Rencontre avec SUD-Solidaires : syndicalisme et plateformes téléphoniques
Suite à une étude et des témoignages relatifs aux problèmes des employés des plateformes téléphoniques, il a paru nécessaire d’avoir l’avis d’un syndicat très actif dans la défense des droits et conditions de travail des télé-opérateurs, conseillers téléphoniques et techniciens conseils sur les plateformes. C’est donc suite à un entretien de près de quatre heures, qu’a été réalisé ce compte rendu sur l’action syndicale, les combats, les revendications et les dessous des méthodes employées par un secteur d’activité assez récent et qui sert de laboratoire aux expériences ultra-libérales de traitement des salariés. C’est dans les locaux de SUD-Solidaire Villeneuve d’As que s’est déroulé l’entretien ….
Première constatation, le taux de syndicalisation au sein des centres d’appels est bien inférieur au taux courant de syndicalisation dans les entreprises qui se situe lui autour de 5%. L’action de syndicalisation dans les centres d’appels a notamment été lancée par le syndicat SUD-Solidaires il y a 11 ans chez B2S. SUD n’a cessé depuis de se développer au sein des diverses plateformes jusqu’à être aujourd’hui un des plus actifs au niveau des revendications et luttes, et le plus en contact direct avec les employés et leurs attentes et combats.
L’action syndicale dans les centres d’appels :
Elle se partage entre les grandes centrales habituelles, mais avec des positions, des actions, des combats menés de façon différentes et avec des objectifs plus ou moins atteints selon les syndicats. Les cinq confédérations les plus représentatives se « partagent » les voix lors du vote pour l’élection des comités d’entreprise. La CGT représente 26,5%, la CFDT 26%, Force Ouvrière obtient 15,4% des voix, la CFTC 9,8% et enfin la CGC 9%. Quand à l’UDSAD, elle recueille 4,3% et l’union syndicale Solidaires obtient 3,4%.
Aux élections d’avril 2012 SUD récolte 19% des voix et se retrouve numéro un au plan national avec un pic de 65% des voix sur Villeneuve d’Asq et 20% pour les entités commerciales. Ce qui lui procure 5 sièges de délégués du personnel sur 6 au total. Mais ces élections sont annulées par la direction suite à la présence de deux listes CGT concurrentes, problème hautement procédural et non forcément invalidant pour les élections. L’entreprise se retrouve donc sans comité d’entreprise pour les employés, mais celui des cadres a lui été entériné. En septembre, lors du vote pour les agents de maitrise et les employés, SUD obtient 77% des voix, donc trois sièges au comité d’entreprise, et l’on acte alors la disparition de FO et la régression de la CGT.
Le télémercating est un secteur en contraction. Cela est du au turnover constant et à la petite taille des divers plateaux et qui compte 250 000 emploi dont 25 000 pour le seul Nord Pas-de-Calais. Téléperformance par exemple, est passé de 8700 employés au premier janvier 2009 à moins de 4500 au 31 décembre 2012 (fermeture, plans sociaux, départ volontaire, attrition naturelle)
Conventions collectives : une arme libérale ou une défense des employés ?
Il existe deux conventions collectives qui couvrent les plateaux d’appels téléphoniques, les conventions « syntec bureau d’étude » et les conventions « prestataires de service ».
Depuis le « décret Devedjan » en 2002, les conventions collectives des plateformes téléphoniques sont celles des « prestataires de services ». Mais une entreprise a le droit de changer de conventions collectives en fonction de son activité principale, sous un délai de 15 mois. Du reste, les conventions « Syntec Bureau d’études » restent des conventions de référence, mais ne sont pas obligatoires.
Au niveau de la représentation pour les conventions collectives, la convention « syntec bureau d’étude » récolte 2,9% des voix, mais la convention « prestataires de service » dépasse le seuil représentatif avec 8,1% des voix, notamment grâce à Téléperformance Nord.
TP avait donc décidé de passer de « syntec bureau d’études » à « prestataire de services » mais suite au non respect du délai administratif de 15 mois, ce passage a été attaqué par les syndicats. Ces derniers ont été débouté en appel, et il fut alors question d’aller en cassation. D’après SUD, le danger résidait dans le fait que les décisions prises en cassation font jurisprudence, il ne fallait pas risquer de perdre encore lors de ce procès. Pourtant FO s’est pourvu seul en cassation, et fut débouté.
Dorénavant, un employeur peut ne pas respecter les règles sur les délais de passage entre conventions collectives puisque la convention collective des « prestataires de service » l’a permis face à la loi !
Combat syndical : l’exemple de Téléperformance
Lors du rachat de Techcity solutions et Twenty4help par Téléperformance, un problème de convergence des statuts des employés s’est posé. Les anciens de Techcity Solutions se sont retrouvés dans un système fermé d’évolution de carrière et de revenu avec la disparition de leur statut lié à l’ancienne entreprise, les privant des dispositifs de l’accord Classification/Fonctions, et instaurant donc une discrimination. D’autre part, a été mise en place une nouvelle grille de convention afin de bloquer, voire baisser les salaires.
Ainsi, les nouvelles embauches se font sur la base de « conseiller clientèle » et non de technicien. Pourtant, les compétences demandées sont très techniques, et on confie donc des missions qui réclament des compétences plus pointues sans les payer à leur valeur. Cette problématique a pourtant été validée par trois syndicats le 8 avril 2010 ( CGC, CFDT, CFTC) qui reconnaît de fait la disparition des techniciens afin de faire baisser les salaires. Pourtant, le conseiller simple, de niveau 1, qui n’a pas besoin du même niveau d’expertise que les niveaux 2 et 3 voit son salaire rattraper celui des deux autres niveaux, et voient tout trois le niveau du smic les rejoindre. Cette classification de fonctions n’a pas été signée par la CGT et FO, mais ces deux centrales n’ont pas voulu rejoindre SUD-Solidaires dans son combat juridique. En effet, selon lui, il faut revendiquer une grille de postes à deux niveaux, conseillers ET techniciens.
L’objectif de cette déqualification est entre autre de pouvoir faire pression sur les salariés en brandissant des menaces de départ en Europe du Sud, voire de délocaliser au Maghreb ou ailleurs.
En plus des baisses ou pertes de salaires, les avantages perdus sont énormes …
Perte de la mutuelle prise en charge à 100% descendue à 60%, disparition de la participation aux bénéfices, fin de l’épargne salariale, perte de la prime de vacances, du jour anniversaire, de la participation à la cotisation retraite. Le 13ème mois est maintenant obtenu dans son intégralité après trois ans pleins (taut progressif avant d’atteindre cette durée), et le bénéfice des tickets restaurants s’obtient après six mois d’ancienneté.
Quelques avancées ont quand même été obtenues. Une grille de classification sur dix ans a été obtenue, ce qui permettra une évolutivité positive des salaires. Et une table ronde est prévue, qui mettra face à face les centres d’appels, les donneurs d’ordre, les syndicats et le gouvernement pour mettre à plat les problématiques spécifiques à l’activité.
Pourtant aujourd’hui, des « conseillers techniciens » préfèrent retrouver un poste de télé-conseiller de base, car pour un salaire équivalent, leurs compétences leur permettent d’obtenir plus facilement les primes, et leur expérience leur rend le travail plus facile. Pourtant SUD n’est pas contre la polyvalence des postes, mais réclame qu’elle se situe dans une grille de salaire revalorisée, compte tenu de la multi-compétences.
Autre combat : déshumanisation en marche
Une autre action syndicale menée sur le site de Villeneuve d’Asq, est le barrage sur l’organisation du travail par le Comité Central d’Entreprise. Au niveau des outils d’exploitation des appels et du temps de travail, l’entreprise a voulu expérimenter deux outils numériques, IEX (gestion des horaires, des pauses, des jours ouvrés…) et CCMS (automatisation des tâches, protocoles, scénarios…). Le CHSCT (Comité Hygiène Sécurité Conditions de Travail) observe alors que la planification des horaires, des pauses réglementaires via le logiciel ne respectent pas les accords d’entreprise sur le temps de travail.
Les horaires journaliers et hebdomadaires sont boulversés, les pauses repas s’opèrent à des moments inadéquats avec des risques sur la santé, selon le rapport ISAST (Intervention Sociale & Alternative Santé au Travail) de 2010. La direction réfute pourtant ces arguments …
Pourtant, deux cabinets d’expertises indépendants de Lille et Lyon confortent les rapports de l’ISAST, et TP est condamnée à cesser l’expérimentation de cette gestion déshumanisée, avec une astreinte de 500€/jour en cas de non respect de cessation.
Cependant, lors de l’élection du nouveau CHSCT en juin 2011 pour fin de mandature, dans des conditions très opaques, cette expérimentation est entérinée par les syndicats CFE/CGC, CFTC, FO. En juillet, SUD attaque TP pour fraude au scrutin, et TP se retrouve condamné le 15 novembre à procéder à de nouvelles élections. Mais dans l’intervalle, le CHSCT avait validé l’expérimentation de deux logiciels. Toutes les décisions prises par l’ancien CHSCT invalidé par la loi restent valides.
Petite consolation, après les élections d’octobre 2012, l’entreprise annonce une planification sociale qui met en place des horaires fixes à la semaine, avec des amplitudes de 7 heures par jour. Mais les pauses pathogènes restent planifiées par le logiciel, avec les conséquences que l’on connaît.
Des actions et des revendications :
Lors de l’été 2010 les syndicats non signataires ont mis en place diverses actions afin de faire pression sur les décisions restrictives mises en place par la direction avec l’accord des syndicats dits « majoritaires »
L’objectif n’était pas de faire tomber les accords, car certains points proposés représentaient une avancée non négligeable. L’objectif était donc de réfuter certaines dispositions
- L’accord « classification fonction » était considéré comme discriminatoire par rapport à la population des techniciens, car il ne respectait pas le fondamental « à travail égal, salaire égal ».
- Les accords sur la mise en place de parcours professionnalisants n’étaient pas respectés, bien qu’il aient été validés en juillet 2010 et mis tardivement en route en 2011. Une première audience a donc eu lieu à l’été 2012 au TGi de paris, et une autre audience est prévue en juillet 2013, mais cette fois ci sur ce sujet.
- L’aménagement du temps de travail est lui aussi en point de mire. Il s’agit là de faire tomber les dispositions néfastes, telle la « pause nutella bière », temps de repas imposé à des heures non conformes aux rythmes biologiques naturels qui ont un impact pathologique sur les employés.
- Des actions par débrayages sont mises en place. Actions concertées et revendicatrices, ces débrayages s’opèrent à des moments précis afin de perturber l’activité de l’entreprise.
- Action en novembre 2011 rue neuve à Lille, devant les locaux d’Orange et SFT. Les salariés masqués distribuent des tracts. Réaction de l’entreprise qui sanctionne les membres « reconnus » par l’intermédiaire du CHSCT. Le jugement du prud’homme est attendu en mai 2013.
- Dossier déposés au Prud’hommes avec l’aide des avocats du syndicat.
- Mises en cause de certaines dispositions sur les accords d’entreprise du 8 avril 2010, reconduits par la nouvelle société TP née le 1er janvier 2012
A l’étranger les syndicats se battent aussi :
En Tunisie, après de longues grèves très suivies, l’occupation de locaux et des grèves de la faim, l’UGTT (syndicat Tunisien) a obtenu des avances notables.
- Augmentations annuelles à l’ancienneté pendant au moins 13 ans
- réintégration des 15 nouveaux embauchés, virés pour « faute » de grève.
- Révision par la direction des licenciements de trois agents de maîtrises solidaires de la grève, par un conseil de discipline « paritaire ».
- Révision prochaine de la classification professionnelle, définition des métiers et révision de la grille des salaires.
Cette avancée sociale a des effets moteur sur les discussions syndicales et patronales au Maroc et en France. C’est cette solidarité internationale des syndicats qui permet d’harmoniser les revendications et de généraliser les avancées sociales et salariales au sein des différents pays qui abritent les multiples plates-formes.
Conclusion : l’avenir des plates-formes téléphoniques
SUD estime que d’ici 2016, il n’y aura plus de « postes clientèle » en France. La tendance est de gérer les appels par une machinisation des réponses, dans le genre d’un service vocal inter-actif. Selon le discours de la direction, les scripts résolvent tous les problèmes, nul besoin d’intervention humaine pour cela.
Autre cause invoquée, le développement du télé-travail à domicile est promu par les centres d’appel, qui met en place des normes précises chez les particuliers qui effectueront cette tâche : Pièce dédiée obligatoire, et caméra de surveillance reliée à un central de contrôle.
Et bien sur, la délocalisation des centres vers l’Europe du sud ou de pays à faible coût de main d’oeuvre, en plus de servir de moyen de pression aux revendications est une option de rentabilisation financière largement envisagée par ce type d’entreprise.
On a donc complètement quitté la logique de service pour mettre en oeuvre uniquement la logique de profit avant tout.
L’idéologie ultra-libérale a donc aussi fait son nid dans ce secteur d’activité, assez nouveau pour permettre toutes les tentatives de fonctionnement anti-social, anti-syndicale, anti-salariale.
Seules les actions concertées au niveau national et international des travailleurs et avec l’aide des syndicats pourra permettre de maintenir un niveau humainement supportable, tant dans les rémunérations que dans les conditions de travail.