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De vraies alternatives en vue ?

Comme déjà expliqué ici et là, on a assisté à l’effondrement de tous les sacerdoces économiques « modernes » depuis 10 ans, les crises sociales et démocratiques ne semblent qu’empirer, la problématique écologique et le réchauffement climatique demeurent insolubles … alors quelles alternatives s’offrent à nous à l’aurore de l’épuisement de la principale ressource permettant notre confort contemporain, à savoir le pétrole ? Essayons de considérer un instant les renoncements nécessaires et de regarder droit dans les yeux nos possibilités réalisables.

Le rentabilisme a fait son temps !
Il faut commencer par une difficile tâche : renvoyer dos à dos les modèles productivistes c’est-à-dire aussi bien le capitalisme néo/post « libéral » (qui aggrave la concentration des richesses, d’où la pauvreté et les crises écologiques ou économiques) que le « communisme » productiviste (dont la propension dictatoriale et l’incapacité à évoluer ne valent pas mieux). Les deux ont prouvé leur tendance à l’oligarchisme rentabiliste.
L’un comme l’autre sont des versions dévoyées de courants humanistes, le premier d’idéaux émancipateurs des Lumières visant à libérer les sociétés des archaïsmes (clergé, armée, royalisme, etc), et le second de la velléité révolutionnaire socialisante qui cherchait à mieux redistribuer les richesses ; les deux voulaient mettre le progrès au service de l’homme et non l’inverse.
Mais ces modèles ont été largement trahis et sont désormais surannés, pris en otage par des élites menant le monde à la dérive : il est à présent de notoriété publique que les paradis fiscaux, les produits dérivés, les structures incontrôlées (dites « too big to fail »), la provenance ou connivence de nombreux acteurs politiques, l’oligarchisme, la corruption et le lobbying généralisés, soit in fine le manque de régulation financière, sont délétères à tous points de vue.
Il faut donc inventer tout autre chose notamment à l’aune d’un paramètre nouveau : les limites environnementales.

Loin de nous tout malthusianisme …
… il faudra pourtant admettre que, même s’il reste toujours de quoi améliorer et innover sur nos technologies et nos rapports sociaux, la planète constitue un écosystème fermé dont le seul apport externe notable consiste en des rayons lumineux.
Ce qui signifie que même en supposant une prochaine évolution spectaculaire dans nos capacités de recyclage des déchets, notre surconsommation actuelle va engendrer un épuisement rapide des ressources, aussi bien renouvelables (halieutique, eau potable, etc) que non-renouvelables (pétrole, uranium, etc).
Et cela n’avait été pensé ni par nos philosophes, dont la tendance idéelle pure leur a fait négliger la part matérielle de l’humanité, ni par nos révolutionnaires, dont l’approche matérialiste s’attelait davantage aux classes sociales et à leur historicisme. Des rapports récents et fondés, tels que promus par Stern ou Nordhaus, ne se différencient que sur la progressivité ou l’immédiateté de nos nécessaires changements de paradigmes : la croissance n’est plus un but en soit, surtout si elle nuit à notre environnement, notre santé individuelle, notre viabilité globale.
Ceci dit, pour créer de l’emploi tout en innovant dans le bon sens, on pourrait déjà prioriser la recherche et le développement d’énergies recyclantes ou non-polluantes comme le solaire, l’héolien, la biomasse, ainsi que des types d’agriculture plus propres (permaculture, bio, etc) pour cesser d’accumuler des bilans carbones lamentables et des barils au danger quasi éternel ou de répandre OGM, pesticides et engrais d’une industrie devenue folle dans nos sols mourants et nos nappes phréatiques fragiles – menacées en plus par notre tentation des gaz de schiste !
Un des moyens, choisi par exemple par l’Équateur, est de créer un Droit reconnu juridiquement à la Nature, à opposer aux activités (privées ou publiques) non respectueuses de l’environnement. C’est une façon comme une autre de pousser à l’intégration des ressources naturelles, ou encore de la pollution et ses effets sanitaires, dans les « calculs » économiques qui considèrent encore ces aspects comme des « externalités » négligeables !

État d’urgence ou piteux état ?
Autre « externalité » actuellement largement ignorée : les effets sociaux. Par exemple, il est devenu admissible de licencier pour faire monter les cours d’une action, verser des dividendes, délocaliser afin de dégager plus de bénéfices, etc. La spéculation financière a totalement pris le pas sur la bonne gestion entrepreneuriale des années 60, mais sa conception du risque reste individualiste et court-termiste.
De même, la mode à l’austérité exige de l’état qu’il réduise ses dépenses, y compris dans des domaines vitaux comme l’éducation, la santé, la protection sociale. Or, il est prouvé par de nombreuses études reconnues (OCDE, INSEE, ISPP, sphère universitaire, etc) que :
- un interventionnisme ciblé de l’état garantit de meilleurs résultats à tous points de vue par rapport à aucun état (« marché intégral » rêvé par les libertariens) ou un état intégral (dictatures historiques tristement célèbres),
- une santé garantie à tou(te)s coûte moins cher, améliore les rendements, fait tendre à l’épargne, stabilise la natalité, égalise les niveaux sociaux d’éducation,
- une éducation de toute la population permet une meilleure innovation et à terme de meilleurs résultats économiques ainsi qu’une répartition plus égalitariste des richesses.
Où l’on voit donc que les préconisations d’austérité comme sur l’Espagne (ou d’autres pays victimes de spéculation dérégulée) n’ont d’autres effets que d’aggraver les problèmes au lieu d’améliorer la capacité à innover, exporter, équilibrer la balance commerciale notamment détériorée par l’investissement massif dans des biens intérieurs (immobilier en tête).
Le nerf de la guerre pour résoudre ces crises, outre une Europe politique/sociale/environnementale qui tarde à émerger, est de sortir nos pays de cette spéculation délirante en leur consentant des prêts à très bas taux (voire nuls !) directement via la BCE ou par des pôles publics de financement nationaux sous contrôle démocratique. Exit les marchés voraces, bye-bye les agences de notation, ciao les MES et FESF, adios les privatisations rampantes !

La flexisécurité, un mirage ?
En approfondissant la réflexion, on constate aussi que de nouvelles pistes s’offrent à nous dans la lignée de Schumpeter ; celui-ci se différencie de Keynes (partisan d’une relance étatique par la demande, qui aujourd’hui résulterait en une surimportation néfaste) et de Friedman (partisan d’une relance libertarienne par l’offre, qui aujourd’hui enrichirait encore plus les couches aisées) en proposant une autre approche. Ses préceptes ont été notamment appliqués avec succès par des pays européens nordiques : Suède, Norvège, Danemark. En quoi cela consiste-t-il ?
Il s’agit d’abord de valoriser la mobilité sociale et professionnelle : niveau de revenu confortable entre deux emplois, formation accessible tout au long de la vie, plan de carrière continu malgré les changements d’employeur, syndicalisation et satisfaction des employés, davantage d’horizontalité dans les fonctionnements, facilitation de la création d’entreprise.
Il s’agit ensuite d’une répartition des impôts très égalitariste : progressive sur les revenus (basse ou nulle sur les petits, importante sur les gros) et forfaitaire sur les capitaux, le tout dans un dosage sagement défini ; car il est prouvé qu’un impôt bien dosé améliore sa légitimité et son rendement, contrairement à un impôt trop élevé (tentation à la fraude et à l’évasion) ou trop bas (tentation à la rente et à la spéculation).
Il s’agit enfin d’opérer des politiques prévoyantes (dites « contra-cycliques ») en fonction de la conjoncture : en récession on augmente les investissements pour soutenir l’innovation sur le long terme, tandis qu’en essor on mène une politique sobre à même d’empêcher les emballements spéculatifs court-termistes.
Conclusion : meilleur PIB et nombre de brevet par habitant, taux de chômage plus faible, moindre écart (santé, revenu, etc) entre les riches et les pauvres, les jeunes et les vieux, meilleures stabilité et sécurité ! Ces modèles ménagent la chèvre et le chou et leurs résultats parmis les meilleurs des pays européens ne lassent pas d’étonner ; qu’attend-on pour s’en inspirer ?!

Immigration, piège sans fond.
Par l’incurie des politiques (ou leur démission, voire connivence) actuel(le)s, un large boulevard contestataire s’ouvre qui profite aux extrêmes droites. On le voit de la façon la plus patente avec les néo-nazis grecs de l’aube dorée, mais c’est également vrai chez nous.
Et devinez qui est leur bouc émissaire idéal, une fois de plus : l’étranger, l’immigré. Ici l’arabe et/ou le juif, par là le polonais, le chinois ou le pakistanais. Le mensonge et la fuite en avant n’ont pas de fin alors même que l’immigration est une chance pour la plupart des pays !
Déjà parce qu’elle offre une main d’œuvre peu coûteuse, non syndiquée et peu éduquée qui a tendance à faire baisser les prix des postes non-qualifiés en valorisant les autres – et malheureusement creuser les écarts sociaux tout en permettant de dégager de meilleures marges sans toutefois délocaliser.
Ensuite parce qu’elle amène du « sang neuf » dans des démographies vieillissantes telles que celles qu’on trouve en Europe, ce qui permet d’équilibrer les actifs et les retraités, ceci sans quoi notre système social s’écroulerait.
Au final, l’immigration rapporte donc largement plus qu’elle ne coûte, renforce les économies nationales, assure une balance générationelle et (quitte à choquer, disons-le) une vitalité par enrichissement génétique et culturel !
Il y aura toujours une réaction antédiluvienne de xénophobie récupérable par des mouvances politiques nauséabondes ou aux abois, mais il faut pouvoir lui opposer des arguments clairs : le chômage n’est pas du à l’immigration mais à de mauvaises politiques et/ou une absence de régulation financière !

Sécurité contre liberté ?
Mais à propos, qu’en est-il de l’insécurité souvent accolée à l’immigration par la même classe politique sus-citée ? Dans les faits, elle n’a pas de corrélation directe avec l’éthnie ou la nationalité, la condition sociale restant un facteur principal et antérieur aux évolutions des 10 derniers années :
- exagération : les faits graves avec atteintes aux personnes (meurtres, viols, violences) ne représentent que 6 à 10% du total des cas traités, dont moins de 1% chez les mineurs ; pour autant, une frénésie de lois et réformes se déroule sous nos yeux à chaque nouveau fait divers médiatisé à l’excès.
- criminalisation : autant côté judiciaire (pouvoir accru d’un parquet très subordonné au ministère) que policier (ciblage sur les prostituées, SDF, sans-papiers, consommateurs de stupéfiants) on pénalise et élargit les filières rentables statistiquement (récidive d’infraction routière, etc).
- déshumanisation : tant par le biais des méthodes (rafle/chasse ciblées, rétention prolongée, etc) que des systèmes automatisés (statistique, fichage/biométrie, vidéosurveillance), l’exercise des acteurs de la sécurité perd chaque année en proximité avec tout éthique humaniste basée sur le droit.
- militarisation : l’obsession jacobine traditionnelle, une notion répressive majoritaire, des outils de plus en plus typiques (stratégie, anti-subversivité, armement, drones, etc) participent d’une dérive militariste tant dans la police que chez les gendarmes de vocation originelle plus sociale.
Tous ces éléments ne sont pas sans lien avec un certain populisme parfaitement incarné par un ex-Président passé à l’Intérieur : d’une mission républicaine de maintien de l’ordre et du droit on est arrivés à un objectif purement statistique et spectaculaire pour complaire à un éléctoralisme dénué de toute morale.
Ainsi, la justice restaurative et la police de proximité qui donnaient de bons résultats mais sur le long terme, ont été sacrifiées autant par la gauche que la droite à l’autel de la commande politicienne pour favoriser une justice pénaliste et une police répressive à objectifs statistiques court-termistes. Les voix discordantes sont tenues au silence.
Et tout cela sans oublier de dire qu’on a étrangement déserré l’étau autour de l’une des délinquances les moins télégéniques : celle en col blanc dont le coût annuel est pourtant des plus énormes ; environ 100 milliards par an, soit 85% du total des fraudes estimées, pour seulement environ 10% des cas traités par la police et la justice !

Véritable démocratie demain ?
Par ailleurs, ne serait-ce que pour limiter la corruption et le clientélisme qui s’élèvent avec le déficit démocratique, semble centrale la nécessité d’introduire les ingrédients d’une démocratie plus vivace que les actuels systèmes représentatifs et hierarchiques dans lequel stagnent la plupart des pays développés.
On peut évoquer en premier lieu des régimes politiques qui professionnalisent l’action publique jusqu’à l’absurde au lieu de rendre les décisions plus accessibles (en fréquence et en localisation) des citoyens ; le résultat est ce gouffre qui sépare le Peuple de ses « représentants », et que la pipolisation et la communication intempestives ne masquent qu’à grand peine.
On peut aussi dénoncer le manque d’institutions indépendantes pour contrôler les actions gouvernementales et les lois à la fois avant (durant leur élaboration) et après (une fois appliqués) leur mise en place ; la France a un retard conséquent en la matière, ses observatoires et divers organes (comme la Cour des comptes ou l’Inspection des finances) étant soit sans pouvoir soit inféodés au gouvernement en place (nomination, mission).
On peut également regretter la qualité faiblissante de l’information, notamment en France où la dépendance directe par propriété ou publicité des groupes financiers, cartels/holdings, grandes fortunes réduit conséquemment l’objectivité des acteurs du métier ; ajoutons à cela une propension à l’audimat et une fermeture relative de ce milieu, et on comprendra d’où provient sa déficience grandissante en capacité critique vis-à-vis du rentabilisme ambiant.
Des citoyens mal ou dés-informés, des institutions inefficaces ou sous exploitées, des politiciens loin des réalités, voilà qui pourrait être résolu :
- par référendum (régional, national, européen) fréquent et/ou par des assemblées locales (quartier, commune) permettant aux citoyens d’influer dans les 2 sens, de façon sociocratique, sur ce qui les concerne directement à diverses échelles,
- par l’incitation à réduire voire supprimer les structures inutilement hierarchisées et qui gagneraient en efficacité à davantage d’horizontalité et moins de cumul de mandats, tant dans les entreprises que dans les institutions diverses,
- par l’indépendance accrue (nomination non politique, financement public partiel ou total) des métiers de l’information ainsi que des organismes de contrôle de l’action publique qui sont également les garants d’une démocratie saine.

Sobriété volontaire démystifiée.
Et pour commencer à changer le monde, rien de tel que commencer par et autour de soi ! Assimilée de façon hâtive ou malintentionné à l’austérité et au chômage, au retour à la bougie (ou l’âge de pierre !) et la technophobie, voire à un diktat écologique éclairé dérivé de la « deep ecology », la décroissance offre pourtant des analyses et des solutions encore inégalées.
Commençons par rappeller que le chômage et l’austérité sont les fruits pourris du système actuel, ce capitalisme dérégulé dont il a été prédit depuis près de 2 siècles qu’il concentrerait tous les pouvoirs dans les mains d’une élite jusqu’à la catastrophe.
Ensuite c’est bel et bien la surconsommation/surproduction, la prééminence du rapport marchand sur tous les autres, le gâchis et la misère induits par notre incapacité à changer ou remplacer ce système qui risquent de nous conduire par épuisement à un retour en arrière (tel qu’instrumentalisé dans les thèses survivalistes fascisantes …) tant au niveau du confort que de la démocratie.
Meilleur exemple : l’augmentation brute du PIB (souvent présentée comme le seul indicateur valable par les productivistes) signifie aussi davantage de vente d’armes, de tabac, d’alcool, davantage de pollution, de malades voire de morts. On ne peut donc s’en féliciter.
Par conséquent, contrairement aux inversions de charge pratiquées à leur endroit, les courants objecteurs de croissance et écosocialistes veulent faire cesser cette fuite en avant, remettre le progrés et l’économie au service de l’humain et de son environnement, non l’inverse comme actuellement !
Leur principal moteur est qu’en attendant les hypothétiques changements politiques évoqués plus haut, rien ne nous empêche dès aujourd’hui de :
- favoriser les circuits courts (AMAP, petits producteurs, relocalisation) avec le moins de transport et d’intermédiaires possibles,
- éviter les grandes marques connues pour leurs pratiques douteuses (délocalisation, esclavage, pollution, corruption, etc),
- changer de banque pour des enseignes qui ne spéculent pas ou peu, en vous assurant transparence et influence directe,
- privilégier les établissements publics les plus exemplaires en matière d’assurance, de santé, de retraite,
- s’informer de façon alternative (internet, médias indépendants) avec prudence (fascisme, conspirationnisme) quand aux sources,
- sortir de la (patho)logique de l’obsoléscence (nouveauté permanente, addiction publicitaire artificielle, jeter au lieu de réparer, etc),
- retrouver un équilibre entre le respect des bonnes traditions et l’inclusion de progrès respectant l’éthique,
- redéfinir des rapports sociaux équilibrés et respectueux entre les générations, les sexes, les cultures, les milieux,
- soutenir les luttes locales, nationales et internationales allant dans le sens d’un nouveau rapport entre les humains et avec la nature (équilibre entre biocentrisme et anthropocentrisme).
C’est donc un travail sur soi et autour de soi qui consiste autant à une déconstruction de la vision erronée du monde induite par le système actuel, qu’à des propositions et des actions concrètes vers un autre civilisation, dans la lignée altermondialiste, plus juste à tous les niveaux ici évoqués.

Sources :
Repenser l’État (P. Aghion et A. Roulet)
La frénésie sécuritaire (L. Mucchielli)
Vers une société d’abondance frugale (S. Latouche)
Écosocialisme (M. Löwy)