Accueil ACTUALITE L’accord commercial le plus terrible et le plus secret a été dévoilé

L’accord commercial le plus terrible et le plus secret a été dévoilé

La volonté de l’administration Obama d’avoir une autorité pour un accord rapide ne se cantonne pas au TPP. De fait, cela pourrait être le moindre des 3 accords en cours de négociation par le comité commercial américain. En second, le TTIP relierait ainsi les 2 plus gros marchés du monde, à savoir l’UE et les États-Unis. Mais l’accord le plus important est aussi le plus discret : le TiSA, qui concerne pourtant 51 pays.

Mercredi 3 juin, WikiLeaks a amené cet accord sous les projecteurs en en publiant 17 documents clés, dont 11 chapitres en cours de négociation. Alors que les grandes lignes du projet sont en place depuis près d’un an, ces documents étaient supposés rester secrets jusqu’à 5 ans après la signature, ce qui illustre la confidentialité autour du texte, qui dépasse largement celle du TTP.

TiSA est en discussion depuis 2013 entre les USA, l’UE et 22 autres pays dont le Canada, le Mexique, l’Australie, Israël, la Corée du Sud, le Japon, la Norvège, la Suisse, la Turquie et quelques nations réparties dans l’Amérique du Sud et l’Asie. En tout, 12 nations du G20 y sont représentées et les négociations concernent quasiment tous les marchés développés sauf la coalition des pays émergents (dite « BRICS » pour : Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud).

L’accord vise à libéraliser la mondialisation des services, une définition floue qui englobe le transport aérien et maritime, la logistique, le commerce électronique, la télécommunication, la comptabilité, l’ingénierie, le consulting, la santé, l’éducation, la finance et bien d’autres aspects représentant près de 80% de l’économie américaine. Bien que les parties en présence soulignent qu’avec l’accord cesserait la discrimination envers les prestataires étrangers, le texte tend à restreindre la marge de manœuvre législative des gouvernements par une dérégulation latente. Il induit même le démantèlement et la privatisation de tout le secteur public pour le muer en entreprenariat privé. Certes, on a toujours l’air du conspirationniste de service qui distribue ses tracts sur le Nouvel Ordre Mondial quand on s’attaque à un sujet comme TiSA, mais l’accord ouvre réellement la voie à une domination totale des multinationales sur les pays et leurs citoyens.

wikileaks_top_secret

La lecture de ses articles (exemple ici sur le transport aérien : https://wikileaks.org/tisa/air-transport/TiSA%20Air%20Transport%20Negotiating%20Text.pdf ) nous fait réaliser le défi pour les membres du Congrès ou des parties en présence pour ne serait-ce que comprendre les termes réels de l’accord. Les parties entre accolades contiennent les propositions de chaque pays, le tout réuni dans un seul document avec les annotations de ce que chacun propose, admet, ou refuse pour chaque point spécifique. Il faut être soit avocat d’affaire soit un lecteur très averti pour entrevoir ce qui se trame. Mais avec le texte et une série d’analyses publiées par WikiLeaks, il est possible d’avoir une idée de ce que les négociants veulent derrière TiSA.

D’abord, ils réclament une moindre régulation du secteur tertiaire, que ce soit au niveau national, régional ou local. L’accord contient des clauses pour casser les limites en place et empêcher toute régulation future des standards techniques et des qualifications professionnelles. Elles sont accompagnées d’une garantie visant à briser tout protectionnisme.

Cela pourrait faire sens dans certains secteurs en compétition. Mais sous cet accord, les gouvernements deviendraient incapables de jauger leur personnel hospitalier, ou interdire l’exploitation schisteuse, ou améliorer le contrôle aérien, ou refuser des accréditations scolaires et universitaires. Les sociétés étrangères devant recevoir le même traitement que les locales, elles pourraient arguer que telle ou telle loi viole sa capacité à fournir tel service. Car selon l’annexe de TiSA, la régulation souhaitable ne devrait pas être « plus lourde que nécessaire pour assurer une qualité de service ». Aucune restriction ne pouvant plus être faite contre l’investissement prédateur, les multinationales pourraient contrôler des secteurs entiers.

Ceci forcerait la porte vers des dizaines de domaines, dont ceux des entreprises publiques détenues par les états, comme la téléphonie en Uruguay ou la poste en Italie. Précédemment, les services publics auraient été soit protégés soit forcés d’entrer en compétition avec les prestataires étrangers. Alors que les USA et l’UE ont assuré dans une déclaration commune qu’un tel besoin de privatisation n’était pas permanent, ils ont aussi « noté l’important rôle complémentaire du secteur privé dans ces domaines » pour « améliorer la disponibilité et la variété des services », ce qui ne réfère par exactement à des notions de bien commun.

Les sociétés privées seraient consultées pour toute nouvelle tentative de régulation, et pourraient consolider cette camisole de force par un mécanisme conflictuel proche de l’ISDS présent dans d’autres accords commerciaux, où ils peuvent réclamer légalement les sommes qu’ils pouvaient espérer dégager par bénéfice futur en l’absence de toute régulation.

Pour illustrer la manière dont ceci fonctionne, regardons les services financiers. Ils ont eux aussi leur clause bloquante, ce qui, sachant l’imprévisibilité des crises futures, pourrait laisser les gouvernements sans moyen de stopper une innovation financière toxique. En fait, la Suisse a proposé que tous les pays signataires de TiSA laissent « n’importe quel nouveau produit » entrer sur leur marché. La soi-disant « régulation prudentielle » protégeant les investisseurs et les déposants devient théorique car elle ne devrait pas contredire l’accord, qui la rend en quelque sorte inopérante.

De façon plus controversée, tout fournisseur de service financier pourrait faire légalement fuiter les avoirs de ses clients hors d’un pays signataire de TiSA, et ce quelle que soit la législation locale. Ce flux informatique sans retenue reste vrai pour l’annexe du commerce électronique ; voilà qui rompt avec des siècles de pratiques sur l’enregistrement des transactions, alarmant même les avocats privés.

2205-PARADIS-VLAHOVIC

Mais ces dispositions ne semblent pourtant pas consolider la contestation initiée par la sénatrice Elizabeth Warren, qui affirme qu’un tel accord saperait les bases de la régulation financière du Dodd-Frank Act. La proposition suisse sur l’autorisation des produits pourrait invalider toute règle sur les dérivés, par exemple. Et harmoniser les règles entre USA et UE les affaiblirait puisque celles d’Europe sont moins strictes.

Les pays membres de l’accord affirment vouloir un marché tertiaire ouvert entre 51 pays. Mais il y a déjà un accord régulant ces secteurs à travers l’OMC, nommé GATS. La seule motivation pour réécrire des règles est donc de supplanter le GATS, ce que l’UE admet volontiers (« si suffisamment de membres de l’OMC rejoignent TiSA, celui-ce deviendrait la norme la plus admise »).

C’est donc peut être l’objectif réel de TiSA : s’immiscer dans les marchés ouverts, déréguler et privatiser le tertiaire mondial, même chez les nations émergentes sans qu’elles ne soient parties prenantes de l’accord. Les entreprises américaines pourraient ainsi bénéficier d’une telle structuration, comme suggéré par la Chambre du Commerce, mais l’impact sur les travailleurs américains et étrangers du monde est beaucoup plus incertain. Les horizons sociaux, culturels, sanitaires deviendraient subordonnés au bon vouloir d’un régime mettant le profit privé en tête. Et cela rendrait nul et non avenu le rôle démocratique des gouvernements voulant opérer dans l’intérêt de leur électorat.

Sans surprise, tout ceci a provoqué de plus grandes inquiétudes dans le monde qu’aux USA. Mais un accord TiSA validé suivrait la même voie rapide que le TPP, amenant directement à un vote « quitte ou double » au Congrès sans possibilité d’amendement. Cette option demeure 6 années, et les négociateurs du prochain président seront peut être encore plus enclins à assurer l’hégémonie privée mondiale. « Ceci est un coup grave porté à nos droits et notre liberté, comme le TPP » disait Larry Cohen, président du syndicat des communications d’Amérique dans un discours, « et dans tous les cas le secret entretenu par notre gouvernement en est la clé ».

Source : « The Scariest Trade Deal Nobody’s Talking About Just Suffered a Big Leak » par D. Dayen sur http://www.newrepublic.com/article/121967/whats-really-going-trade-services-agreement
Images :   – télérama.fr
- wikileaks.org
- courrierinternational.com