Zapotillo : le barrage de toutes les hontes
Dans la région de Los Altos de Jalisco, coule une rivière, le Rio Verde (la Rivière Verte). Cette rivière possède un bassin d’eau assez conséquent, qui a fait l’objet de la signature de divers accords d’utilisation dans les années 1990, mais jamais arrivés à terme. Dans cette province, entre Guadalajara et Leon, la Zone Métropolitaine de Guadalajara (ZMG) a alors instruit en 2005 un projet de barrage, qui a pris le nom d’un petit village, El Zapotillo. Cet ouvrage devrait être terminé courant 2012, le remplissage de la zone étant prévu pour début 2013. Ce projet est promu par la CONAGUA (Commission Nationale de l’Eau du Mexique), la CEA (Centro Ecológico Akumal, pour le développement du tourisme durable) et la CFE (Commission fédérale de l’électricité crée par le gouvernement). Ces organismes d’Etat ont confié les travaux à diverses entreprises privées. Des Mexicaines, comme PCC (Peninsular Compañía Constructora), et des Espagnoles, FCC Construcción et Grupo Hermes. En octobre 2011, Abengoa, une société Sevillane, a passé un contrat pour environ 566 millions de dollars US pour réaliser les travaux de l’aqueduc.Les emplois (environ 200) sont occupés par des ouvriers venant d’autres Etats mexicains. Le coût d’un tel projet a été évalué à 411 millions d’€. Ces investissements sont prix en charge à 34% par le privé, et à 66% par la FONADIN (Fondo Nacional de Infraestructura ou Fonds sur l’infrastructure nationale), la CONAGUA, l’état de Jalisco et l’état de Guanajuato.
Pourquoi ce barrage :
Ce barrage créerait un réservoir d’eau qui s’étendrait sur une surface de 4816 hectares, pour un total de 911 millions de mètres cubes. Il profiterait à plus de deux millions cinq cent mille personnes, c’est à dire à la ville de Leon et à l’Etat de Jalisco. Il servirait à alimenter des stations de pompage, des usines de traitement d’eau, et permettrait de mettre fin à l’extraction de l’eau du plus grand lac du Mexique, le Chapala.
Les alternatives :
Cependant divers projets alternatifs auraient pu être étudiés de plus près afin d’éviter les effets dévastateurs de ce barrage sur l’économie, le social et l’écologie.
Il aurait été possible de construire par exemple, une série de barrages de déviations sur le Rio Verde en utilisant le système hydrique Zurda-Calderón. Ce qui aurait été suffisant, car en améliorant l’efficacité dans la distribution de l’eau, distribution qui perd en route 40% de son contenu, ce système aurait pu suffire sans la construction de ce grand barrage.
D’autres alternatives existent qui ne détruiraient pas les villages par inondation. Deux barrages situés plus haut, dont un (El Salto) qui voit son infrastructure en place depuis 1990 et toujours pas utilisée, et l’autre (Atengo) pourraient à eux deux fournir 310 millions de mètres cube d’eau à la ville de Guadalajara.
D’autre part, la construction de barrages ailleurs, bien que le coût se serait élevé à 3 milliards de pesos, éviterait la montée des eaux de 25 mètres, et la destruction de tout ce qui va disparaîtra avec le Zapatillo.
Les raisons de la lutte :
La construction de ce barrage implique une relocalisation des populations. Outre les impacts psycho-sociaux (anxiété, dépression, violences, maladies respiratoires…) c’est tout un patrimoine et un mode de vie qui va disparaître. Disparition de la sécurité alimentaire par l’agriculture (élevage, pêche, culture du maïs, de haricots et de chili), disparition du lieu de vie, disparition culturelle…Car l’importance culturelle et historique de cette région est incontestable. Depuis le VIème siècle, bien avant Guadalajara, la région de Temacupalin est réputée pour son architecture, et ses bains thermiques et dispose d’un gros potentiel touristique. Dans trois des communes concernées par cette disparition, Temacapulín, Acasico et Palmarejo, des temples d’importance historique et religieuse vont être engloutis (le temple de El Niño de Flamacordis, la Virgen del Rosario à Acasico, et la Basilica de los Remedios à Temaca). Ces monuments font partie intégrante du patrimoine culturel du Mexique, et ne devraient bénéficier que d’entretien et restauration spécialisée de la part de l’Etat (annonce de la direction du Patrimoine culturel de l’état de Jalisco, en 2008).
Il faut aussi se préocuper de la détérioration environnementale de cette région. Le corridor écologique du Rio Verde va être terriblement endommagé. Par exemple, les ecosystèmes du ravin de Los Colomos seraient détruits, et toute la faune et la flore de la région du barrage seraient touchées. Infections, maladies chroniques, empoisonnements, réduction des terres fertiles et pollution des rivières déjà très dégradées. Ce barrage viendrait dégrader une situation écologique déjà très précaire.
D’autre part, lors des « relocalisations » des populations, leur sont affectées des terres à très faible rendement agricole, et les promesses de construction d’habitations traînent, sont retardées, laissant les populations dans l’angoisse du futur. Beaucoup des promesses faites par les autorités n’étant pas honorées, un climat de défiance s’est installé.
Luttes et pressions :
Dès 2006, face aux décisions unilatérales de la CONAGUA et le début des études de terrain, les habitants des communautés organisent des démarches légales et politiques pour stopper la construction du barrage. Ils dénoncent l’augmentation de la hauteur du barrage (de 80 à 105 mètres) et l’absence d’études d’impact.
En 2008, des manifestations s’organisent, les populations locales demandent des informations, et l’étude des projets alternatifs. Refus brutal des autorités.
Toujours en 2008, est envisagée la construction de pôles de relogement, tout en proposant un référendum local sur l’acceptation de la construction. Mais rien n’a été fait, aucune promesse n’a été tenue (dont le déplacement pierre par pierre d’édifices historiques religieux).
C’est alors que se crèe le Comité « Salvemos Temacapulín, Acasico et Palmarejo » et les communautés menacées attentent de nombreuses actions en justice pour dénoncer les irrégularités et les abus du gouvernement qui refuse d’abandonner le projet.
Depuis 2008 et le début des travaux lourds sur le chantier, les promoteurs se livrent à des actes de harcèlement sur la population locale, jusqu’à ce que la CEDHJ (Comisión Estatal de Derechos Humanos Jalisco : droits de l’homme mexicains) intervienne.
En 2009, la CEA commence à racheter les terres promises à l’immersion, mais face au refus de la population, la CONAGUA déclare qu’elle procèdera à des expropriations. C’est la fin du dialogue entre les parties.
Comme les études d’impact n’ont toujours pas été effectuées, les communes refusent les permis de construire. En parallèle, la CEA se charge de la construction du site de « relocalisation » (Plan de Développement Urbain du Centre de Population Temacapulín), mais la construction est stoppée en 2009 par le Tribunal Administratif de l’état de Jalisco (TAE).
Fin 2009, la CEDHJ demande l’étude des projets alternatifs, et la cessation du harcèlement des populations.
Même des experts mexicains (du Centro Universitario de Ciencias Exactas e Ingeniería), critiquent le projet du Zapatillo, et l’incertitude du bien fondé car il manque des indicateurs de durabilité hydraulique, économique, sociale et écologique du projet.
2010, des maires, des sénateurs, des avocats mexicains se joignent aux populations pour soutenir leur lutte. Des défenseurs de la population locale se font agresser et menacer de mort. Des députés et sénateurs mexicains se déplacent à Temacapulín, mais les forces de police interviennent, et la présence de l’armée se fait plus pesante. Malgrè la réunion du MAPDER (Movimiento Mexicano de Afectados por las Presas y en Defensa de los Rios) en 2010, le gouvernement refuser de reconsidérer le dossier.
Appuis nationaux et internationaux :
En 2010, la 3eme Rencontre internationale des personnes menacées par des constructions de barrages a lieu à Temacapulín (rassemblant 320 délégués internationaux en provenance de 54 pays). Organisé par International Rivers et appuyé par l’IMDEC (Instituto Mexicano para el Desarrollo Comunitari) et le MAPDER, elle vient renforcer les luttes locales.
Elle regroupe des organismes de défense des droits humains, des scientifiques, des experts des droits environnementaux, au niveau mondial.
Le 10 novembre 2010, a lieu une journée internationale et nationale pour la suspension du barrage d’El Zapatillo dans une vingtaine de pays, et dans huit villes mexicaines. Des lettres sont remises aux consuls et ambassadeurs mexicains des différents pays.
Des organisations internationales demandent une consultation publique sur la relocalisation des populations, et le Tribunal Administratif de l’Etat de Jalisco demande l’arrêt des travaux.
En décembre 2010, l’Association nationale des avocats démocratiques (ANAD) dénonce les menaces et les harcèlements constants envers les avocates des populations, ainsi qu’envers des intervenants d’ONG, journalistes, et prêtres.
Depuis 2011, des référendum locaux ont rejeté la construction du barrage, et les Tribunaux locaux ont pris des décisions d’arrêt de la construction. Des habitants de la région tentent d’occuper le chantier, comme dernier recours contre la suite des travaux.
La Commission Mondiale des Barrages, rend en 2011, un dossier d’étude sur les impacts négatifs des barrages sur les populations et l’environnement. La CONAGUA a considéré cette études comme non sérieuse, et n’en a pas tenu compte.
En avril 2011, un rapport de l’INAH (Institut National d’Anthropologie et d’Histoire) sur la zone inondable par le barrage, déclare que 70% de Temacapulin qui va disparaître, devrait être préservé en tant que structure urbaine historiquement importante et patrimoine culturel de la nation mexicaine.
La CONAGUA tente de négocier alors une délocalisation des personnes et des monuments historiques. Mais des doutes subsistent sur l’authenticité des négociations et des promesses faîtes. De plus cet organisme déclare que les habitants devront donc être déplacés avant le milieu de 2012. Alors, les habitants de Temacapulin, Acasico et Palmarejo décident de porter devant les juridictions internationales leur cas comme un cas de déplacement forcé selon l’Observation Générale du Comité des Droits Économiques et Sociaux des Nations Unies, qui dit que les déplacements entraînent la violation de nombreux droits humains comme le droit à la vie, à l’alimentation, au travail et à la non ingérence dans la vie familiale. Les populations décident aussi de saisir la CIDH (Commission interaméricaine des droits de l’Homme) et l’UNESCO (Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture) pour contester la construction du barrage.
Mi 2011, le directeur d’Amnesty International Mexique demande aux autorités de suspendre le chantier du barrage El Zapotillo, car il ne respecte pas les droits humains.
Toujours en juin 2011, Le député Carlos Briseño Becerra dénonce la construction du barrage contre la volonté des habitants, et la législatrice Olga Araceli Gómez Flores remarque que le projet comporte des défaillances juridiques, et couvre des scandales administratifs.
En juillet 2011, un rapport rédigé par des chercheurs de l’Université de Fordham, New York, dénonce des violations de droits humains à l’encontre des communautés affectées par les projets de barrages (dont El Zapotillo). Le rapport dénonce la violation du droit à la consultation et à la participation des communautés dans le processus de planification du projet, ainsi que la violation du droit à l’information en ce qui concerne le projet et ses impacts. Il dénonce les entreprises implantées au Mexique qui ne respectent pas les lois mexicaines et les traités internationaux qui garantissent les droits des citoyens mexicains affectés par les travaux.
Le poète Javier Sicilia, le 12 juillet 2011, crèe la caravane «De l’eau et la paix pour tous et pour toutes… et pour toujours !», partant de Temacapulin pour aller jusqu’au palais du gouvernement à Guadalajara.
En août 2011 est organisé le «Festival au son de la résistance» contre le barrage El Zapotillo.
Fin 2011, la Commission des droits de Jalisco rend un arrêté dans lequel elle stipule que les travaux doivent être suspendus car ils violent le droit à la propriété, la santé, le logement, l’environnement et le développement sains, non seulement des demandeurs, mais de tous les habitants de la région.
Depuis, la lutte continue…
Epilogue :
On voit comment un Etat qui ne tient pas compte des intérêts supérieurs de sa population peut prendre des décisions incompréhensibles :
- Il détruit des monuments historiques, des zones culturelles, des écosystèmes rares et fragiles, des ressources alimentaires indispensables à ses populations, et expulse ces dernières sur des terres agricoles de très faible rendement.
- Il ne tient aucunement compte des avis d’experts internationaux, économiques, sociologiques, environnementaux, droits de l’hommistes, pour arriver à ses fins
- Il harcèle, brutalise une population qui ne demande qu’à négocier, et menace des intervenants nationaux et internationaux qui prennent leur défense.
- Il refuse d’étudier des solutions alternatives plus sérieuses, plus respectueuses de l’environnement et des populations.
- Il refuse de suivre les injonctions légales des Tribunaux régionaux qui ont pourtant un avis inaliénable de justice.
- Il permet une gabegie de perte d’eau (40% du total distribué), qui pourrait être réparée et ainsi rendre inutile ce méga-projet tant décrié.
- Il s’assied sur le droit international, les ONG internationales, les Nations Unies, pour continuer ce projet destructeur.
- Cerise sur le gâteau, ces jours ci, l’ancien directeur de Siapa, Rodolfo Ocampo, a détourné un milliard de pesos, qui devaient servir à rénover le système de transport d’eau (celui qui perd 40% de son volume sur le parcours), ce qui va amener à une privatisation de la distribution de l’eau dans la région, et supprimer le volet social du droit à l’eau.
Aujourd’hui les luttes continuent encore…