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L’amer constat post-attentat

À l’heure où déferlent les récupérations, les haines et les hystéries généralisées, un long tunnel s’ouvre devant nous sans aucune sortie politique par le haut en vue…
Malgré tout, il semble nécessaire de contempler le désastre dans son entiereté, avec lucidité, sans concession ni complaisance d’aucune sorte. Essayons !

Tout d’abord, l’horreur…

On ne peut pas commencer un tel constat sans exprimer l’horreur ni sans partager la douleur qui atteint une famille, mais aussi des proches, collègues et élèves inclus.
Faire au quotidien ce travail social et culturel épineux, mal rémunéré, peu soutenu par sa hiérarchie, sans cesse mis en doute par une actualité complexe est déjà en soi difficile.
Mais il devient littéralement inimaginable sous la menace d’une violence physique potentiellement mortelle, comme ici. Tout cela ne peut donc que faire horreur et nous toucher au coeur.
Certes, la guerre au sens habituel est une horreur en elle-même, mais à tout le moins les protagonistes en sont plus ou moins également armés et conscients de s’affronter.
Ce n’est pas le cas ici : la dissymétrie est frappante, l’acte horrible, lâche et quasiment inhumain … mais pour autant il va bien falloir le regarder dans les yeux, sans ciller.

Quelles responsabilités ?

On peut chercher à cerner l’assassin : premier responsable certes, c’est aussi très probablement quelqu’un de déséquilibré et d’endoctriné par des responsables plus indirects.
Quelques utilisateurs de réseaux sociaux, parents d’élèves ou non, sont sûrement quelque part complices et/ou incitateurs par les rebonds d’une étrange « délation » ayant mené au meurtre.
Mais au-delà, quelques idéologues ne sont pas à oublier au passage : par exemple ce Sefrioui, une sorte de Zemmour version islamiste, attise la haine en miroir de celle de l’extrême-droite depuis des années.
Par la télé comme par internet, ces personnes créent et alimentent un « choc des civilisations » dont ils sont les 2 facettes complémentaires, l’une ne pouvant exister ni se conforter sans la présence de l’autre !

Amalgame à sens unique

Les amalgames sans distingo sont dès lors de mise : toute personne à faciès et/ou patronyme « maghrébin » est supposée en accord avec un acte criminel pourtant issu d’une interprétation religieuse nettement « hérétique » du Coran.
Comme si tout chrétien/catholique était, par exemple et par principe, accusé de soutenir les meurtriers blancs et racistes coupables de fusillades de masse aux États-Unis – dont les cas sont, malheureusement, trop nombreux pour être relégués au hasard.
Ou comme si toute personne d’obédience hébraïque devenait, par la magie des généralisations, co-responsables des tortures et meurtres perpétrés par l’armée israëlienne dans son injustifiable guerre impérialiste et frontalière qui dure depuis maintenant 60 ans.
Mais étonnamment, la seconde généralisation est inexistante, et la troisième n’est visible que du côté minoritaire de l’extrême-droite occidentale. En revanche, la première est devenu LE mot d’ordre jusque dans les médias dominants et la classe politique.

Chercher les bénéficiaires

Dans ce tumulte, il est salvateur de discerner les opportunistes de ce genre de fait divers qui deviennent des causes nationales, comme la plupart des attentats qui ont frappé la France ces dernières années.
À n’en pas douter, la droite réactionnaire institutionnelle – qui commence désormais dès Macron – est confortée dans son habituel discours islamophobe, dans la mesure où un tel acte semble lui donner « raison » en apparence.
Dès le premier soir a d’ailleurs été évoqué la résurgence d’une loi « Avia » retoquée avant l’été par le Conseil Constitutionnel pour juste motif liberticide ; mais il y a fort à parier que le gouvernement Castex va revenir à la charge.
On a déjà vérifié le résultat d’un tel système « d’état d’urgence » passé sous prétexte « anti-terroriste » : loin d’être réservé aux quelques fichés « S », il a surtout servi à réprimer militants écolos et gilets jaunes !

Un renoncement à gauche

Tandis qu’à gauche ça ne s’améliore pas : accusée sans fondement de complicité « islamo-gauchiste » (un qualificatif flou qui englobe quiconque n’est pas islamophobe), elle se tait majoritairement dans un moment de tension politique extrême.
Le peu qui parle fait aussi peur que la droite réactionnaire : on nous ressort les vieux Chevènement souverainistes ou les Valls exilés au racisme vautour … et même Mélenchon se laisse aller à des amalgames malsains sur la communauté tchétchène !
On peut donc craindre le pire pour les temps à venir, si ce qui est supposé servir d’opposition va dans le même sens, et sert la même soupe indigeste que la droite et l’extrême droite qu’elle devrait idéologiquement combattre.
Il semble donc que l’émotion et l’horreur du moment aient éteint toute capacité à décoder ce qui se joue, et tue toute volonté de désamorcer les récupérations évidentes qu’on pratique sous notre nez au quotidien depuis le 16 octobre au soir.

L’abandon éducatif

Déjà sous-financée et lâchée en rase campagne depuis des années avec des directives et programmes contradictoires sur l’Histoire, le civisme ou encore le voile, l’École publique va souffrir encore plus encore de cette tragédie.
Elle devait déjà subir une espèce d’hypocrite opportunisme : celui de mesures disciplinaires au moindre écart gênant, mixé d’encouragement à marteler des thématique sensibles, telle une fausse « laïcité » dévoyant totalement l’esprit de 1905.
Or le discours officiel demeure qu’aucune institution n’est raciste – même pas la police dont les « bavures » (véritable terreau du banditisme et du radicalisme religieux) envers les immigrés sont innombrables. Il n’y aura aucune remise en question du côté du pouvoir.
Cependant les parents, d’obédience confessionnelle ou non, n’auront eux qu’une envie s’ils en ont les moyens : fuir une École déliquescente. D’autant que des vocations éducatives seront à n’en pas douter refroidies après un tel crime.
Le rêve d’une éducation vraiment laïque, publique et gratuite s’éloigne donc encore un peu (beaucoup) de nous, pour laisser encore plus de place et d’arguments aux sirènes du marché privé. Saura-t-on, collectivement, y résister encore et toujours ?

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La perspective électorale

La droite macroniste voudra donc devancer l’extrême-droite pour lui « couper l’herbe sous les pieds ». Mais à ce dangereux jeu-là, l’effet le plus évident sera d’élargir encore le boulevard dont dispose le RN après de tels évènements traumatiques.
L’ironie en est piquante : ce sont des proches du RN comme Hermant (encarté au parti) qui arment les Coulibaly et des idéologues comme Sefrioui (collusif de Dieudonné, Chatillon et d’autres proches des Le Pen) qui poussent les Anzorov au meurtre… le RN est donc un pyromane déguisé en pompier !
Mais remettre en plus au centre du débat ses thématiques et réagir quasiment comme elle le ferait, c’est redonner du crédit à l’héritière Le Pen, qui progresse à chaque massacre que son camp contribue à perpétrer – ou faire perpétrer par d’autres.
Et en tout cas, mettre en place – tel qu’actuellement – la politique sécuritaire et autoritaire que le RN exercerait s’il était au pouvoir revient à nous faire dores et déjà subir sa férule, mais sans légitimité démocratique préalable (qui risque d’advenir cependant…).
Pourtant Franklin nous a prévenu depuis le 18ème : « Un peuple prêt à sacrifier un peu de liberté pour un peu de sécurité ne mérite ni l’une ni l’autre, et finit par perdre les deux » ! 2022 nous guette…

Le regard géopolitique

Sur le terrain international, au milieu du chaos détouristique crée par le ou la Covid (comme on voudra, peu importe), la France ne peut passer une fois de plus que pour un pays occidental profondément meurtri par sa fracture (néo?)coloniale.
Les réactionnaires de tous poils vont pouvoir rechanter les mêmes refrains que d’habitude. Pour n’en citer que 2 : Trump et ses admirateurs (néo!)nazis, Bolsonaro et ses émules anti-métissage, et bien d’autres encore.
Mais n’oublions pas l’autoritaire Poutine qui va sauter sur l’occasion d’ironiser sur le choix français d’accueillir les exilés de sa « juste » guerre contre les tchétchènes en 1999, lorsqu’il forçait l’avènement de son sbire Kadyrov au pouvoir.
Et dans les régions dominées par des illuminés qui « relisent » n’importe quel livre sacré l’arme à la main sans voir leur propre contradiction, les effets politiques auxquels on assiste impuissants encourageront probablement quelques « soldats » à persévérer dans l’horreur.

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Un paradoxe douloureux

En conclusion de ce constat douloureux mais nécessaire, ce qu’on retient est l’étrange opposé entre les victimes et leurs récupérateurs avides de capitaliser sur l’émotion – légitime.
Que ce soit la mort de Paty aujourd’hui, ou les morts de l’équipe de Charlie Hebdo en janvier 2015, force est de constater qu’on a là des gens d’esprit contestataire, peut être libertaire et sûrement anti-clérical.
Des gens qui se foutaient des breloques et enclins à critiquer religions, uniformes, politicards et tout ce toutim réactionnaire qui dévoie les valeurs des Lumières comme de la République.
Mais au final, ils lui auront paradoxalement servi de « chair à canon » dans une « guerre » racialiste qui n’est pas la leur. Leur mort est récupérée : on leur colle (à titre posthume) une « Légion d’Honneur », dévalorisée de ce qu’on la refile aussi aux corrompus et/ou dictateurs (généralement bien vivants) qu’ils abhorraient.
De grands rassemblements sont organisés en leur nom, où des personnes vraiment sincères côtoient le pire cynisme politique décomplexé qu’on puisse cauchemarder. Tout ceci fait du mal à admettre, mais il faut le regarder en face et ne jamais l’oublier, pour leur rendre un véritable hommage.

Crédit Photo : France Culture, Le Monde.