La dette : une arnaque à géométrie variable.
La dette ….
C’est à cause d’elle que les finances de la France sont plombées, qu’on ne peut plus investir dans la recherche, les infrastructures, la santé, l’éducation et la solidarité.
C’est à cause d’elle qu’on doit raboter les acquis sociaux, les retraites, la sécurité sociale, les aides sociales, qu’on doit augmenter les impôts, la TVA… installer des plans d’austérité.
Bref, comme essaient de nous le faire croire les experts « chiens de garde » d’un système capitaliste mondialisé auquel appartiennent la plupart des médias les plus courants (presse, radios, télévision), je cite : « un ménage ne peut pas dépenser plus qu’il ne gagne, sauf à s’endetter. Un jour, il faut bien qu’il rembourse ses crédits« . Faux : tout étudiant de première année en économie, dès qu’il aura commencé les cours de comptabilité nationale vous démontera cette escroquerie comptable en quelques secondes.
Mais l’Histoire nous montre aussi que la Bête « Dette » ne se nourrit pas des pays de la même manière, et qu’au détour des puissances, elle dévore les faibles et sait servir les puissants.
« Pacta sunt servanda » ne vaut pas pour tous…
Il existe plusieurs types de « Dettes »
La dette des Etats
C’est l’ensemble des emprunts (l’encours) qu’un Etat a émis ou garanti auprès de prêteurs privés et dont la différence est comparée au produit intérieur brut (PIB), richesse réelle de l’Etat. Si l’encours est supérieur au PIB, on dit qu’il y a dette de l’Etat : c’est donc le fait de passer par des prêteurs privés et d’avoir cédé la création de monnaie aux banques, deux des facteurs importants avec la fiscalité et les cotisations, qui a amené l’Etat a s’endetter sur le long et moyen terme.
La dette odieuse
C’est une jurisprudence1 mise en place entre autres par Alexander Nahum Sack, Patricia Adams, Joseph Hanlon, Jeff King, Ashfaq Khalfan, Bryan Thomas, en matière de droit international, relative à une dette contractée par un régime et qui sert à financer des actions contre l’intérêt des citoyens de l’État – et dont les créanciers avaient connaissance. La dette est alors dite « odieuse » lorsqu’elle a été contractée par une dictature et qu’elle doit être remboursée lors de la transition démocratique. Le régime qui les a contractées en est alors le seul redevable.
La dette illégitime :
Elle se définit selon quatre critères.
- Si les créanciers avaient connaissance de l’illégitimité du prêt.
- En fonction des circonstances du contrat, si le rapport de force était en faveur du créditeur, et que le débiteur était mal ou pas informé, ou que le peuple n’était pas d’accord.
- En fonction des termes du contrat, s’ils sont abusifs ou que les taux sont considérés comme usuraires…
- En fonction de la destination des fonds, si leur utilisation ne profite pas à la population, et qu’ils bénéficient uniquement à une personne ou un groupe particulier.
(Source : CATDM)
L’Etat doit-il s’endetter pour investir ?
La France produit de la richesse chaque année : 2 000 milliards d’euros. Mais 35% de cette richesse profite uniquement aux propriétaires de l’outil de production, aux actionnaires et aux prêteurs. C’est une grande partie de ces 35% qu’ils ont ponctionnés qu’ils « reprêtent » ensuite -avec taux d’intérêt- à l’Etat. Ce marché de dupe n’a donc aucune légitimité puisque c’est de l’argent issu de la production nationale, la production de tous, qui sert de base à la création de la dette. Il suffirait donc de réinjecter directement ces 35% dans l’investissement, les infrastructures, la protection sociale etc… pour d’une part qu’ils les améliorent, et d’autre part faire disparaître la notion de dette.
Par exemple, comment ont été financés les CHU dans les années 1960 ? entre 1958 et 1975 s’est organisé un énorme investissement afin de créer des lieux de soins pour tous, de qualité avec des praticiens qui pratiquaient alors « en ville ». Ils ont été financés sans aucun appel au crédits, aux capitaux, aux prêteurs, aux actionnaires : juste en augmentant le salaire brut et de fait le montant des cotisations maladie (salariales et patronales), le surplus dégagé a pu être injecté dans la création de ces CHU.
Dans cet exemple, le contrefeu capitaliste s’est opéré par la création de la CADES (caisse d’amortissement de la dette sociale) en 1997 par Coppé. La recherche de capitaux pour le financement des hôpitaux s’est alors vu confié à des capitaux privés, et depuis 1979, n’a plus vu d’augmentation des cotisations patronales maladie. Par contre, ce type d’emprunt est soumis à un taux d’intérêt qui gonfle le montant dû et réduit d’autant les possibilités d’investissements futurs nécessaires… et crée de la dette !
Rembourser la dette, une obligation ?
Un document de la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (Cnuced) précise que « L’obligation que formule le droit international de rembourser ses dettes n’a jamais été considérée comme absolue et s’est fréquemment vue limitée ou nuancée ». Il est donc tout à fait possible de dénoncer des dettes « odieuses » ou « illégitimes ». Juridiquement, il est même possible de fournir des arguments juridiques pour suspendre, voire effacer ces dettes publiques quand elles accablent un peuple.
Si on se réfère à l’article 103 de la Charte de l’Organisation des Nations unies (ONU), qui stipule que « en cas de conflit entre les obligations des membres des Nations unies en vertu de la présente Charte et leurs obligations en vertu de tout autre accord international, les premières prévaudront« , on y relève à l’article 55 que les Etats s’engagent à permettre « le relèvement des niveaux de vie, le plein-emploi et des conditions de progrès et de développement dans l’ordre économique et social« .
Pourtant, parfois cela fonctionne.
- En 1898, les Etats-Unis déclarent la guerre à l’Espagne et « libèrent » Cuba. L’Espagne exige de Cuba le remboursement des dettes que Cuba avait contractée auprès d’elle au titre des frais d’agression. Redevable en tant que colonie d’une part de la dette publique espagnole, et redevable des frais d’agression, selon l’Espagne, Cuba soutenue par les Etats-Unis refuse de payer au titre que « on ne saurait exiger d’une population qu’elle rembourse une dette contractée pour l’asservir« .
- En 1918, l’URSS déclare qu’elle ne paiera pas les dettes contractées par le Tzar Nicolas II. Il est ici question de l’emprunt Russe qui a finalement épongé ses 400 millions de dollars suite à un accord en 1996 entre Paris et Moscou.
- Le 11 avril 2003, quelques jours après l’invasion de l’Irak, le secrétaire d’Etat américain au Trésor John Snow déclare que « de toute évidence, le peuple irakien ne doit pas être accablé par les dettes contractées au bénéfice du régime d’un dictateur désormais en fuite« . Finalement, la dette irakienne sera réduite de 80%…
- En 2001 la dette argentine s’envole à 80 milliards de dollars lors de son défaut de paiement. Cette dette doit en grande partie son origine à la dictature qui a sévit de 1976 à 1983. L’Argentine la qualifie alors de dette « odieuse ». Les marchés financiers font pression pour que cette dette soit honorée sous peine de sortir l’Argentine des marchés, mais celle-ci tient bon. Entre 2003 et 2009 elle enregistre une croissance autour de 8%, et renégocie sa dette. Elle obtiendra de la baisser à hauteur de 60% de sa valeur de départ, bien que 8% n’ont pas encore été renégociés et font l’objet de pressions de la part de fonds vautours.
- Entre 1951 et 1952 se tient à Londres la conférence internationale visant à alléger la dette de la République fédérale d’Allemagne (RFA). Les négociateurs américains, britanniques, français et allemands entendent les préocupations de l’Allemagne. Le 6 mars 1951, le chancelier Konrad Adenauer demande à ses interlocuteurs de « prendre en compte la situation économique de la République fédérale (…) notamment le fait que la charge de sa dette s’accroît et que son économie se contracte« . L’accord signé (aussi par la Grèce) prévoit une réduction d’au minimum 50 % des montants empruntés par l’Allemagne entre les deux guerres mondiales, un moratoire de cinq ans pour le remboursement et un un report sine die dudit remboursement pour la raison, comme le disait l’économiste Timothy W. Guinnane, que « réduire la consommation allemande ne constitue pas une solution valide pour garantir le paiement de sa dette« . Finalement et selon Eric Toussaint, du Comité pour l’annulation de la dette du tiers-monde (CADTM), la réduction des dettes allemandes se retrouvent réduites de 90 % !
Et pour la Grèce ?
L’allemagne, qui a su profiter de la compréhension des pays auxquels elle devait ses « dettes de guerre », ne fait pas preuve d’autant de « bon sens économique » vis à vis de la Grèce, et reste assise sur les « principes » des traités. Ces mêmes « principes » qui l’auraient sauvé selon l’historien de l’économie allemand Albrecht Ritschl : « ces mesures ont sauvé la mise à Bonn et jeté les fondations financières du miracle économique allemand ».
En Grèce, 50% des jeunes sont au chômage, 30 % de la population vit sous le seuil de pauvreté. Une partie de la dette est directement issue de la dictature des colonels (1967-1974), une autre a largement servi à renflouer les établissements de crédit français et allemands au préjudice de la population. Une partie non négligeable est issue de la corruption de dirigeants politiques. Les banques, comme Goldman Sachs qui a aidé le pays à dissimuler sa fragilité économique, ne sont pas exemptes de responsabilité non plus.
La Grèce a donc de multiples raisons de considérer cette dette à la fois comme illégitime et odieuse. Pourtant, le monde fait la sourde oreille et le rapport de force n’est pas en sa faveur.
Et alors ?
Le programme de Syriza n’a rien de marxiste. Plutôt tendance social-démocratie modérée. Mais rien que le discours tenu par ses dirigeants dérange les lobbies capitalistes banquiers et boursiers qui voient leurs futurs capitaux être âprement remis en cause. Suffisant pour que leur porte parole Christine Lagarde du FMI proclame dans « Le Monde » du 19 janvier 2015 « une dette est une dette » et que Benoît Coeuré, membre du directoire de la BCE, assène « la Grèce doit payer, ce sont les règles du jeu« , soutenu par le front national qui renchérit avec « la Grèce a le devoir éthique de rembourses sa dette« .
Pourtant le Financial Times faisait remarquer dans son éditions du 27 janvier 2015 que ce « remboursement requerrait de la Grèce qu’elle fonctionne comme une économie esclave« , mais rien n’y fait.
Ces « règles du jeu », ce « devoir éthique » ne sont pas les mêmes pour tous. Un pays seul peut faire face aux vautours banquiers qui spéculent tant sur ses remboursement que sur sa chute. Les pays puissants économiquement comme les Etats Unis peuvent décider seuls de la validité ou non d’une dette quand cela les arrange.
A croire que la Grèce, coincée dans une Europe qui se gave d’euros sur ses remboursements et le FMI qui a engrangé 2,5 milliards de bénéfice sur le même remboursement, cette Grèce n’est plus un pays pair de l’Europe, mais une tirelire et un épouvantail surtout depuis la montée de Podemos en Espagne…
Revenons pour conclure sur l’article 55 de la charte de l’ONU, pour le plaisir et le principe : « les Etats s’engagent à permettre le relèvement des niveaux de vie, le plein-emploi et des conditions de progrès et de développement dans l’ordre économique et social« .
Et pour prolonger la réflexion :un article sur le site Démagocratie.
Sources :
– conférences de Bernard Friot
– Monde diplomatique N° 723
– le site du CATDM