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Offshore Leaks: Scandale mondial

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Une mémoire tampon de 2,5 millions de fichiers a trahi les secrets de plus de 120.000 sociétés et trust offshore (à l’étranger), révélant au grand jour des arrangements cachés de politiciens, d’escrocs et de très grosses fortunes à travers le monde. Ces fichiers obtenus parl’International Consortium of Investigative Journalists (ICIJ). Les enregistrements mettent à nu les noms derrière les entreprises clandestines et les trusts privées dans les îles Vierges britanniques, les îles Cook et d’autres refuges offshore.

Parmi ceux-ci, des dentistes et médecins américains, des bourgeois grecs ainsi que des familles et associés de despotes de longues dates, des escrocs de Wall Street, des milliardaires d’Europe de l’Est, des dirigeants d’entreprises russes, des marchands d’armes internationaux, une société écran dirigée par un homme de paille que l’Union européenne a étiqueté comme l’un des rouages de l’élaboration du programme de développement nucléaire de l’Iran.

Les fuites fournissent faits et chiffres – des transactions en espèces, des dates d’incorporation (assimilation?), des liens entre entreprises et particuliers – qui illustrent à quel point le secret financier offshore s’est largement propagé dans le monde entier. Qui permet aux riches et aux longs bras d’éluder les impôts et d’alimenter la corruption et les maux économiques dans de nombreux pays, riches et pauvres. Les documents détaillent les avoirs offshore d’entreprises et de particuliers dans plus de 170 pays et territoires.

Ce trésor de données représente la plus grande réserve d’informations confidentielles sur le système offshore jamais obtenue par un organe de presse. La taille totale des fichiers, mesurée en gigaoctets, est plus de 160 fois plus importante que la fuite du département d’État des États-Unis interceptée parWikileaks en 2010.

Pour analyser ces documents, les 86 journalistes de 46 pays ont utilisé des outils high-tech de traitement de données et investigué en profondeur pour passer au crible emails, livres de comptes et autres fichiers couvrant près de trente années.

Gangsters et oligarques

La vaste flux d’argent offshore – légal et illégal, personnes physiques et morales – peut perturber des économies et monter des nations les unes contres les autres. La persistance de la crise financière européenne a été alimentée par une catastrophe fiscale grecque et exacerbée par la fraude fiscale offshore et par une grave crise bancaire dans le minuscule paradis fiscal de Chypre, où les actifs des banques locales ont été gonflés par des vagues de liquidités en provenance de Russie. La Stolen Asset Recovery Initiative, un programme de la Banque mondiale et de l’Organisation des Nations Unies, a estimé que les flux transfrontaliers des recettes mondiales des crimes financiers totalisaient un montant annuel estimé entre 1.000 et 1.600 milliards de dollars.

Les clients offshore identifiés dans les documents :

- Des particuliers et des sociétés liés à l’affaire Magnitski en Russie, un scandale de fraude fiscale qui a égratigné les relations américano-russes. Il en avait résulté l’interdiction pour les Américains d’adopter des orphelins russes.

- Un magnat de l’entreprise qui a gagné des milliards de dollars en contrats en plein boom de la construction du Président azerbaïdjanais Ilham Aliyev, alors même qu’il officiait en tant que directeur des sociétés offshore détenues par des filles du président.

- Des milliardaires indonésiens ayant des liens avec l’ancien dictateur Suharto, qui a enrichi un cercle d’élites au cours de ses décennies au pouvoir.

Les documents fournissent également de possibles nouveaux indices sur des crimes et pistes financières non-résolus ou abandonnés.

Après avoir appris que l’ICIJ avait identifié la fille aînée de l’ancien dictateur Ferdinand Marcos, Maria Imelda Marcos Manotoc, en tant que bénéficiaire d’un trust des Îles Vierges Britanniques, les responsables philippins n’ont pas caché leur impatience de savoir si les actifs du trust faisaient partie des 5 milliards de dollars (estimation) que son père a amassés par la corruption. Manotoc, un gouverneur de province aux Philippines a refusé de répondre à une série de questions sur ledit trust.

D’autres noms de haut niveau ont été identifiés dans les données offshore. Ils comprennent l’épouse du Premier vice-Premier ministre russe, Igor Chouvalov, et deux cadres supérieurs chez Gazprom, le plus gros extracteur de gaz naturel au monde, propriété du Gouvernement russe. Les fichiers récupérés montrent que la femme de Chouvalov et les responsables de Gazprom ont tous les trois des participations dans des sociétés sur les Îles Vierges britanniques.

L’essor de l’offshore

L’anonymat du monde offshore rend les flux d’argent difficiles à tracer. Une étude réalisée par James S. Henry, ancien économiste en chef au sein de McKinsey & Company, estime que les personnes riches ont entre 21.000 et 32.000 milliards de dollars en patrimoine financier privé niché dans les paradis offshore – à peu près l’équivalent des économies américaine et japonaise additionnées.

Même si l’économie mondiale a trébuché, le monde offshore a continué de croître, a déclaré Henry, qui est un membre du conseil du Tax Justice Network, un groupe international de recherche et d’influence critique à l’égards des paradis fiscaux. Ses recherches montrent, par exemple, que les actifs gérés par les 50 plus grandes “banques privées” du monde – qui utilisent souvent des paradis fiscaux pour servir leurs clients à “valeur nette élevée » – sont passés de 5.400 milliards de dollars en 2005 à plus de 12.000 milliards de dollars en 2010.

Les défenseurs de l’offshore répliquent que la plupart des clients offshore sont engagés dans des opérations légales. Les centres offshore, disent-ils, permettent aux entreprises et aux particuliers de diversifier leurs investissements, forger des alliances commerciales à travers les frontières nationales et faire des affaires dans les zones favorables à l’entrepreneuriat qui ne s’embarrassent pas des règles et des lourdes formalités administratives du monde onshore.

Une grande partie du rapport de l’ICIJ a mis l’accent sur les travaux de deux sociétés offshore, l’une, Portcullis TrustNet, basée à Singapour et l’autre, Commonwealth Trust Limited (CTL), sur les Îles vierges britaniques. Celles-ci auraient aidé des dizaines de milliers de personnes à créer des sociétés et trusts offshore ainsi que des comptes en banque difficiles à tracer. Les organismes de régulation des Îles Vierges britanniques ont révélé que CTL a violé à plusieurs reprises les lois anti-blanchiment entre 2003 et 2008 en omettant de vérifier et d’enregistrer les identités et l’antécédents de ses clients. «Cette entreprise a connu des problèmes de blanchiment d’argent systémique au sein de son organisation», a déclaré l’année dernière un responsable de la Commission des Services financiers des Îles vierges britanniques.

Les documents montrent, par exemple, que CTL a mis sur pied 31 entreprises en 2006 et 2007 pour un individu identifié par la suite par le tribunal britannique comme un homme de paille pour Mukhtar Ablyazov, un magnat de la banque kazakhe accusé d’avoir volé 5 milliards de dollars de l’une des plus anciennes banques de Russie. Ablyazov dément avoir commis le moindre acte répréhensible.

L’examen des documents de TrustNet a également permis d’identifier 30 clients américains accusés de fraude, de blanchiment d’argent, ou de tout autre faute financière grave dans des procès ou des affaires criminelles. Ils comprennent les ex-titans de Wall Street Paul Bilzerian, un “raider” d’entreprise reconnu coupable de fraude fiscale et de violation de valeurs mobilières en 1989, et Raj Rajaratnam, un gestionnaire de fonds de couverture milliardaire envoyé en prison en 2011 à l’issue de l’un des plus grands scandales de délits d’initiés de l’histoire américaine. TrustNet a refusé de répondre à une série de questions à ce sujet.

“Guichet unique”

Les clients offshore sont servis par une industrie d’intermédiaires grassement rétribués. Des comptables, des avocats et des banques qui leur procurent un abri et leur montent des structures financières et des actifs aléatoires en leur nom.

Des documents obtenus par l’ICIJ montrent comment deux premières banques suisses, UBS et Clariden, ont travaillé avec TrustNet à fournir à leurs clients des sociétés secrètes et blindées dans les Îles Vierges britanniques et d’autres centres offshore. Clariden, détenue par le Credit Suisse, aurait requis de tels niveaux de confidentialité pour certains clients qu’un responsable chez TrustNet a décrit la demande de la banque comme le «Saint Graal» des entités offshore – une entreprise tellement anonyme que la police et les régulateurs tomberaient sur un “mur blanc” s’ils essayaient de découvrir les identités des propriétaires (actionnaires).

Un porte-parole d’UBS a déclaré que la banque applique «les plus hautes normes internationales» pour lutter contre le blanchiment d’argent et que TrustNet « est l’un des 800 fournisseurs de services à l’échelle mondiale avec qui les clients UBS choisissent de travailler pour subvenir à leurs besoins de richesses et de planification de la relève. Ces fournisseurs de services sont également utilisés par les clients d’autres banques. »

TrustNet se décrit comme un «guichet unique» - son personnel comprend des avocats, des comptables et autres experts qui peuvent façonner des “packages” secrets pour s’adapter aux besoins et aux valeurs nettes de ses clients. Ces forfaits peuvent être simples et pas chers, comme une société à affrétée dans les îles Vierges britanniques. Ou ils peuvent prendre la forme de structures complexes qui tissent de multiples couches de trusts, des sociétés, des fondations, des produits d’assurance et ces fameux administrateurs et actionnaires “nominés”.

Quand ils créent des entreprises pour leurs clients, les entreprises de services offshore nomment souvent de faux administrateurs et actionnaires – des procurations qui font office de “stands-in” lorsque les véritables propriétaires d’entreprises ne veulent pas que leur identité soit connue. Grâce à la prolifération d’administrateurs et d’actionnaires de paille, les traqueurs de blanchiment d’argent et autres crimes financiers se retrouvent souvent dans des impasses quand ils essayent de découvrir qui se trouve réellement derrière les sociétés offshore.

Une analyse menée de concert par l’ICIJ, la BBC et le Guardian a identifié un groupe de 28 administrateurs de paille qui ont servi en tant que représentants sur le papier de plus de 21.000 entreprises entre elles. Ces administrateurs représentant 4.000 entreprises chacun.

Parmi les hommes de paille identifiés dans les documents obtenus par l’ICIJ figure un agent britannique qui a servi en tant qu’administrateur pour une société basée aux Îles vierges britanniques, Tamalaris Consolidated Limited. Organisation que l’Union européenne a étiqueté comme une société écran de la Compagnie de Navigation de la République islamique d’Iran. L’UE, l’ONU et les Etats-Unis ont accusé l’IRISL d’aider l’Iran à l’élaboration de son programme nucléaire.

Article rédigé par Gerard Ryle, Marina Walker Guevara, Michael Hudson, Nicky Hager, Duncan Campbell and Stefan Candea.

Ont également contribué à l’enquête : Mar Cabra, Kimberley Porteous, Frederic Zalac, Alex Shprintsen, Prangtip Daorueng, Roel Landingin, Francois Pilet, Emilia Díaz-Struck, Roman Shleynov, Harry Karanikas, Sebastian Mondial et Emily Menkes.

Article traduit de l’anglais par Olivier Croughs, journaliste à Le Soir.
Photo : rts.ch