Le changement constitutionnel du PSOE qui nous soumet à l’esclavage de la dette est illégal
« Ce qui se passe actuellement, est une révolution silencieuse, à petits pas, vers une gouvernance économique plus forte. Les États membres ont accepté — et j’espère qu’ils l’ont bien compris — d’octroyer aux institutions européennes d’importants pouvoirs en matière de surveillance. » M. José Manuel Barroso, ancien président de la Commission européenne. Discours à l’Institut européen de Florence, le 18 juin 2010. |1|
En septembre 2011, à l’encontre tant du droit international que du droit national, le projet de révision de la Constitution espagnole du gouvernement socialiste de José Luis Rodriguez Zapatero, est adopté avec le soutien du Parti populaire (PP) de Mariano Rajoy, faisant du remboursement de la dette une « priorité absolue » (article 135.3) devant tout autre nécessité. Le 27 septembre 2011, la révision constitutionnelle est promulguée par le Roi et entre en vigueur le jour même de sa publication au Bulletin officiel de l’État (BOE). Elle mentionne dans une disposition additionnelle que la loi organique prévue à l’article 135 « prévoira les mécanismes qui permettront le respect de la limite d’endettement visée à l’article 135.3 de la Constitution espagnole. » |2| Il est clair que la priorité donnée au service de la dette, autrement dit, à l’esclavage imposé par la dette, est l’élément clé de cette réforme.
Ce projet de révision de la Constitution, adopté à toute vitesse en un mois, permet de réduire les dépenses d’éducation et de santé, précarisant davantage la situation de la population, dans le seul but de renforcer les garanties aux créanciers de la dette espagnole. Il s’agit d’une concession inédite accordée aux créanciers, un pas de plus qui garantit leur suprématie et satisfait leurs prérogatives en les inscrivant dans l’édifice constitutionnel. L’accord entre le PSOE et le PP va plus loin que les seuils redoutables de déficit et d’endettement public établis par le pacte de stabilité et de croissance (PSC) de l’Union européenne en 1997. Constitutionnaliser la « priorité absolue » du paiement des intérêts et du capital de la dette, devant tout autre type d’investissement, est très grave, car d’autres objectifs constitutionnels comme l’exercice des droits sociaux sont alors sacrifiés. Inscrire cette suprématie de la dette dans la Constitution démontre le caractère fermé et exclusif de l’idéologie néolibérale qui balaye les modèles alternatifs et nous éloigne de la démocratie que nous souhaitons voir inscrite dans ce texte de lois fondamentales. La Constitution de la démocratie libérale au sein de laquelle nous vivons, protège la monarchie et s’éloigne chaque fois plus d’une démocratie des peuples. L’article 8 de la Constitution de 1978, dont l’élaboration a été fortement contrôlée par des secteurs liés au franquisme, érige l’armée en gardienne de l’ordre constitutionnel.
Article 8 de la Constitution espagnole :
Les forces armées, constituées par l’armée de terre, la marine et l’armée de l’air, ont pour mission de garantir la souveraineté et l’indépendance de l’Espagne et de défendre son intégrité territoriale et son ordre constitutionnel.
En réformant le texte de lois fondamentales de manière unilatérale, sans consultation populaire ni débat public, le gouvernement a violé la propre Constitution espagnole de 1978 qui, dans son article premier, garantit la souveraineté nationale au peuple (nous soulignons dans les articles suivants de la Constitution).
Article premier de la Constitution espagnole :
1. L’Espagne constitue un État de droit social et démocratique qui défend comme valeurs suprêmes de son ordre juridique, la liberté, la justice, l’égalité et le pluralisme politique.
2. La souveraineté nationale appartient au peuple espagnol duquel émanent les pouvoirs de l’État.
La réforme constitutionnelle contredit aussi l’article 158 de la Constitution espagnole qui spécifie l’importance de garantir les services publics, une direction totalement opposée aux coupes effectuées dans le budget général de l’État espagnol pour donner la priorité au paiement de la dette.
Article 158 de la Constitution espagnole :
1. Le budget général de l’État pourra affecter des crédits aux Communautés autonomes en fonction de l’importance des services et des activités étatiques qu’elles ont assumés et des prestations minimales qu’elles s’engagent à apporter en ce qui concerne les services publics fondamentaux sur tout le territoire espagnol.
Rappelons aussi que l’article 128 qui ouvre le Titre VII de la Constitution espagnole intitulé « Économie et finances », subordonne à l’intérêt général toute la richesse du pays, de sorte qu’aucun individu ne peut être privé de ses biens et de ses droits sinon pour des raisons d’utilité publique ou d’intérêt général. La richesse produite par le pays qui s’en va remplir les poches des créanciers devrait être subordonnée à l’intérêt général et l’État ne devrait pas diminuer les dépenses sociales pour le service de la dette.
Article 128 de la Constitution espagnole :
1. Toute la richesse du pays, dans ses différentes formes et quels qu’en soient les détenteurs, est subordonnée à l’intérêt général.
2. L’initiative publique est reconnue dans l’activité économique. Une loi pourra réserver au secteur public des ressources ou des services essentiels, tout particulièrement en cas de monopole, et décider également le contrôle d’entreprises lorsque l’intérêt général l’exigera.
De la même façon, l’article 131 plaide pour une distribution juste de la richesse pour veiller aux besoins collectifs :
Article 131 de la Constitution espagnole :
1. L’État pourra, par une loi, planifier l’activité économique générale pour veiller aux besoins collectifs, équilibrer et harmoniser le développement régional et sectoriel et stimuler la croissance des revenus et de la richesse et leur plus juste distribution.
Voyons à présent les modifications apportées à l’article 135 de la Constitution espagnole.
Article 135 avant modification |3| :
RÉDACTION ORIGINALE
En vigueur du 29 décembre 1978 au 26 septembre 2011.
Article 135 de la Constitution espagnole :
1. Le gouvernement devra être autorisé par une loi pour émettre un emprunt public ou contracter un crédit.
2. Les crédits destinés au paiement des intérêts ou du capital de la dette publique de l’État seront toujours considérés comme étant inclus dans l’état des dépenses du budget et ils ne pourront faire l’objet d’un amendement ou d’une modification, tant qu’ils sont conformes aux conditions de la loi d’émission.
Article 135 après modification :
1. Toutes les administrations publiques conformeront leurs actions au principe de stabilité budgétaire.
2. L’État et les Communautés autonomes ne pourront encourir un déficit structurel qui dépasse les limites fixées, le cas échéant, par l’Union européenne pour ses États membres.
Une loi organique fixera le déficit structurel maximal autorisé pour l’État et les Communautés autonomes, par rapport à leur produit intérieur brut. Les collectivités locales devront respecter l’équilibre budgétaire.
3. L’État et les Communautés autonomes devront être autorisés par loi pour émettre un emprunt public ou contracter un crédit.
Les crédits correspondant aux intérêts et au capital de la dette publique des administrations devront toujours être inclus dans le montant des dépenses de leurs budgets et leur paiement jouira de la priorité absolue. Ces crédits ne pourront faire l’objet d’amendement ou de modification, lorsqu’ils seront conformes aux conditions de la loi d’émission.
Le volume de la dette publique de l’ensemble des administrations publiques par rapport au produit intérieur brut de l’État ne pourra être supérieur à la valeur de référence inscrite dans le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.
4. Les limites du déficit structurel et du volume de la dette publique ne pourront être dépassées qu’en cas de catastrophes naturelles, de récession économique ou de situations d’urgence extraordinaires qui échappent au contrôle de l’État et portent considérablement atteinte à la situation financière ou à la viabilité économique ou sociale de l’État, selon une décision prise à la majorité absolue des membres du Congrès des députés.
5. Une loi organique développera les principes visés au présent article, ainsi que la participation, dans les procédures pertinentes, des organes de coordination institutionnelle entre les administrations publiques en matière de politique fiscale et financière. En tout état de cause, elle régulera : a) La répartition des limites de déficit et de dette entre les différentes administrations publiques, les cas exceptionnels de dépassement de celles-ci, ainsi que la forme et le délai pour corriger les écarts qui pourraient se produire sur l’un ou l’autre ; b) La méthode et la procédure pour le calcul du déficit structurel ; c) La responsabilité de chaque administration publique en cas de non-respect des objectifs de stabilité budgétaire.
6. Les communautés autonomes, conformément à leurs statuts respectifs et dans les limites visées à cet article, adopteront les dispositions nécessaires à l’application effective du principe de stabilité dans leurs règles et décisions budgétaires.
Remarquez le point 3 où nous soulignons l’important changement qui a été ajouté d’un coup de bistouri : « Les crédits correspondant aux intérêts et au capital de la dette publique des administrations devront toujours être inclus dans le montant des dépenses de leurs budgets et leur paiement jouira de la priorité absolue. »
Malheureusement, les révisions constitutionnelles adoptées dans le but d’imposer des reculs sociaux ne sont pas nouvelles. Au Mexique, dixième pays producteur de pétrole, la réforme énergétique de 2013 s’est appuyée sur la révision constitutionnelle des articles 25, 26 et 27 pour permettre la livraison de pétrole aux entreprises transnationales et la privatisation de la plus grande entreprise du Mexique, Pemex (Petróleos Mexicanos). |4| Mais ce n’est pas tout, les Constitutions de différents pays sont modifiées afin d’imposer le plafonnement des dépenses et des déficits publics pour respecter un équilibre budgétaire salvateur. D’autres pays, au contraire, font des choix inverses. C’est le cas de l’Équateur qui a mis en avant l’interdiction de socialiser les dettes privées |5| – ce qui se passe aujourd’hui en Espagne – et prévoit que seul l’État peut recourir « à l’endettement public si les rentrées fiscales et les ressources provenant de la coopération internationale sont insuffisantes » (article 290, paragraphe 1). Notons aussi que la Constitution bolivienne interdit la privatisation de l’eau, que celle du Costa Rica décrète que les dépenses d’éducation ne peuvent pas être inférieures à 8% du PIB. Ces victoires ont été possibles grâce à des mobilisations sociales ou, comme dans le cas de l’Équateur et de la Bolivie, grâce à une assemblée constituante. À l’inverse, la réforme constitutionnelle de l’État espagnol impose l’obligation de paiement de dettes illégitimes. Pire, l’État pourrait se voir infliger une amende s’il ne respecte pas les engagements de déficit ou d’endettement.
Cette modification constitutionnelle représente un coup dur pour la démocratie, une atteinte aussi bien envers la Constitution qu’envers les lois internationales. En effet, l’article 103 de la Charte des Nations Unies (qui constitue l’ordre public international) confirme clairement la suprématie de la Charte sur tout autre accord.
Article 103 de la Charte des Nations Unies :
En cas de conflit entre les obligations des Membres des Nations Unies en vertu de la présente Charte et leurs obligations en vertu de tout autre accord international, les premières prévaudront.
À ce propos, citons ici le juriste Renaud Vivien : « Rappelons que les États sont tenus de respecter les textes internationaux protégeant les droits humains et que cette obligation de respecter, protéger et promouvoir les droits humains prime sur tout autre accord. […] Autrement dit, un accord dont l’application entraîne une violation des droits humains et de la souveraineté d’un État est nul. La dette contractée dans le cadre de cet accord est donc illégitime. Elle n’a pas à être remboursée et les conditionnalités attachées au prêt doivent être rejetées par les pouvoirs publics. » |6|
La Constitution espagnole doit respecter la Charte des Nations Unies qui spécifie dans son article premier « [qu’en] aucun cas, un peuple ne pourra être privé de ses propres moyens de subsistance. » Or, la révision constitutionnelle fait clairement passer les intérêts des créanciers avant ceux des citoyens et porte atteinte aux règles les plus élémentaires de tout État démocratique. La Constitution de n’importe quel État membre des Nations Unies ne peut défendre une violation généralisée des droits humains à cause de politiques imposées par les créanciers étrangers qui priorisent le remboursement de la dette visé à l’article 135.3 de la Constitution espagnole. Les dettes contractées dans le cadre d’accords dont l’objet est de limiter la souveraineté des États et dont l’application entraîne la violation de droits humains sont illégitimes. Selon la Déclaration universelle des droits de l’homme (DUDH), « il est essentiel que les droits de l’homme soient protégés par un régime de droit pour que l’homme ne soit pas contraint, en suprême recours, à la révolte contre la tyrannie et l’oppression. »
Selon les articles 1 et 2 de la Charte des Nations Unies et l’article premier, commun aux deux Pactes des Nations Unies de 1966 relatifs aux droits humains : « Tous les peuples ont le droit de disposer d’eux-mêmes. En vertu de ce droit, ils déterminent librement leur statut politique et assurent librement leur développement économique, social et culturel. Pour atteindre leurs fins, tous les peuples peuvent disposer librement de leurs richesses et de leurs ressources naturelles, sans préjudice des obligations qui découlent de la coopération économique internationale, fondée sur le principe de l’intérêt mutuel, et du droit international. En aucun cas, un peuple ne pourra être privé de ses propres moyens de subsistance. »
Par ailleurs, l’article 2.3 de la Déclaration des Nations Unies sur le droit du développement de 1986 est incompatible avec les plans d’austérité : « Les États ont le droit et le devoir de formuler des politiques de développement national appropriées ayant pour but l’amélioration constante du bien-être de l’ensemble de la population et de tous les individus, fondée sur leur participation active, libre et utile au développement et à la répartition équitable des avantages qui en résultent. »
Ces obligations légitiment l’intervention de l’État afin qu’il mette fin aux conditions imposées par le FMI ou la Commission européenne. La violation du droit est récurrente chez les créanciers, mais nous avons des arguments juridiques solides pour la condamner.
Par Fátima Martín , Jérôme Duval
Traduction : Maïté Guillard
source : http://cadtm.org/Le-changement-constitutionnel-du