euros et réalise un profit net de 6,1 milliards d’euros.
Pour s’assurer les bonnes grâces gouvernementales face au secret bancaire, chaque année, le secteur financier Suisse verse 15 milliards d’euros d’impôts et pourvoit au salaire de quelque 150 000 enseignants du secteur primaire. Quand à UBS, elle participe à hauteur de 1,65 milliards d’euros aux impôts suisses.
Et pourtant, depuis son implantation en France en 1998, elle accuse un déficit structurel (560 millions d’euros en 1998), car ses activités masquées d’évasion fiscale ne peuvent être prises en compte dans ses chiffres d’affaires, les comptes offshore non déclarés étant illégaux. Car la véritable raison de son implantation en France est la création illégale de comptes offshore à Singapour, Luxembourg, Hong Kong et autres paradis fiscaux, le tout géré depuis la Suisse.
Alors que depuis 2003 les enquêteurs du ministère des finances (tracfin), les contrôleurs de la banque de France, la brigade financière et le service national de douane judiciaire ont toutes les preuves du système d’évasion fiscale monté par UBS, les bureaux de cette banque n’ont été perquisitionnés qu’à partir de 2013 ….
En 2009, 2010, 2011, l’autorité de contrôle prudentiel de la Banque de France a reçu une masse importante d’informations et de notes précises sur « l’évasion fiscale au sein d’UBS France ».
Ces notes détaillent les doubles comptabilités d’UBS pour masquer l’évasion fiscale, mettent en évidence les transferts douteux de fonds entre les agences de Paris, Strasbourg, Lille, Cannes … et la Suisse, la Belgique ou le Luxembourg, détaillent des transferts de fonds de comptes non déclarés vers des zones offshore, prouvent des actes de démarchages illégaux de chargés d’affaires suisses, sous le couvert d’UBS France et de son Management.
D’autres détaillent aussi les mystérieux « carnets du lait » et « la vache », notes secrètes des chargés d’affaires suisse en « poste » illégalement en France pour récupérer de riches clients désireux de déménager leur fortune hors de portée du fisc français.
On y retrouve des footballeurs professionnels, de nombreux sportifs, des chanteurs, de riches rentiers, des politiques, des grands patrons du CAC40, des journalistes sportifs, des jockeys, des réalisateurs de films, des naviguateurs et de grandes familles bourgeoises….

Un début de réaction :

Le groupe UBS a finalement été mis en examen en juin 2013 en tant que personne morale pour « démarchage illicite » et sa filiale française pour complicité.
Une nouvelle mise en examen est tombée en juin 2014 pour blanchiment aggravé de fraude fiscale portant sur la période 2004-2012 et démarchage illicite auprès de fortunes françaises. Une caution de 1,2 milliard d’euros a été fixée dans le cadre de cette procédure.
Finalement, la perspective d’une condamnation d’UBS en France est de plus en plus réelle.
L’avocat fiscaliste lausannois Philippe Kenel déclare notamment :  » Je crains qu’UBS ne soit la première d’une longue liste. Il est à prévoir que les Français s’attaquent à d’autres banques suisses(…) Si aucune solution n’est trouvée et que les procédures pénales se multiplient, avec à chaque fois des amendes à la clé, nos banques courent à la faillite »
Et l’avocat d’affaires suisse Jean Russotto insiste lui aussi : »… deux interrogations demeurent. D’abord, l’honorabilité de la maison mère fait partie des conditions d’octroi et de maintien d’une licence bancaire pour les filiales actives dans les différents pays. Il n’est pas exclu qu’une condamnation pénale de la maison mère en France puisse conduire l’un ou l’autre des régulateurs nationaux à remettre en question la licence bancaire de l’une ou l’autre de ses filiales. Ensuite, il y a certainement un effet d’entraînement chez les juges, d’un pays à l’autre. »
Après les condamnations étasuniennes, la mise en danger du secret bancaire institutionnel, les mises en examen françaises, sans doute des fonds se sont déjà envolés vers d’autres coffres bien scellés pour les fisc européens. Les banques suisses vont perdre sans doute un peu de leur attrait, mais d’autres ont déjà pris le relais et les banques françaises ne sont pas les dernières…

Epilogue :

…Et la Suisse ne figure toujours pas sur la liste noire ou grise des paradis fiscaux, alors qu’elle gère presque un tiers de l’évasion fiscale mondiale.
Cette évasion fiscale élevée au rang d’activité industrielle par toutes les banques françaises ou étrangères est un désastre pour les finances publiques, amplifie la dette publique, prive d’investissement les entreprises et installe la récession.

Cette analyse non-marxiste du capitalisme a au moins l’honnêteté de l’objectivité.
Elle est un premier pas vers une remise en cause du paradigme ultra libéral et, si elle passe par une répartition plus égalitaire des richesses, elle aboutira peut être à la remise en cause de l’exploitation du travail par le capital.

Source :

« Ces 600 milliards qui manquent à la France » – Antoine Peillon – Seuil
« La richesse cachée des nations » – Gabriel Zucman – Seuil

Article d’Albidochon sur  demagocratie