Le PS s’obstine sur sa liberticide loi « Renseignement »
Ce nouveau paquet légal est inquiétant à plus d’un titre.
La teneur floue et déresponsabilisée de plusieurs de ses sections, notamment, (851-3 et 851-4 par exemple), l’absence d’un organe réel de contre-pouvoir direct ( rôle que ne remplit pas du tout son CNCTR*). Le contexte global de sa mise en oeuvre par un gouvernement pressé, sécuritariste, belliqueux, désavoué et aux abois à plusieurs niveaux (économique, social, électoral, idéologique) ont même valu à cette réforme le surnom de « réforme post-Charlie » (sic).
En s’appuyant sur quelques analyses et outils, notamment mis à disposition par la Quadrature du Net, afin de contacter les parlementaires favorables à cette loi, on pourra obtenir une simili-réponse à priori copiée-collée du site d’une députée du Lot, sous forme de communication bien huilée mais totalement absurde (voire mensongère) sur le fond. En voici quelques extraits commentés :
Justification par le contexte
« Ce texte n’est pas une loi de circonstance écrite dans la précipitation après les attentats de janvier dernier. Il procède en effet d’une longue réflexion (…) Sa présentation a été annoncée par le Président de la République dès juillet 2014 et confirmée par le Premier ministre en décembre dernier lors d’un colloque organisé par la CNIL »
D’abord, ironiquement, la CNIL est évoquée ici alors que ses préconisations qui contredisent bien des points de la loi (tout comme celles de la LDH, de l’UsM) sont ignorées royalement par le gouvernement en la matière ! Par suite, le déni d’une quelconque précipitation ne sert ici qu’à masquer maladroitement sa réalité : le gouvernement a clairement pressé le pas dès janvier dans une manoeuvre de communication évidente – pour quiconque ne cherche pas à défendre aveuglement le PS et son virage sécuritaire. Virage aggravé par Valls et son recours systématique à l’agitation médiatique et aux discours de « fermeté » calqués sur des méthodes pourtant décriées du temps de la Sarkosie (voir le livre édité en 2009 par le PS : La France en libertés surveillées – La République en danger).
« Face au développement du numérique mais aussi à l’émergence de menaces plus complexes et technicisées, il est devenu indispensable de doter nos services de moyens adaptés tout en préservant les droits et libertés des citoyens. »
Voici là encore de quoi endormir la légitime vigilance citoyenne : c’est au nom de « menaces » incomprises par l’immense majorité des parlementaires, (comme pour le cas d’HADOPI, qui avait 30 ans de retard sur le fonctionnement du web), qu’ils devraient valider une loi autorisant une surveillance généralisée dont ils mésestiment largement les conséquences liberticides. De la pure langue de bois doublée d’une incompétence à demi-avouée …
Affaiblissement du juridique
« Bâtir un cadre juridique pour l’activité des services de renseignement est non seulement une nécessité mais un progrès de l’Etat de droit (…) Il n’est vraiment plus acceptable que la France demeure l’une des dernières démocraties à ne pas bénéficier d’un cadre juridique, s’exposant ainsi à une condamnation de la Cour européenne des droits de l’homme. »
Sans pour autant revenir dessus, on notera au passage l’argument purement idéologique et non-démontrée du « progrès » (et l’aiguillon retors du « dernier »).
Dans ce propos, la cohérence juridique est présentée comme d’une importance vitale ; pourquoi, alors, ne pas avoir inféodé l’application de la loi à un cadre judiciaire plus strict ? Pourquoi ses organes n’y sont-ils que consultatifs ? Pourquoi les services de Renseignement n’y ont de compte à rendre à personne et sont légalement déresponsabilisés de leurs potentiels abus ? Bref, il semble que l’invocation de la juridiction y soit à géométrie variable : elle justifierait une loi qui ne fait pas vraiment (sinon vraiment pas) appel à un arbitrage judiciaire de contre-pouvoir. Mieux, la « démocratie » est appelée en renfort de justification alors même qu’aucun référendum n’est venu valider ce projet, absent des promesses de campagnes d’Hollande, (dont une bonne part ont, a contrario, été enterrées) et va probablement passer en force par 49-3 – telle la récente loi Macron.
« La loi prévoit au contraire que la collecte du renseignement ne peut être qu’individuelle, proportionnée à la menace et temporaire »
C’est également faux : la loi cherche à étendre sans limite temporelle précise cet espionnage à l’entourage, même indirect, de personnes soupçonnées sur des critères très flous – dont sont mis en avant les plus spectaculaires (crime, terrorisme, etc), mais pour mieux masquer les moins avouables (dissidence politique, résistance citoyenne, occupation de ZAD, aide aux sans-papiers, etc). C’est un instrument de diktat mis sans garantie à la disposition du gouvernement actuel… et des futurs, dont on ignore tout quant à leur propension idéologique.
Des services démuselés
« Le texte vise donc à encadrer strictement encadrer les activités des services en précisant leurs missions, les techniques qu’ils pourront utiliser et le contrôle dont ils feront l’objet, suivant nos principes constitutionnels »
C’est tout simplement une contre-vérité : le texte généralise des pratiques abusives sous un vocabulaire flou, sans contrôle, sans responsabilité et dans un déni total des principes constitutionnels élémentaires.
« Aujourd’hui, les six services de renseignement (…) ne pouvaient légalement recourir qu’à des interceptions de sécurité (…) grâce à une loi de juillet 1991. Les compétences des services étaient éparpillées dans différents décrets (…) La loi vient instaurer un cadre général. Pour autant, tous les services ne pourront pas se prévaloir de toutes les finalités établies par la loi. Chacun d’entre eux ne sera autorisé à recourir qu’à certaines techniques en fonction de ses propres missions. »
Nonobstant la faute temporelle qui montre l’incohérence de la situation (d’une loi qui vient entériner des pratiques inavouées jusqu’alors), l’argument fallacieux qui viendrait ici justifier la loi c’est qu’elle rassemblerait et généraliserait… ce qui ne serait pas généralisable à tous les services ! Ceux-là même qui ne pourraient dès lors n’utiliser que « certaines » méthodes (mais lesquelles ?) en fonction du contexte (pour quelles « missions » ?). Aucune précision n’est apportée dans la loi : le flou et l’absence de contrôle qui sont pointés du doigt deviennent ici encore plus patents.
Un conservatisme rampant
« Les notions vagues ont été remplacées par des concepts juridiques et constitutionnels préexistants afin de désigner sans ambiguïté les facteurs de menace pour notre pays (terrorisme, espionnage, criminalité organisée, armes de destructions massives, violences collectives les plus graves) »
Voici donc l’armada lexicologique avouée : la peur et les grands mots/maux ! On connait parfaitement l’origine bushiste de cette méthode, c’est celle du Patriot Act au lendemain du 11 septembre et à la veille de l’intervention en Irak. Ici, ces termes ne sont jamais circonstanciés – comme si nous étions en guerre permanente contre des dangers (intérieurs et extérieurs) imminents menaçant toutes et tous, comme si ne pas agréer à cette loi était à la fois un antipatriotisme et de l’inconscience pure. Mais quid de l’engagement inutile de nos troupes dans des régions qui générent leurs effets retour ? Ou des mouvements sociaux sur notre territoire qui pourront faire l’objet d’une répression indistincte par ce même biais ? Et de la criminalisation abusive des jeunes et des militant(e)s proportionnellement inverse aux condamnations quasi inexistantes des violences policières présentées comme légitimes ? Aucun recul n’est pris, aucune limite n’est tracée : nos devrions céder notre liberté pour une « sécurité » illusoire.
« Contrairement aux Etats-Unis qui disposent d’un système d’espionnage massif et indifférencié »
Et c’est la tendance qui est précisement dénoncée dans ce paquet de loi « renseignement » … comme si suivre mais ne pas faire pire que les USA voulait dire aller dans le bon sens ?!
De l’enfumage
« Le cœur du projet de loi (…) à l’issue des 37 auditions (d’associations, autorités administratives indépendantes, syndicats, institutions), repose sur la création d’une autorité administrative indépendante, la Commission nationale du contrôle des techniques du renseignement (CNCTR). (…) en cas de désaccord entre cette commission indépendante (…) et le Gouvernement, celle-ci pourra saisir le Conseil d’Etat afin de trancher le litige. »
On voit bien que l’avis de cet organe (CNCTR) n’est que purement consultatif, et surtout que sa contestation est semée d’embûches (par opacité des services, par composition interne, par priorité gouvernementale, par arbitrage externe) et qu’il n’a donc AUCUNE influence directe sur des renseignements disposant d’une carte blanche catastrophique. C’est donc un trompe l’oeil pour une situation d’impunité totale.
« Le Conseil d’Etat pourra être également saisi par un citoyen, une personne morale ou une juridiction de l’ordre judiciaire à titre préjudiciel. Si elle estime que la loi n’a pas été respectée »
Mais qu’importe la possibilité de saisir une instance d’arbitrage si son cadre légal est déjà délétère au départ ? Voilà qui cherche à faire oublier par la forme que le problème de fond c’est cette loi elle-même et non pas la façon dont on l’appliquera ou non, ni dont on pourra la critiquer ou non une fois validée.
« Notre pays s’apprête à rejoindre le cercle des démocraties adultes (…) La définition de principes législatifs, dépassant les évolutions techniques »
Du joli : infantilisation des opposant(e)s à la loi couplée à l’assurance « démocratique » qui a ici bon dos puisque, faut-il le rappeler, la loi risque bien de passer en force sans consultation populaire, avalisant l’usage bigbrotheresque de la technologie au mépris des principes légaux les plus élémentaires. S’il fallait s’en convaincre, l’ignorance et/ou la mauvaise foi de tout l’argumentaire éclate en plein jour !
Quels amendements ?
Jeter un oeil sur quelques amendements proposés par les groupes parlementaires opposés au projet est tout à fait instructif. Pour illustrer ceci précisément, entre autres exemples possibles, prenons l’amendement 142 très argumenté et raisonnable du groupe communiste. Il demandait notamment :
- la suppression de mots-valises permettant d’invoquer tout et n’importe quoi (« forme républicaine des institutions » ?!) pour justifier des moyens de surveillance jugés abusifs,
- l’ajout d’un contexte précisé (tel une « menace imminente ») autour des concepts anxiogènes (comme le « terrorisme ») instrumentalisés par le gouvernement pour « justifier » la loi,
- la non-validation d’une surveillance automatisée et généralisée par du logiciel sur lequel aucune transparence ni donc aucun contrôle ne sont possibles,
- la stricte dépendance à l’autorité judiciaire des services chargés de mettre en oeuvre des actes concrets de surveillance motivée par des soupçons matérialisés,
- l’interdiction d’un élargissement flou et intrusif à l’entourage des personnes ciblées contournant la jurisprudence notamment de la CNCIS (suffisance, pertinence, sincérité, précision, etc),
- la remise à situation exceptionnelle de l’utilisation de moyens exceptionnels (captation sonore, visuelle et informatique) que la loi voudrait en l’état généraliser et banaliser.
Cette série de propositions a été rejetée, ce qui suffira amplement pour conclure la présente analyse.
* CNCTR : Commission Nationale du Contrôle des Techniques du Renseignement
Sources :
Dossier de la quadrature du net
Le blog de Lucette Lousteau
Amendement du groupe communiste (142)
Rapport 2007 du CNCIS
Ce que cette loi peut changer dans votre quotidien
Débats autour de la loi sur le renseignement