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Françafrique (2/2) – l’actualisation

Nous avons résumé les bases du système de la Françafrique jusqu’aux années 70 dans un précédent article, que nous terminions sur les promesses du socialisme de balayer les pratiques douteuses de ses prédécesseurs. Alors, comme nous allons le voir, certaines choses ont effectivement changé sur divers plans et dans diverses directions durant les 3 dernières décennies, mais toujours avec pour constante la défense d’intérêts français mêlés : politiques mais surtout énergétiques sinon économiques – et pour grande partie privés. Nous tenterons ici d’entrouvrir ces nombreux tiroirs par le découpage de notre propos en périodes distinctes illustrées avec leurs évènements respectifs et l’analyse de leurs aspects prépondérants.

La gauche des promesses …
Gagnant d’une élection à l’arrachée, autant grâce à son programme que par un ras-le-bol populaire des frasques et divisions du centre et de la droite, Mitterrand veut croire (ou faire croire) qu’il va mettre fin aux pratiques barbouzardes et manipulatoires de la France en Afrique. Dans un premier temps, on peut presque y souscrire puisqu’il vire l’historique Robert de son poste d’ambassadeur au Gabon et nomme J.P. Cot ministre de la Coopération avec pour mission de s’attaquer aux réseaux Foccart et de recycler l’influence de la France en aide au développement africain, à grand renfort d’humanisme affiché. De plus, comme les agents du très gaulliste SDECE rendent leur carte pour marquer leur refus d’une mitterrandie proche du PCF, celle-ci remplace l’ex-service de l’ombre par une DGSE d’abord dirigée par le polytechnicien P. Marion.
Contrairement à ces premières apparences, avec recul on peut s’autoriser à penser que Mitterrand a en fait adopté une tactique à plusieurs visages adaptatifs même si son masque tombe partiellement dès 82. Né durant la première guerre, proche des nationalistes de la Cagoule, il a combattu l’Allemagne et a été blessé et prisonnier durant la seconde avant de travailler (comme beaucoup de personnalités de son époque trouble) dans le régime vichyste duquel il démissionne ensuite pour rejoindre la résistance vers la fin du conflit. Après la Libération, il va être l’un des plus jeunes ministres et perdra 2 présidentielles contre De Gaulle puis VGE.
Et c’est ainsi qu’enfin élu en 81, il va soigner la tenue de « ses » sommets franco-africains et y tenir des discours spectaculaires (comme celui de La Baule en 1990) sur la démocratisation de la vie politique africaine notamment par le multipartisme, élément qui rentre pourtant en conflit direct avec les pratiques de la France comme avec celles de ses régimes « amis » en Afrique. D’ailleurs cela ne manquera pas de surprendre et d’inquiéter les chefs d’états déjà méfiants des anciennes critiques socialistes à leur endroit ; surtout qu’en coulisse le même président va paradoxalement œuvrer à renforcer ses propres réseaux d’influence, par exemple en remplaçant le démissionnaire J.P. Cot par G. Penne qui va influer via plusieurs loges maçonniques dont l’élite africaine est partie prenante. Notons ici qu’il faut considérer mais pas surestimer ces canaux qui ne sont qu’un réseau d’influence parmi bien d’autres, mais revêtant une importance notable s’agissant des liaisons françafricaine dans la décennie 80.
De ce terreau déjà ambivalent, Mitterrand cultive aussi des propos tout aussi ambigus pour critiquer l’asservissement par la dette tout en légitimant à l’inverse ses organes mondiaux (ex : FMI dirigé par le socialiste M. Camdessus dès 87, ou OMC dont le dircab du président -P. Lamy- sera le leader dès 2005 !) ainsi que pour maintenir une sacro-sainte parité monétaire CFA alors qu’il va être l’instigateur acharné du couple franco-allemand (avec G. Schröder) et d’un système européen (Maastricht) réduisant cette interchangeabilité à presque rien – comme on le verra plus loin.
Un exemple encore plus concret, parmi d’autres, de ce double discours pro-démocratique et anti-dette qui ne tient pas les faits : le peu de soutien, puis la tension palpable vis-à-vis du révolutionnaire T. Sankara. D’abord 1er ministre burkinabé arbitrairement mis aux arrêts sur ordre français, celui-ci reprit ensuite le pouvoir pour instaurer un régime ferme mais assez exemplaire : baisse de la corruption, amélioration de l’éducation, l’agriculture et du statut des femmes, etc. Tenant (notamment en 87 devant l’OUA à Addis Abeba) un discours contre la dette dérangeant les grands intérêts, il sera sous peu assassiné par l’agent C. Taylor libéré avec un soutien américain flou. Ce dernier va à la fois faire tomber le communisme au Burkina et s’en servir de base arrière à des manœuvres au Sierra-Leone (armant le RUF pour une guerre faisant 120 000 morts en 20 ans) et au Libéria pour faire chuter l’autochtone S. Doe en 90 avec complicité franco-lybienne. Le tombeur de Sankara devient et demeure depuis lors l’indéboulonnable B. Compaoré – « ami » indéfectible de la France !
Pendant ce temps en France, malgré une réelection facile en 88, les 2 cohabitations legislatives (Chirac en 86, Balladur en 93) vont encore brouiller les lignes de la pratique géopolitique mitterrandienne finalement peu différente des bases foccartiennes à l’époque incarnées « à gauche » par un intime du président : F. De Grossouvre progressivement mis à l’écart en raison de sa critique des yeux fermés de Mitterand envers certaines pratiques douteuses (notamment celles de ses proches R.P. Pelat avec S. Traboulsi) et qui va finir « suicidé » (?) le 7 avril 94 (notez bien cette date …) à l’Elysée (!), dans des circonstances aussi peu claires que P. Bérégovoy l’année précédente et alors que la santé du chef décline en secret – laissant les « actions directes » à d’autres comme le diplomate H. Védrine.
Hors du palais et du pays, afin d’assurer une façade plus fraîche et amicale Mitterrand missionne son propre fils en Afrique, surnommé « Papa m’a dit » par ses interlocuteurs – ironiques mais pas insensibles à l’aspect familial qui leur garantit un lien très privilégié. J.C. va ainsi pratiquer un style très (trop ?) décontracté et parfois intime, toutefois sans négliger l’entente cordiale avec les réseaux parrallèles néogaullistes (notamment représentés par M. Kirsch et C. Pasqua dont on va reparler) toujours en place et entretenus par une droite qui espère reprendre le pouvoir tôt ou tard – ainsi que par les élites africaines qui s’assurent ainsi des bonnes grâces françaises quelquesoit l’alternance politique hexagonale à venir.

Division du Tchad
Pour illustrer ce contexte, on peut revenir brièvement sur le cas du Tchad. Après des années de guerre civile, le pouvoir centralisateur de Tombalbaye est tombé en 79 et on ne peut que constater ensuite l’échec de Malloum ou Açyl via le GUNT de garantir une quelconque stabilité étatique. Plusieurs factions distinctes vont s’affronter pour diriger sans partage.
D’un côté, les FAP de Oueddei qui vient d’être ejecté du pouvoir ; ce camp est soutenu par le Niger voisin autant que par la Lybie qui lorgne sur Aouzou et alimente depuis des années les conflits de la bande saharienne – jusqu’au sud marocain que le roi Hassan II voudrait pacifier.
De l’autre, les FAN d’Habré qui prétendent diriger le pays ; ils sont soutenus en cela par les USA autant que par ce qui reste des réseaux militaristes du SDECE – ce malgré le précédent de l’affaire Galopin qu’on a évoqué dans l’article précédent.
Pour ajouter au fouillis ambiant, côté français la coopération soutient le camp démocrate représenté par Kamougué tandis que la diplomatie veut amadouer Kadhafi pour calmer l’imbroglio saharien. Et par-dessus cette belle poudrière, une médiation africaine notamment prise en main par Bongo et Eyadéma (quoique soutenue par Mobutu, Boigny, Diouf) est clairement favorable à Habré.
L’accord obtenant le retrait lybien côté FAP contre le retrait français côté FAN va être ensuite violé par ces derniers qui profitent logiquement de leur avantage. Mais dès lors Oueddei, qui a du fuire vers l’Algérie par le Cameroun, refait alliance avec Kadhafi pour tenter de faire à son tour chuter Habré début 83. Le gouvernement socialiste paraît finalement avoir dupé le camp adverse et facilité l’accession d’Habré à un pouvoir fragilisé et se trouve devant le choix cornélien d’affronter ouvertement la Lybie … ou de lâcher son « poulain ». Les accusations pleuvent de tous côtés, alléguant alternativement Paris de bellicisme ou de tièdeur – selon qui parle. Il est donc décidé de monter l’opération Manta, action réitérée dès 86 sous le nom d’Épervier pour sauver 2 fois Habré qui sera finalement évincé en 90 par Déby – avec le soutien français. La présence militaire française au Tchad ne cessera plus jusqu’à nos jours.
La France a alimenté les conditions de ce bourbier depuis depuis 40 ans pour quelques intérêts concentrés dans le sud du pays : un pétrole certes cher à exploiter mais situé vers N’Djamena et prêt à transiter par le pipe-line du Cameroun, de l’eau et de la verdure dans les regions fertiles et subsidiairement une position militaire stratégique au centre de la frontière même de l’Afrique subsaharienne, permettant de juguler l’appétit de Tripoli et de garder les autres pays voisins (Niger, Soudan, Centrafrique) à « portée de main ».

3e rang : Buyoya, Biya, Habré<br />
2e rang : Mobutu, Traoré, Kaunda, Nguesso<br />
1er rang : Kolinbga, Savimbi, Babangida, Dos santos, Bongo

Règner par la dette
Suite à des plannifications (exemple : FIDES français, CDWA anglais, etc) essentiellement pilotées par l’occident à son avantage, on se retrouve à la fin des années 70 avec une aide internationale envers l’Afrique consistant surtout à la « financer » via des prêts (clubs de Paris ou Londres) autour de 3% d’intérêts au lieu de 12%. Ce « cadeau » n’est qu’apparent car moins de 2% des sommes empruntées sert au développement local, laissé de côté pour privilégier l’exportation et la couverture des besoins des puissances mondiales. Ainsi, l’industrie de transformation restant quasi inexistante en Afrique, elle doit s’endetter en important des produits fabriqués à partir de ses matiéres premières vendues à bas coût, demeurant ainsi sous dépendance de ses exploiteurs. De plus, les « aides » généreusement offertes servent le plus souvent à privatiser le secteur public et/ou soutenir l’implantation d’entreprises privées multi/extra-nationales. D’où l’hypothéque des ressources brutes (pétrole, diamant, uranium, minerais, etc) et la spécialisation à outrance (bois, cacao, fruits, etc) privilégiant des investisseurs étrangers qui dictent en retour les grandes lignes des programmes africains par le biais d’ajustements nommés « PAS », avec ou en dehors de la complicité de gouvernements occidentaux bien au courant. Partiellement de ce fait et pour d’autres raisons comme la mauvaise répartition des richesses qui reste ainsi acquise à des élites (et une petite classe moyenne), on prétend éradiquer une pauvreté qui demeure dans sa condition initiale tandis que les déficits se creusent. La dette brute des pays africains est ainsi irrécouvrable et gonfle démesurément : de 10 milliards en 70, elle passe à 90 milliards en 80 (x9). La dette publique extérieure par rapport au montant des exportations passe en moyenne de 5% en 70 à 20% en 90 (x4) malgré une croissance moyenne de 3 à 6% du PIB. Le néocolonialisme ne dit pas son nom dans ce cercle vicieux d’asservissement par la dette généralisé depuis 50 ans et des « indépendances » en grande partie de pure façade par rapport au service de la dette qui varie -en 1993 selon l’ONU- de 5% (Bénin, Tchad) à 10% (Zaïre, Mozambique, Angola, Guinée), 20% (Niger, Congo, Sénégal) ou 30% (Ghana, Kenya, Tanzanie, Côte d’Ivoire) et même 50% (Ouganda) !
La France est une initiatrice historique de cette gouvernance indirecte avec son franc CFA, qui consiste en un carcan équivalent à celui de l’euro de nos jours : au départ les pays semblent juste perdre en liberté d’émission ce qu’ils sont supposés gagner en stabilité monétaire. Mais en réalité, le but est de reprendre en main les « mauvais élèves » de la zone et d’influer -l’air de rien- sur la ligne politique de tous les autres. Le pays « arbitre », à savoir la France pour le CFA, profite de l’essentiel de l’activité crée sachant que les membres doivent déposer tous leurs avoirs extérieurs (ne devant dépasser 45% du total) au Trésor Français, surtout que ce sont en bout de chaîne des entreprises françaises qui prennent la plupart des marchés – incitées monétairement à pratiquer des échanges « informels » (sinon frauduleux) pour les gagner ! Autre élément à charge du franc CFA : plus un pays est riche plus il est « aidé » par des dotations CFA, et inversement plus il est pauvre moins il est « aidé » …
Plus arbitraire encore : c’est la France qui décide de la parité entre le franc français et le franc CFA. Or, en ce début des années 90 le mur de Berlin est tombé, la guerre froide se termine et la France va donc devoir choyer sa politique européenne : mais la parité CFA l’empêche d’officialiser son rapport monétaire avec ses partenaires de la CEE sous l’égide d’un futur euro « solide » – puisqu’indexé sur un mark qui cherche à battre le dollar. La France ne peut donc plus prétendre se stabiliser pour passer à l’euro, si dans le même temps elle veut préserver une convertibilité paritaire en franc CFA avec des pays africains pour la plupart lourdement endettés. Le cas va être tranché sous Balladur avec (déjà) Sarkosy au Budget et Roussin à la Coopération : le CFA est dévalué de 50% (!) début 94, doublant les dettes et détruisant le pouvoir d’achat africain (hypersensible aux fluctuations spéculatives sur les matières premières), rendant les travailleurs africains toujours plus exploitables sur le marché mondial concurrentiel (contre le bas coût chinois tout comme le subventionnisme occidental) et faisant fuir les capitaux d’Afrique malgré l’opposition des chefs locaux (Bongo, Compaoré, Diouf, Houphouët-Boigny, etc) et la désapprobation d’une mitterrandie (Debarge, Dumas, Joxe, Sapin, etc) en pleine débâcle élective qui préférerait une « cure » d’austérité (africaine !) à la place mais qui a déjà pesé son choix en faveur de l’Europe. Mitterrand, déjà très malade (son cancer va l’emporter 2 ans après), ne fait donc pas grand-chose contre ce qui signe du retour de la droite au pouvoir et aux manettes d’une françafrique qui perdure ainsi sous de « nouvelles » formes.

Le marché sécuritaire
Résumé sous le terme de « Peace keeping », ce secteur va se généraliser en dehors des pratiques de la seule France, où l’État cherche à garder sous sa tutelle ses propres activités militaires (par exemple via le PPP de la DCI) en se distinguant -sans l’entraver- d’un secteur privé à la mode anglo-saxonne et mondialement concurrentiel. Dans le contexte corruptif de dette instrumentalisée décrit plus haut, les fragiles politiques africaines vont en plus accentuer les inégalités entre couches sociales, les écarts entre citadins et paysanneries, les tensions entre régions et pays aussi complexes éthniquement et culturellement que leurs frontières (coloniales) sont poreuses, avec leur lot de guérillas et rébellions. N’ayant que peu ou pas les moyens de financer leur propre politique sécuritaire, les administrations signent des accords moyennant endettement et/ou ressource(s), aggravant encore leur situation. Le marché en question explose donc avec ces besoins variant du particulier au national : gardiennage et surveillance, escorte et transport de fond, conseil et formation, mais aussi enquête, matériel, gestion de crise, déminage etc. Une foultitude d’acteurs et de sous-traitants plus ou moins massifs (au gré des fusions) et privés (selon les politiques locales) émerge donc dans nombre de pays dont les USA (AirScan, Vinnell, MPRI, DynCorp, SAIC, ArmorGroup, Kroll, Custer Battles, Guardsmark, Steele Foundation, Northrop Grumman, SPX Corporation, Crucible, etc), l’Angleterre (Sandline, Control Risks, Hart Group, Global Risk, ISEC, Olive Security, Securicor, Pilgrims, Genric, Janusia, etc), l’Afrique du sud (Meteoric Tactical Solutions, Erinys, etc), le Danemark (Group 4 Falck) et des paradix fiscaux comme le Luxembourg ou les Seychelles (Defense Control, EHC, Presidium International, etc). Mais la France n’est pas en reste avec Secopex, PHL, SIA, Pretory Tech, Géos, SSF, CFD, etc.
D’où que l’on peut constater dans cette période faste le triplement (!) du nombre de sociétés de sécurité jusqu’en Afrique, prêtes à pratiquer des guerre secrètes à l’aide de barbouzes et autres militaires recyclés et provenant de tous azimuts, dont quelques exemples des plus « transversaux » sont recrutés à l’extrême-droite (chez ACDS, Ambassy, Bègue Consultants, Normandy, OGS, SPGM, etc) parmi les anciens du service de sécurité de J.M. Le Pen, tels J.L. Chanas (Eric SA, ARC Consultants, FSDCE, etc) et surtout B. Courcelle ; cet ancien officier du DPSD est très proche de B. Gollnisch et va successivement travailler pour la société Luchaire qui arme à la fois l’Irak et l’Iran durant leur conflit des années 80, superviser la sécurité du Musée d’Orsay dirigé par la maîtresse de Mitterrand, devenir directeur de la garde rapprochée des FN et MNR, puis créer sa propre société de mercenaires gérant la garde du président Nguesso et s’occupant de sécurité pétrolière au Gabon.
Au-delà, les scandales français aidant et l’anti-communisme devenant moins prégnant que durant la guerre froide (d’où la mort du SDECE déjà évoquée), on voit plus qu’auparavant émerger sur une chaîne variée (SMP/PMC, agences, milices, vendeurs, intermédiaires, etc …) un dégradé complexe de personnages qu’on peut découper selon 3 grands profils pour synthétiser le tout.
D’une part, on trouve ceux qui travaillent directement selon l’intérêt (voir sous les ordres) des pays occidentaux, comme par exemples les généraux F. Mermet (actif dans le PPP Stratco et le privé Salamandre) et J. Lacaze ; celui qu’on a surnommé le « Sphinx » pour son silence autant que son appartenance à la GLCS maçonnique qu’il a fondé juste avant sa mort, est un saint-cyrien à la carrière exemplaire qui a servi dans l’infanterie (Tunisie, Indochine, Algérie, Tchad, Zaïre, etc) et a été récompensé sous VGE. Il devient en 86 conseiller de la Défense sur les relations militaires avec les pays signataires d’accords, tout en conseillant directement plusieurs chefs africains (notamment l’ivoirien Boigny, le zaïrois Mobutu et le congolais Nguesso) et en contribuant à armer le régime irakien de S. Hussein contre l’Iran. Ce militaire qui a donc toujours défendu les intérêts nationaux et qui va se présenter comme député européen (CNIP puis UDI) totalise 6 distinctions françaises (diverses croix militaires ainsi que la LH) et meurt en 2005.
D’autre part, il y a ceux qui sont capables d’un total double-jeu, servant alternativement le pouvoir de leur pays et leur employeur privé ou étranger, tels le discret P. Legorjus (PHL Consultants, Stirling / Atlantic Intelligence, conseil du Comité olympique, d’Air France et de 150 sociétés comme Total, Bouygues, Danone, Axa, etc) ou le plus célèbre capitaine P. Barril ; viré des services français au terme d’une carrière marquante, négociateur de choix (notamment avec Action directe et le FLNC) il va lui aussi créer un vaste groupe à son nom avec des branches spécialisées et leurs clients prestigieux en France (Casino ou Dassault) comme ailleurs (conflits au Proche-Orient, Congo en guerre civile, tensions en Centrafrique, etc) tout en restant en lien direct avec le pouvoir via son prédecesseur au GIGN C. Prouteau ou le conseiller spécial F. de Grossouvre dont on a parlé. Mais l’alternance arrivant, il n’hésitera pas à retourner sa veste pour satisfaire les réseaux néogaullistes en balançant des infos sur les écoutes de la cellule élyséenne afin de s’attirer les bonnes grâces de la chiraquie en vue de juteux contrats.
Et enfin, il reste bien sûr les mercenaires sans foi ni loi, prêts à se retourner contre leur capitale tel T. Rouffaud (ancien de la DGSE qui travaille ensuite pour l’américain GOI devenu ILS) ou le corsaire R. Montoya ; gendarme pourtant émérite, il commence par trahir Total en faveur d’Exxon-mobil au Cameroun avant de faire carrière au Togo en s’occupant des forces anti-émeutes du régime militariste d’Eyadéma, puis bosse via son groupe SAS pour les pouvoirs zaïrois et gabonais. Désormais acteur majeur du marché africain ici évoqué, c’est comme dirigeant de Darkwood qu’on se souviendra de lui puisqu’il va vendre au régime ivoirien les avions que celui-ci utilisera pour pilonner l’armée française à Bouaké en 2004 (lors d’une crise qu’on détaille plus bas) et sera à l’origine du recrutement et de l’exfiltration des pilotes biélorusses de cette opération !
Dans ce maelstrom fructueux entre privé et public, national et multinational, militaire et para-militaire, avec parfois de l’opportunisme selon l’alternance politique, certains partenaires « amis » de la France vont choisir une valeur stable pour leurs « petites » affaires : cela va nous mener à un des plus gros dossiers françafricains qui éclate dans une décennie 90 entamée par une guerre du Golfe – où, pour mémoire, la France a engagé 20 000 soldats pour faire chuter son ancien « ami » devenu encombrant.

Le(s) scandale(s) Elf
Ironie ou simple retour de bâton, c’est grâce à son PDG fraîchement parvenu -P. Jaffré- que les dérives d’Elf Aquitaine sont dévoilées : en voulant nuire à son rival et prédécesseur socialiste par des révélations, ce balladurien va faire prendre conscience des pratiques éternelles de la « boîte noire » et en signer l’arrêt de mort via rachat par Total – dans la foulée d’une affaire nigériane pour soudoyer le général Abacha en 95.
Bien que très représentative, Elf n’est pas la seule société française d’ampleur à faire du business africain : Bouygues, Castel, Bolloré, Areva ou Véolia ainsi que bien d’autres ne sont pas en reste dans leurs domaines respectifs. Mais celui d’Elf, le pétrole, reste un domaine hautement rentable, confiné à quelques territoires identifiés, présentant des avantages en matière de transport (pipe-lines, supertankers, etc) et très valorisable vu la demande sur le marché mondial. Les gouvernements successifs, en France et en Afrique (Gabon, Congo, Niger, Tchad, Cameroun, etc), vont donc s’entendre bon gré mal gré pour en tirer un maximum – comme nous l’avons déjà évoqué précédemment. Seulement, ces pratiques atteignent des summums d’immoralité durant les années 80, en pleine période de coexistence des réseaux Mitterand et Pasqua qui s’illustre ici.
L’affaire débute, pour sa partie judiciaire, à la financière en 94 sur une enquête du parquet parisien pour abus de biens sociaux mouillant le mitterandien Le Floch-Prigent, PDG d’Elf entre 89 et 93 – qui avait auparavant officié chez Rhône-Poulenc ; celui-ci a pourtant su ménager les gaullistes de la « pompe à fric » du pétrolier à commencer par l’énarque A. Tarallo, corse (comme la plupart du réseau de C. Pasqua dont J.C. Marchiani, A. Guelfi, D. Léandri, etc) et proche du futur président de la République, ce dont J. Chirac sera reconnaissant en nommant dès son élection LFP à la tête de la SNCF. Capable de manier les 2 facettes d’une France janusienne, ce dernier va aussi promouvoir son ancien collègue A. Sirven, maçon et militaire proche de Mitterand, expérimenté par son passage chez Mobil Oil, directeur des affaires générales d’Elf ; c’est d’ailleurs ce personnage qui va mouiller R. Dumas via sa maîtresse C. Deviers-Joncour dans l’affaire voisine dite des « frégates de Taïwan » (commissions Thomson indues) qui sera traitée en 2008 par le juge R. Van Ruymbeke.
Pour l’heure c’est E. Joly qui retrace partiellement (faute de moyens et souvent de secret bancaire) notamment avec l’aide du juge suisse P. Perraudin certaines opérations off shore « simples » (entre Liechtenstein, Panama, Tortola, îles Vierges, Philippines, etc) du portail financier d’Elf : la FIBA, dont une bonne moitié appartient au président Bongo et qui est directement liée à la filiale suisse Rivunion. Des commissions occultes, facilitations diverses, corruption directe, avances et prêts sont identifiés dans un lot de malversations quotidiennes dont l’État (soit le Budget, la Finance et les Douanes voire l’Élysée et la Coopération) a toujours été régulièrement informé ! A la mi-97, une perquisition a lieu dans les locaux de l’ex-tour Elf à Courbevoie qui conforte l’instruction et le grand public dans la connaissance des activités d’espionnage et d’ingérence concomitantes aux autres pratiques normalisées dans l’entreprise – considérée comme un « état dans l’état » ; on retrouve donc trace des rapports concernant les évènements au Congo brazaville dès 93. Par intérêt cynique, Elf a voulu y empêcher une révolte populaire de triompher en consentant à des prêts spéculatifs gagés sur du pétrole pour armer (et s’obliger) les 2 factions opposées prêtes à la guerre civile, ce qui va dévisager la région à plus d’un titre. L’opposition de Lissouba (principalement soutenue par le pétrolier américain Oxy qui veut prendre le marché local) est approchée par Sirven et l’intermédiaire belge J. Monsieur, tandis que le camp Nguesso reçoit son soutien du Rwanda, du Tchad, des cobras et de Mobutu, de l’armée angolaise et des mercenaires français via Tarallo. Le conflit va durer et se propager à l’est, au Zaïre voisin que Kabila rebaptise RDC après y avoir renversé Mobutu en 96 avec l’aide de rebelles de l’ouest (on y revient ci-dessous) – avant de se retourner contre eux dans une nouvelle guerre ! Bref : toute la zone, et particulièrement le Kivu qui va servir d’épicentre à l’horreur meutrière de diverses factions locales durant 20 ans, est déstabilisée durablement.
Si les têtes pensantes des partis politiques français sortent indemnes du procès de 2003, même après appel et malgré une valse des ténors du barreau et la disparition (!) de plusieurs scellés, 30 des 37 prévenus sont condamnés, 13 écopent de prison ferme (jusqu’à 5 ans) et d’amendes substantielles. Mais n’oublions pas le vrai « bilan » de cet échiquier poisseux d’or noir : des millions des morts cumulés et des dizaines de milliers de viols lors des multiples conflits congolais s’étalant de 93 à nos jours !

Génocide des tutsis
Mais un massacre encore plus virulent que celui là (et même que celui faisant 200 000 morts perpétré durant le régime de « terreur rouge » du somalien Mengistu avec complicité américaine) s’est déroulé entre temps au Rwanda voisin, dans des circonstances troubles dont nous allons passer quelques aspects en revue.
Historiquement, ce conflit prend source dans un colonialisme belge qui a institué dès 31 une carte d’identité différentialiste pour s’appuyer sur l’élite minoritaire tutsi (14% des 7 millions de rwandais en 90) non sans alimenter une certaine frustration communautaire (plus qu’ethnique ou culturelle, tous les rwandais parlant la même langue et se mélangeant volontiers) au sein de la majorité hutu.
Des tensions « raciales » commencent dès l’indépendance en 1959, avec déjà un dessein génocidaire vis-à-vis des tutsis dès les massacres de 63. Le président « modéré » Habyarimana va dès 73 jouer l’apaisement tout en instrumentalisant ce contexte pour rester au pouvoir d’un régime « monoethnique » avec l’appui de ses loyalistes hutus du FAR pour imposer des quotas. Il va se heurter à l’opposition farouche des réfugiés tutsis menée par Kagamé et ses rebelles du FPR, qui sont arrêtés dans la conquête du pays par l’opération française Noroît fin 90. Une négociation menée en Tanzanie aboutit pourtant le 4 août 93 à l’accord Arusha qui valide un partage du pouvoir entre les 2 camps ; il est cependant vécu comme une victoire tutsie par beaucoup d’endoctrinés du « hutu-power », exaltés en cela par une propagande d’état aux multiples canaux (Radio Mille Collines très écoutée dans ce pays à 95% d’analphabètes, Kangura et autres titres de presse orientés, etc).
C’est alors que revenant à Kigali accompagné de son homologue burundais Ntaryamira le 6 avril, le président Habyarimana est abattu en plein atterrissage de main experte par 2 missiles tirés dans les environs du camp Kanombe – où résident des hommes du FAR et les coopérants français. Sortant de « nulle part », le corsaire Barril récupére alors ce qu’il présentera indument à la télé hexagonale comme la « boîte noire » de l’avion (dont le constructeur Dassault affirmera qu’il n’en était pas équipé !) ainsi que d’autres éléments -jamais présentés mais- accréditant une culpabilité du FPR dans l’attentat et donc des massacres qui vont suivre. C’est d’ailleurs cette thèse que va valider la quasi-totalité de l’info écrite (comme S. Smith chez Libé ou P. Péan qui confine au négationnisme pro-hutu) ou des officiels français (tel P. Quilés et sa commission qui va enterrer les questions trop sensibles) et des ONG (dont Amnesty et RSF, probablement mal informées ou manipulées) voire des magistrats (le juge Trévidic se révélant plus objectif et audacieux que son prédécesseur Bruguière), incapable de penser autrement devant l’impraticabilité de théories bancales comme la « piste belge » parfois évoquée alors que Bruxelles perd 10 casques bleus le lendemain durant l’assassinat du 1er ministre Uwilingiyimana par la garde présidentielle FAR en même temps qu’elle élimine nombre d’habitants du secteur de l’attentat ainsi que des opposants hutus dans la capitale. Ceci le jour même, évoqué en début d’article, d’un certain « suicide » à l’Élysée d’où les instructions militaires partent vers le terrain – via le dispositif du COS au ministrèe de la Défense alors dirigé par F. Léotard.
Précisons à ce stade qu’il ne faut pas passer sous silence les exactions commises depuis lors par le FPR au Rwanda ou au Congo. Mais contrairement à un symétrisme obscène pratiqué ici et là, force est d’admettre que ces actes condamnables demeurent sans commune mesure avec la fulgurance du coup d’État des génocidaires et surtout l’ampleur de ce qu’il convient d’appeler un génocide tous deux préparés de longue date avec un soutien financier et militaire français sans lequel aussi bien le décompte des troupes du FAR (multipliées par 8 en 4 ans pour frôler les 50 000) que leur formation (par l’assistance de centaines d’officiers français de l’AMT et du DAMI) ou leur encadrement (par des gradés français comme Lanxade, Thibault, Chollet, Quesnot, Huchon, Maurin, etc) n’aurait atteint ce niveau critique. Sans oublier que le gouvernement d’urgence d’emblée reconnu à Paris se forme autour de T. Bagosora à l’ambassade française de Kigali – tandis que la France vote le retrait des casques bleus !
Heureusement, la culpabilité improbable d’un FPR qui venait de gagner la négociation et n’avait aucun intérêt à déclencher ce chaos n’a pas obsédé tous les esprits ; quelques personnalités (journalistes, auteurs, documentaristes, etc) ont mis en doute cette version et enquêté voire recueilli des témoignages sur le terrain comme : C. Braeckman, P. de Saint-Exupéry, F. Fritscher, M. Mas, G. Kapler, J-P Gouteux, S. Farnel, M. Malagardis, etc. Leur objectivité soutenue par quelques organismes (tels FIDH, HRW, AR, TPIR, GRIP, etc) permet de revenir sur l’essentiel … à savoir un million de tutsis (ou d’opposants hutus) liquidés en seulement 3 mois : des escadrons « populaires » pratiquant nos méthodes « contre-subversives », églises et écoles systématiquement passées au feu et à la grenade pour atomiser sommairement les réfugié(e)s jusqu’au stade Gatwaro à Kibuye qui fut le lieu d’un mitraillage de foule orchestré – dont les témoignages ravivent la plus sinistre mémoire européenne et ses images de pelleteuse au milieu des charniers ; sans oublier les collines de la région Bisesero où des français « commençaient » à l’arme lourde (roquette, mortier) pour débusquer des tutsis que « finissaient » des complices hutus à la machette double-face – armes dont le nombre et le type étaient tout à fait inhabituels. Et voilà d’ailleurs où se pose sérieusement la question d’une participation directe de soldats français (présents à l’époque comme le confirme le canadien R. Dallaire) dont certains auraient été reconnus par des rwandais, survivants ou complices, lors de l’opération française Turquoise de fin juin prétendant sauver les victimes et s’interposer entre les parties d’un conflit alimenté dès la racine par le néocolonialisme franco-belge ; la vision d’ensemble s’en trouve masquée par un tribalisme artificiellement entretenu et le symbolisme béat du coupe-coupe menant au fantasme collectif d’une sauvagerie spécifiquement africaine.
Cependant le FPR aura repris tant bien que mal le pouvoir au Rwanda et c’est donc malgré une des pires horreurs du siècle dénoncée bien plus tard par la commission Mucyo (sans compter de nombreux réfugiés causant l’aggravation du conflit congolais voisin évoqué plus haut), que la transition politique de 95 va concentrer l’essentiel de l’attention en France.

Période Chirac
Élu de peu face à un Balladur (alors épaulé par Sarkozy) qui ne dispose pas des mêmes facilités, Chirac est la tête de pont des réseaux RPF/RPR (devenu UMP en 2002) mais c’est pourtant durant ses 2 mandats que les plus grandes mutations vont s’opérer dans la géopolitique française et mondiale. D’une part car vont rivaliser la ligne gaulliste « traditionnelle » et son versant socialiste plus « diplomatique », puisque 2 cellules africaines coexistent alors : l’une autour de Foccart qui fait son ultime retour et l’autre dans un axe plus dépendant du ministère des Affaires Étrangères – qui va prendre le dessus. D’autre part parce que l’âge avancé des acteurs de la première époque va les voir s’éteindre les uns après les autres pour laisser place à de nouvelles générations, même si certaines pratiques perdurent évidemment. Enfin, parce que les évènements mondiaux et locaux vont faire de ces 12 années une période relativement complexe et chaotique, qui va mettre à rude épreuve les apparences affichées par toute la classe politique.
La guerre du Golfe en 2003 est un exemple de ce masque d’apparence qui relance le fantasme de Fachoda : le président et son ministre Villepin vont afficher leur opposition au camp anglo-saxon en faisant mine d’une rupture avec les ingérences passées, tandis qu’en coulisse les financements françafricains (provenant de Wade, Compaoré, Gbagbo, Bongo, Nguesso) affluent toujours – de l’aveu même d’un intermédiaire comme R. Bourgi. Autre devanture trompeuse durant la cohabitation dès 97 : Jospin et Védrine vont officiellement « achever » la coopération pour privilégier Bercy et le quai d’Orsay … tandis que perdure une cellule officieuse dirigée après la mort de Foccart par son proche collaborateur F. Wibaux et l’historique M. Dupuch. Le « pragmatisme » reprend donc vite le dessus : soutien discret envers Vieira (qui sera assassiné un an plus tard) dans la guerre civile guinéenne, aide plus directe vis-à-vis du régime policier de Ben-Ali en Tunisie dont on va reparler bientôt, et laisser-faire des activités de Total avec C. de Margerie à sa tête pour remplacer Elf au même poste, etc. Et puis, comme imagé dans le propos chiraquien rapporté par le Canard Enchainé en juillet 99 (« Il faut bien que les dictateurs gagnent les élections, sinon ils n’en feront plus « ), c’est aussi la période d’un silence complice loin des pieux discours sur une démocratie niée par les élections truquées (et parfois népotiques) avec par exemple :
En 96 au Bénin, tout comme en 91, un résultat des élection manipulé pour complaire à des arrangements privés entre Soglo et Kérékou qui s’échangent le pouvoir pour en conserver autant que possible, enlevant tout sens au scrutin.
Au Togo en 98, avec l’autocrate Gnassingbé Eyadéma qui est « réelu » dans des conditions où la pluralité est inexistante après 31 ans de pouvoir assurés par coup d’État et parti unique ; Faure, son fils, réitère cet « exploit » en 2005 après modification de la constitution pour lui permettre de succéder « démocratiquement » à son père défunt – avec l’adoubement de Paris.
En 2001, peu de réaction face aux pratiques du dirigeant au parti unique I. Afeworki qui viole la constitution érythréenne en n’organisant tout simplement pas les élections promise en 97, et en emprisonnant la contestation et le journalisme local dans ses geôles aux 10 000 prisonniers politiques.
L’homme de paille des généraux algériens, Bouteflika, est « réelu » en 2003 avec 85% des voix (!) tout comme il va l’être en 2009 et le sera en 2014 – s’il vit jusque là ; en attendant, personne ne questionne sérieusement le régime autoritaire et corrompu qui tient le pays depuis son « indépendance ».
En 2004, c’est au Cameroun que l’élection de P. Biya, au pouvoir depuis 82, pose question d’autant qu’il va changer la constitution pour pouvoir se représenter (et « gagner ») à nouveau en 2011. Il en est à son 6e mandat à ce jour …
Et un peu partout, les « fils de » prennent des places à responsabilité servies sur un plateau doré : Karim Wade au Sénégal, Alpha Mohamed Condé et Teodorin Nguema en Guinée, Denis Christel Nguesso au Congo, Jean-Francis Bozizé en Centrafrique, les 5 enfants Deby au Tchad, ceux de l’ami chiraquien Kadhafi en Lybie, etc. Bref, les dynasties africaines ont de l’avenir !
Enfin, de manière plus souterraine, les réseaux ont la vie belle sous Chirac notamment autour d’une « French Connection » (essentiellement corse) qu’on retrouvait fin 94 dans le dossier du Darfour, soutenant et armant les troupes du régime soudanais religieux de Tourabi puis du militariste Bechir qui massacrent les opposants du voisin tchadien Deby et offrent refuge aux rebelles centrafricains, le tout avec l’aide des services français sous influence d’un ministre de l’Intérieur néogaulliste pour le moins voué à l’extérieur : avant d’être remplacé par Debré puis Chevènement, Pasqua obtenait même la capture du terroriste Carlos en « cadeau » de Khartoum. In fine, on estime que ces évènements complexes, démarré sous Mitterand et qui durent encore, auront causé 300 000 morts et des millions de réfugiés en 20 ans dans un Soudan militariste déjà ravagé par les massacres civils entre 55 et 72 (500 000 morts pour l’autonomie) et autour de 83 (2 millions de morts pour le pouvoir pétrolier), complice du régime syrien d’Assad qui y teste déjà ses armes chimiques au début des années 2000. Mais ce n’était pas encore ici que le système Pasqua s’illustrait le mieux …

Pasquagate
… mais plus au sud de l’Afrique, dans le scandale surnommé Angolagate. Le procès instruit par P. Courroye et I. Prévost-Desprez s’ouvrira en 2008 soit presque 15 ans après les faits, pour établir que ses réseaux y ont contribué à la guerre civile en vendant des armes soviétiques aux rebelles angolais dans l’UNITA de Savimbi (comptant dans ses soutiens USA, Chine, Israël, Gabon, Maroc, Zaïre, Côte d’Ivoire, etc) pour affronter le MPLA d’un régime Dos Santos (paradoxalement aidé par le camp soviétique plus l’Algérie, la Tanzanie, la Guinée, etc) opposé aux intérêts français du Congo voisin. Nonobstant cette « rivalité » apparente, les grandes puissances s’entendent en coulisse pour partager le pétrole océanique et assurer un arrosage de divers canaux complices : français, américains, russes et israëliens croupissent ensembles dans ce marécage lucratif. Les rétro-commissions représentent environ 10% du trafic, et pour la France cela se passe via les structures fantôches Sofremi/Brenco de P. Falcone (proche des pétroliers américains autour de G.W. Bush) avec son conseiller A. Guilloux qui le met en lien avec l’affairiste international A. Gaydamak (lié au KGB et au Mossad ainsi qu’à la famille Dassault via la Sotradoc), ceci afin de couvrir les bénéficiaires finaux de ces transactions : le RPF, l’AFAO et le Conseil Général des Hauts-de-Seine via le corse J.C. Marchiani ne répondant qu’aux ordres de C. Pasqua lui-même, à la tête de toutes ces structures et donc tout en haut de cet organigramme tordu. Y figure d’ailleurs R. Feliciaggi, spécialiste des jeux en Afrique (PMU gabonais, Fortune’s Club camerounais, etc) et du marigot des casinos franco-africains ainsi que des cercles Colonna en Corse, qui finira façon tonton flingué. On y retrouve aussi l’irakien N. Auchi, proche de S. Hussein et qui officiait dans le volet espagnol de l’affaire Elf, trafiquant ici par la société Tradinco avec le corse E. Leandri via la banque continentale du Luxembourg – où Boigny, Kadhafi, Mobutu, Bemba, Hussein, Bokassa et bien d’autres ont leur cassette. Mais sont également éclaboussés d’autres influents comme P-L Sulitzer, J-C Mitterand et J. Attali qui en ont tiré un bénéfice sonnant et trébuchant, ou comme H. Védrine qui a rencontré Guilloux pour évoquer les ennuis fiscaux de son patron, niant ensuite être intervenu en faveur de qui que ce soit.
Certains protagonistes de ces montages financiers sur fond de guerre pétrolière seront amendés et écroués, d’autres y échapperont à la faveur de quelque vice de procédure. A la fin des fin, Pasqua et son système mafieux enfin mis à jour auront quoiqu’on en dise chutés mais non sans contribuer à 17 ans de conflit angolais faisant 500 000 morts.

Omniprésidence Sarkosy
Mais « heureusement » la rélève est là : le jeune maire de Neuilly (comme le fût Pasqua), dont le premier mariage (avec Pasqua pour témoin) était corse, va reprendre en main les structures opaques des Hauts-de-Seine (laissées par Pasqua) avant de faire une montée spectaculaire vers le pouvoir par le ministère de l’Intérieur (tout comme Pasqua). C’est en abusant du mot « rupture » qu’il va perpétuer la thèse sur le « rôle positif » du colonialisme à Dakar, s’entourer de certains collaborateurs comme Bourgi (ex proche de Pasqua) et de fidèles émissaires en Afrique (les sulfureux Guéant, Hortefeux, Balkany, Estrosi, etc) voir de transfuges socialistes (comme Bockel, Kouchner ou Besson) pour cautionner une « ouverture » de façade tout en recevant la plupart des autocrates d’Afrique et du Moyen-Orient (Kadhafi, Rajoelina, Bozizé, Déby, Biya, Nguesso, Bongo, Gnassingbé, Compaoré, etc). Sarkozy est bien l’homme d’une realpolitik intégrale, notamment sur 2 plans : le premier est d’abonder dans le sens d’une dérive sécuritaire, autant due à sa carrière à l’Intérieur qu’à l’inclination anglo-saxonne devenue mondiale de s’obséder d’islamo-terrorisme depuis le 11 septembre (sur lequel on ne peut s’attarder ici vu l’improbabilité de la thèse officielle autant que des nombreuse « théories » complotistes et manipulatoires qui demanderaient un long et pénible déminage hors-sujet) ; le second est de concevoir sa fonction présidentielle comme celle d’un démarcheur de la France dans un monde concurrentiel (surtout depuis l’émergence chinoise et indienne) qui ne fait quasiment pas une sortie à l’étranger sans être flanqué, outre ses fidèles et apparatchiks du moment, d’une brochette opportune de PDG et VRP d’entreprises françaises (Areva, Total, Alstom, Dassault, etc) parmi lesquels ses proches Bolloré et Lagardère. Il représente fidèlement cette nouvelle génération aux dents longues qui prend la place des anciens qui s’éteignent.
D’ailleurs au milieu des décès des initiateurs de la françafrique, celle de l’ivoirien Houphouët-Boigny fin 93 ne passe pas inaperçue car sa succession va se dérouler dans une violence croissante : son héritier « naturel » Bedié agite une artificielle ivoirité pour mieux règner par l’exclusion avant d’être renversé par des militaires sous l’égide de Guéï en 99. A partir de là, la rivalité pour le pouvoir civil va se jouer entre Gbagbo et Ouattara qui vont s’affronter par les urnes – et les armes. Le premier a, malgré son discours nationaliste, le soutien plus ou moins distendu du parti socialiste et va « gagner » le scrutin de 2000 en excluant plusieurs rivaux non sans déclencher des épisodes de guérilla durant lesquelles il bombarde par erreur (?) une base française, déclenchant l’ire de Paris. Le second remporte donc assez logiquement les élections de 2007, avec le soutien d’une sarkozie fraîchement intronisée, même si l’on n’apprécie guère sa fibre américaine à l’UMP – ni surtout au FN. Mais Gbagbo ne reconnaît pas sa défaite et se bunkérise au palais d’Abidjan, peu à peu isolé du reste du monde durant 4 mois de conflit sanglant. Ouattara dirige sa rébellion depuis l’hotêl du Golf avec l’appui français jusqu’à l’assaut final. Escortées par l’armée française sous mandat onusien, les forces ouattaristes arrêtent l’ex-président pour le remettre à la justice internationale de la Haye. Ainsi s’achève la première grosse action sarkozyste en françafrique.
La seconde intervient après une parenthèse printanière démarrant avec l’inflexible ministre de la Défense M. Alliot-Marie qui propose devant l’Assemblée nos CRS français pour aller bastonner la révolution tunisienne qui va faire chuter Ben Ali début 2011 tandis que le 1er ministre Fillon rentre de vacances d’Egypte où son ami Moubarak subit le même sort le mois suivant ; suite à cela, et notamment pour des raisons de financement occulte via Z. Takieddine (également compagnon de piscine de J-F Coppé), Sarkozy va donc se voir acculé à une hasardeuse intervention lybienne à grand renfort de l’agitateur B-H Levy en faveur des rebelles contre Tripoli. Le cas Kadhafi est donc soldé avec appui des USA mais les affaires vénales émaillent tout le mandat jusque 2012 : les frégates saoudiennes de Karachi (où l’on retrouve Bazire et Gaubert sur fond de financement Balladur), l’enfilade à rebondissement du dossier Woerth-Bettencourt et les moultes dérapages et/ou malversations de la sarkozie qu’on ne pourra pas lister ici vu leur nombre. Cerise sur le gâteau, des fuites organisées fin 2010 par Wikileaks vont achever une image déjà catastrophique partout et jusqu’en France de l’exécutif UMP.

Hollandie sans « changement »
Pourtant réputé peu charismatique voire mollasson malgré ses tentatives d’imiter la « force tranquille » de Mitterand, c’est lui qui remporte le second tour de 2012 – probablement aidé par les impopularités récurrentes de son exhubérant rival et de sa clique. Mais la différence s’arrête à la forme ; sur le fond, le nouveau locataire de l’Élysée va très vite tenir le même discours sur le « terrorisme islamique » pour pratiquer le même interventionniste mâtiné de purs intérêts économiques en Afrique. Avec mandat onusien pour légitimation, « Flamby » bombe le torse début 2013 dans un conflit malien où le régime Keïta affronte une alliance de circonstance entre la rébellion touareg et les salafistes locaux ; au-delà des intentions affichées, il s’agit bien sûr de servir les intérêts nucléaires français (seul pays au monde à produire 65% de son électricité par ce biais) incluant ceux de la société privée Areva dans les mines maliennes ; mais il s’agit aussi pour le président d’adresser un message national au passage, en démontrant qu’il peut faire preuve de « poigne » au moins en politique étrangère.
En réaction à une ingérence française continue autant qu’à la bunkéristaion des multinationales qui disposent de moyens de défense démesurés dans leurs implantations néocoloniales, ce sont des employés de PME ou d’ONG plus fragiles voire des personnes isolées comme les journalistes qui servent désormais de menu fretin aux preneurs d’otage ; cela se constate entre autres exemples dans les évènements funestes qui ont touché le complexe gazier d’In Amenas en Algérie, Y. Lambelin en Côte d’Ivoire, D. Allex en Somalie ou encore G.Dupont et C. Verlon au Mali ; il y a bien sûr un lot d’issues plus heureuses comme pour la famille Moulin-Fournier au Cameroun et F. Collomp au Nigéria. Mais le marché de la sécurité évoqué plus haut peut donc compter sur une croissance continue dans un tel contexte !
Côté « démocratie », Mugabe se reconduisait il y a peu comme chef incontesté du Zimbabwe depuis 33 ans, gagnant des « élections » dès le 1er tour (!) dans un grand silence international ; tout comme Kagamé, il est absent du sommet parisien sur la paix et la sécurité en Afrique, auquel assistent une quarantaine de ses homologues dont l’antique P. Biya, déjà en place à l’époque gaulliste ; le « changement » c’est pour demain ! Quant à l’actualité : ces dernières semaines, c’est une Centrafrique réputée « au bord du génocide », n’ayant connu que de tristes diktats souvent orchestrés par la France (Bokassa, Dacko, Kolingba, Patassé, Bozizé) en dehors de la période Boganda (années 50), avec des populations affamées par plusieurs factions opposées ayant renversé le pouvoir l’an passé sur fond de division entre musulmans et chrétiens, qui préoccupe les esprits et déborde sur ses pays voisins (plus de 50 000 réfugiés notamment au Congo) d’où proviennent aussi quelques éléments déstabilisateurs (principalement du Soudan). La France vient de lancer une intervention armée, destinée -comme d’habitude- à ne pas durer, avec aval de l’ONU.
Le printemps des peuples ne serait donc resté qu’arabe pour l’instant et n’aurait d’ailleurs pas encore vraiment fleuri vu les tensions confessionnelles et (para-)militaires qui demeurent en Tunisie, en Egypte ou encore en Syrie – dont les puissances semblent s’accomoder vu l’imbroglio entre régime Assad et rebelles islamistes dans une résurgence de guerre froide (avec une russie autoritaire et plus que jamais proche du Front National) à laquelle s’ajoutent conflit israëlo-palestinien et complexité sunnito-chiite. Comme on l’a vu tout au long de ce dossier, la françafrique n’a de cesse de renaître puisqu’elle ne fait que semblant de mourir à chaque changement d’exécutif, incluant quasiment toute la classe politique jusqu’à l’extrême-droite et contentant les élites décisionnelles civiles et militaires en Afrique. Le péril jaune vient remplacer l’apparence de défiance gaulliste vis-à-vis des USA et l’on cantonne l’islamisme au rôle repoussoir du communisme d’hier. Les hommes passent, les entreprises fusionnent, les peuples souffrent et les pratiques demeurent. Mais au milieu de ce chaos sans fond et apparemment sans fin, essayons d’élever un instant notre regard pour saluer le départ d’une des rares personnalités à avoir fait progressé le continent noir vers des jours meilleurs, rompant avec ces cycles infernaux pour donner un peu d’espoir en un réel changement à venir : N. Mandela rendait l’âme la nuit passée, nous léguant son œuvre politique -au bas mot- exemplaire.

Sources :
L’argent roi
Bio de Mitterrand
Création de la DGSE
Discours de la Baule
L’Afrique aux premières loges
La mitterrandie mondialiste
Assassinat de Thomas Sankara
Scandale Pechiney
Un mort à l’Elysée (F. de Grossouvre)
Le suicide de P. Bérégovoy
Soubresauts du Tchad
Afrique sans dette
Conférence F.X. Verschave
Analyses complètes du CFA
Courcelle et le DPS
Sociétés militaires privées à la française
Mercenariat nationaliste
Le général Lacaze
Barril : capitaine multicarte
Les écoutes élyséennes
Montoya, âme damnée
Les affaires Elf
Les affres de Jaffré
Dumas, Taïwan et les frégates
Les conflits congolais
Le Rwanda – J. Morel
Un attentat français ?
Mission d’information Quilès
Le rapport Trévidic
Un massacre français ?
Entretien avec Dallaire
La bombe Bourgi
Soglo et Kérékou, illégaux
Togo 1998
Chirac cautionne Bouteflika
Népotisme africain
Séduction soudanaises
Angola : repères temporels
Pasqua et ses 10 années judiciaires
VID au 14 juillet
Sarko démarche le Maroc
Les patrons proches
Outtara vs Gbagbo
La Lybie finance l’UMP
Karachi en 3 minutes
Woerth-Bettencourt pour les nuls
Wikileaks 2010
Serval au Mali
Prises d’otage
De Boganda à Bozizé
Afrique-France
Crise en Centrafrique
Une vie contre l’apartheid