Macron : une légitimité à géométrie variable
Macron, à grand renfort de trains successifs de réformes accélérées, ne cesse de revendiquer le bien fondé de cet activisme forcené par sa légimité à agir avec le soutien du peuple : « Je fais ce pour quoi on m’a élu, je l’avais annoncé donc je le fais ».
Mais à y regarder de plus près, cette monarchie républicaine, sous le joug d’une autorité verticale absolue, est un total jeu de dupes. Tant pour l’écart constaté par rapport à ce qui était écrit sur l’emballage électoral, que pour les contenus des réformes, leurs priorités et les choix idéologiques endossés très tôt dans cette nouvelle législature.
Plusieurs hiatus idéologiques et de gouvernance apparus rapidement après l’investiture ne font que se renforcer, et les questions qui se posent dès lors sont les suivantes : sur quel programme a-t-il été élu, respecte-t-il ses engagements, est-il, comme il l’affirme, légitime auprès du peuple pour passer outre ses promesses électorales « en même temps » et de « gauche » et de droite ?
En outre, il semble évident que certaines « réformes » non seulement sont des trains qui en cachent d’autres, mais, comme des générations spontanées, émergent d’on ne sait où, débarquant avec fracas sans avoir été annoncées ni promises.
Ces réformes sociales et fiscales attaquent les plus démunis en les opposant les uns aux autres, en justifiant le moins-disant ; elles permettent d’une part par la technique du rouleau compresseur de tout faire passer par un chas d’aiguille, mais servent aussi sur un plateau d’argent des cadeaux subtanciels aux lobbies du CAC40 ainsi qu’aux plus riches.
Le système parlementaire En Marche ou Crève.
Les projets de loi présentés à l’assemblée nationale sont travaillés en commissions parlementaires afin d’y ajouter des amendements, permettant théoriquement à toutes les sensibilités politiques de faire évoluer les textes en fonction de leurs convictions. De fait, plus il y a de projets de lois et d’amendements sur chacune qui sont présentés, plus le travail en commissions est long et fourni. Or, il faut des représentants de chaque tendance politique dans ces commissions afin d’équilibrer les tendances lourdes portées par les lois afin qu’à la suite de négociations un consensus global soit trouvé.
Voici la composition des groupes : La France insoumise 17, Nouvelle Gauche 31, La République en Marche 313, Le Mouvement démocrate 31, Les Constructifs 35, Les Républicains 100, Non inscrits 18. Or, on voit d’emblée que le total des députés hors de la République en Marche est de 232 … soit 81 députés de moins que la macronie !
Ce qui crève les yeux, c’est qu’en inondant l’assemblée nationale de projets de lois lourds et sujets à contestations, le roulement nécessaire pour que chaque groupe parlementaire soit équitablement resprésenté en temps et en nombre dans chaque commission est impossible. Avec 313 députés, la république en Marche a des réserves de députés disponibles et « frais » pour tourner dans les commissions, avec une mission simple : approuver tout et n’importe quoi estampillé « Macron ».
Pour les autres groupes, c’est au choix : s’exploser la santé mentale en courant partout pour faire à trop peu le travail au moins mal possible ou bien focaliser sur l’essentiel pour porter correctement ses convictions.
En définitive, le tsunami législatif qui inonde le parlement n’est pas fait pour « réformer vite » le pays. Il est calculé pour asphyxier les contradicteurs, vider les sièges des opposants en commissions par abandon ou K.O. mental, en siégeant non-stop week-end et dimanche compris, sans interruption comme dans un rêve du Médef. Il ne reste qu’à passer en force des lois anti-sociales et/ou ultra-libérales par absence d’opposition.
Pourtant, le temps des lois ne devrait pas être celui des starts-up : c’est celui de l’intérêt général, un bien commun qui a besoin d’être pensé, débattu longuement en toute justice et équité. C’est le temps de l’humanisme, de démocratie, ici foulé aux pieds avec cynisme.
Assemblée nationale macronienne : Godillots CSP+
Les élections législatives qui ont suivi l’élection de macron sont très particulières dans l’histoire de la 5ème république.
Après l’éviction nette des partis traditionnels, à part le FN/RN, les legislatives ont suivi le mouvement.
Dans l’élan de la présidentielle, le seul fait d’être présenté REM a suffit dans la majorité des cas, sauf petits arrangements politiciens entre amis, à faire élire de parfaits inconnus (ou presque) absolument novices en politique, mais CSP+ dans l’âme et assez éloignés des soucis de fin de mois du quidam moyen au smic, au chômage ou RSA.
Pour résumer, une chêvre se fût présentée qu’elle eût été élue les deux sabots dans le naseau.
Ces 313 députés qui doivent tout à macron sont menés à la baguette et d’une poigne de fer par Richard Ferrand, connu pour ses présumés conflits d’intérêt dans l’achat du siège des Mutuelles de Bretagne par son épouse. Ils sont là pour valider tout ce qui descend du gouvernement, qui ne veut voir aucune tête dépasser. Dans le cas contraire, des séances privées de mises au point sont régulièrement organisées, et des menaces d’exclusion savamment distillées.
D’où viennent-ils ces députés ? 126 viennent de la « gauche », 117 sont sans couleur politique, 17 viennent du centre et 48 de la droite. 219 députés sont « vierges » de tout engagement politique. 88 (29%) sont des cadres, 73 (24%) sont des fonctionnaires et 53 (17%) sont des professions libérales. 6 sont commerciaux (1,6%) et 9 sont commerçants ou ouvriers (2,8%) . Les 30% restant sont des élus opportunistes sortis surtout de la « gauche » en déroute.
C’est donc un groupe qui est constitué majoritairement de classes aisées, certes plus diverses que dans les partis politiques professionnels, mais qui ne sont pas plus représentatifs de la population réelle du territoire, tant dans le style de vie, les ressources dont ils disposent, leur niveau culturel, plutôt citadins et dont les préocupations ne sont pas sociales, solidaires, mais surtout qui sont « aux ordres » tels des redevables face au pouvoir jupitérien qui les a hissés au rang de députés.
Faire ce que je fais mais pas ce que j’ai dit ….
La campagne En Marche était, sinon mensongère, non conforme pour le moins. Comme dans une publicité de plat cuisiné industriel, la réalité est bien différente et très décevante, le boeuf se mue en cheval et le diable se cache dans les détails écrits en lilliputien troisième année de langue étrangère.
Deux techniques bien rodée dès lors sont appliquée par le président (le reste des troupes, ministres compris n’étant que des exécutants dociles pour la galerie).
La première consiste à mettre en oeuvre des réformes pour lesquelles rien n’avait été annoncé. Il est ici question des réformes suivantes :
-Les onze vaccins obligatoires
-La baisse des APL
-La suppression des contrats aidés
-La loi contre les fausses nouvelles
-La vitesse abaissée à 80 km/h
-L’abandon de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes
-La réforme de la SNCF
-La réduction du rôle des jurys d’assises
-L’instruction obligatoire à 3 ans
-La deuxième journée de solidarité
Observons les mesures sociales menées hors programme par ce président : hormis l’instruction obligatoire à 3 ans et le problème de NDDL dont on ne s’étendra pas sur les réelles raisons (politiques et économiques plus qu’écologiques) d’abandon, et la loi sur les fake-news le concernant directement et visant à museler la presse, toutes ces réformes sont anti-sociales, anti-justice, ou tout simplement stupides car sortiees de nulle part sans consultations ou études d’impact.
La seconde méthode, la plus pernicieuse, est de glisser dans les réformes annoncées, des paragraphes anodins qui cachent de nouveaux loups.
En matière d’information, les lois sur le secret des affaires et des fausses nouvelles est un exemple frappant. Les principaux médias de presse écrite et télévisée sont déjà aux mains de milliardaires (Vincent Bolloré, Xavier Niel ou encore Patrick Drahi, etc). Aujourd’hui, le pouvoir défait les principes de la grande loi de 1881 qui garantissait la liberté de la presse. Ces deux projets de loi, examinés séparément, semblent ne pas avoir de rapport entre eux. Mais ce sont des tentatives pour mettre l’information sous contrôle et vers une mise sous tutelle de l’audiovisuel public. Ce qui ne saute pas aux yeux au premier abord ne résiste pas à une analyse plus approfondie des textes et des objectifs attendus par le pouvoir, avec la bienveillance des milieux d’affaires et des patrons du CAC40 bien sûr.
La réforme de la SNCF est l’autre exemple criant de cette seconde méthode. Sous prétexte d’ouverture à la concurrence imposée par l’Europe, le gouvernement veut en réalité aller peu à peu vers une privatisation (qui ne dit pas son nom) de la SNCF. Transformation d’un service public en S.A. et fin du statut des cheminots. Ces deux mesures ne concernent en rien le déficit abyssal de la SNCF imputable à l’incurie de l’Etat et des anciens PDG, mais derrière le prétexte du déficit annoncé, les mesures avancées n’ont pour but que de privatiser le tout en une structure hybride qui pourra ouvrir un jour prochain son capital à des sociétés privées.
Quand à la loi sur le secret des affaires, supposée protéger les informations économiques sensibles, c’est en réalité une «attaque sans précédent contre le droit d’informer ou d’être informé de manière libre ou indépendante» (sic). Elle réprime la divulgation de toute information vaguement définie comme ayant une valeur «économique», au sens très large. Si large d’ailleurs que les médias, syndicats et ONG sont vent debout contre cette atteinte à la liberté de dénoncer les dérives des entreprises, d’exposer au grand jour les scandales financiers ou sanitaires, bref cette loi sonne le glas des lanceurs d’alerte.
A ce propos, le collectif Stop Secret a déclaré :«La loi érige le secret des affaires en principe général et relègue la liberté d’information au rang de simple exception, sans poser de cadre précis».
Ce qui, en clair, veut dire : »Les profits des entreprises priment sur la liberté d’expression, pourtant l’un des fondements de la démocratie, et il ne sera plus possible, étant donné le manque de clarté du cadre législatif, de dénoncer les fraudes, la corruption, les conflits d’intérêt, les scandales sanitaires ou financiers » !
D’autant que les tribunaux de Commerce étant décideurs mais incompétents en ce qui concerne la liberté d’expression et le droit à l’information, on imagine facilement de quel côté penchera le plateau de la balance de cette « justice ».
Et que dire du renoncement sur l’interdiction du Glyphosate ?
Le suffrage universel minoritaire est-il légitime ?
Les présidents de la Vème république sont élus au suffrage universel. Ceci étant posé, que veut dire suffrage universel ? Suffrage, on connaît, c’est le fait de voter. Universel ? Cela veut dire tout le monde sans exclusion. Or dans le contexte de notre « suffrage universel », c’est la majorité qui l’emporte … mais la majorité des votes exprimés seulement, ce qui n’est déjà plus très universel.
Que faire de ceux qui ne se déplacent pas car aucun des candidats ne les représente ? Que faire de ceux qui ne se déplacent plus car ils savent qu’ils ne seront ni écoutés ni entendus, oubliés depuis longtemps déjà ? Et que faire de ceux qui ne prennent même plus le temps d’aller s’inscrire sur les listes électorales, car ils savent de toute manière que depuis longtemps les politiques ne vivent pas dans le même monde qu’eux, et que leur destin n’intéresse plus l’Etat depuis longtemps ? Et pour finir, comment tenir compte de ceux qui ont fait la démarche d’aller voter, mais qui ne veulent ou ne peuvent choisir et votent blanc ou nul par rejet ?
L’étude des chiffres vaut mieux que mille discours.
En France, 50,65 millions de citoyens sont en âge d’aller voter sur une population en 2017 de 64,8 millions de Français. Mais seulement 47,58 millions de personnes sont allées s’inscrire sur les listes électorales, soit 94% des citoyens en âge de le faire.
Lors du premier tour 10,58 millions de personnes se sont abstenues, soit 22,23% des inscrits, et 945 000 votes ont été blancs ou nuls. Au total 11,525 millions des personnes n’ont pas exprimé de choix, soit un quart des inscrites.
Macron a obtenu au premier tour 8,657 millions de voix. Soit 17,09% des Français en âge de voter ou 18,19% des inscrits – mais étrangement on a juste retenu qu’il avait obtenu 24,01% des voix … exprimées.
Au second tour il a obtenu 20,743 millions de voix soit 43,61% des inscrits ou 40,95% des français en âge de voter. Mais encore on a retenu qu’il l’avait emporté avec 66,10% des voix … exprimées là encore.
Au delà, y avait-t-il adhésion ? Quel est le pourcentage de votants qui a en fait glissé un bulletin anti Le Pen dans l’urne, mais n’adhérait pas au programme décliné par Macron ? Dès mai 2017, une étude réalisée par Ipsos/Sopra Steria pour France Télévisions, Radio France LCP/Public Sénat, RFI-France 24, Le Point et Le Monde fait apparaître que 43% des électeurs du second tour qui ont voté pour Macron … n’ont en réalité voté que contre Le Pen, sans adhésion macroniste aucune. Alors qu’est ce que la légitimité réelle de Macron ? Au second tour, seuls 62% des plus de 18 ans se sont exprimés : 40,95% des français en âge de voter on voté pour lui et sur les 20,743 millions de voix 43% l’ont choisi par pur refus de l’autre candidate.
En réalité, largement plus de la moitié des français en âge de voter n’ont pas choisi Macron. Dès le premier tour, le vote a tourné au « dégagisme », et au second tour il a exprimé un « tout sauf le pen ». Si on fait confiance aux résultats du premier tour comme étant celui où on choisi sont candidat, un maximum de 17% des français en âge de voter soit 18,19% des inscrits ont voté pour lui, pas plus.
Alors, légitime ou pas ?
Poser la question c’est y répondre : Macron n’est que le président des gagnants de la mondialisation, des métropoles, des CSP+, et en tant que tel il n’est absolument pas légitime aux yeux de la majorité des français. Ce qui rend encore plus insupportable les réformes idéologiquement pro-business, pro-riches menées tambour battant, et les quelques mesurettes « sociales » comme la taxe d’habitation reportées à un futur plus ou moins lointain.
Mais dès qu’il s’agit de cadeaux fiscaux (ISF, Flat tax…) et de restrictions (CSG, loi travail, baisse des APL, 7 milliards de coupes budgétaires aux aides sociales qui sont sur le piano de la cuisine macronienne…), tout est acté très rapidement. Les promesses sociales, de justice, de répartition des richesses, sont projetées à un « peut-être » en fin de mandat, si la conjoncture le permet, voire à la mandature suivante, une deuxième tournée, ça vous dirait ?
Pire, Macron délégitime la démocratie représentative, qui n’est que le miroir de la classe de ceux et celles qui vivent bien de ce libéralisme financiarisé, soit une majorité des députés LRM à son image et moins d’un français sur 5 – qui en est ou qui y aspire.
Sources :
LCI
Assemblée Nationale
BFMTV
le Monde
mediapart
Liberation
Insee
Public Sénat
Ministère de l’Intétrieur
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