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La jeunesse française au bord de la révolte ?

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Frustrée et désabusée par une société vieillissante, la jeunesse française exprime à l’occasion de l’opération « Génération quoi ? » un mal-être et un sentiment de révolte qui va croissant. 

À l’automne dernier, France Télévision lançait un long questionnaire en ligne intitulé « Génération quoi ? ». Dédié aux jeunes de 18 à 34 ans, son objectif était de brosser le portrait d’une génération insuffisamment écoutée. Près de 210 000 personnes se sont prêtées au jeu, fournissant aux deux sociologues Cécile Van de Velde et Camille Peugny près de 21 millions de réponses. Ils tirent aujourd’hui le bilan et les principaux enseignements apportés par la tranche des 18-25 ans.

La jeunesse dépeint une génération « perdue »

Interrogés sur la manière dont ils décriraient leurs générations, les jeunes utilisent les mots-clés « sacrifiée », « perdue », « désabusée », « désenchantée » ou « galère ». Ils ne sont que 25% à estimer que leur vie sera meilleure que celle de leurs parents contre 45% qui pensent le contraire. Mais ils voient aussi l’avenir en noir puisque 33% sont persuadés qu’ils ne connaîtront que la crise et 43% pensent que la vie de leurs enfants sera pire que la leur. « Ce qui apparaît ici, c’est le poids du discours de crise dans lequel nous baignons désormais, et le sentiment d’être pris dans une spirale du déclassement » estime Camille Peugny, maître de conférences à l’université Paris-VIII. « Les jeunes se sentent abandonnés par la société. Ils ne sont pas aux commandes de leur vie, ils subissent. Sont frustrés de ne pas pouvoir faire leurs preuves, montrer qui ils sont » ajoute Cécile Van de Velde.

Les jeunes n’ont plus confiance dans la politique

Alors qu’ils vivent pour la première fois sous la gauche au pouvoir, les 18-25 ans font « l’expérience de la désillusion politique » et déclarent à 46% ne plus du tout avoir confiance dans les politiciens tout en estimant à 50% qu’ils sont « tous corrompus ». S’ils pensent qu’hommes et femmes politiques ont encore du pouvoir (64%), près de 90% estiment qu’ils l’utilisent mal et laissent la finance diriger le monde. « Les jeunes expriment une demande d’État, en souhaitant par exemple que leur période de formation soit financée. Ils pensent que les politiques, s’ils en avaient le courage, pourraient avoir une influence sur leur vie. Mais qu’ils ont laissé la finance prendre le pouvoir. Il y a du mépris dans ce regard des jeunes. Ils n’y croient plus » déclarent les deux sociologues qui anticipent déjà une abstention massive de cette tranche d’âge aux prochaines échéances électorales. « Ce sont des gens informés, qui ne se fichent pas de la politique, qui ont des habitudes participatives liées à l’usage des réseaux sociaux. Mais l’offre politique ne répond pas à leurs attentes. La démocratie ne s’adresse pas à eux. Ils n’iront pas voter, mais ce sera une abstention politique, réfléchie, presque militante. »

Un sentiment de révolte qui s’affirme

L’enquête révèle à quel point le sentiment de révolte se développe et pourrait un jour finir par s’exprimer dans les rues. 61% des jeunes se déclarent ainsi prêts à participer à un mouvement de révolte de grande ampleur, type mai 68. La crise, les difficultés d’insertion dans la vie active, la précarité et le manque de reconnaissance constitueraient ainsi un terreau fertile à la colère.

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« C’est une génération qui veut entrer de plain-pied dans une société vieillissante. Elle enrage de piétiner à son seuil. Elle ne veut rien renverser, elle n’est pas en conflit de valeurs, mais elle trouve toutes les portes fermées, et elle envoie un avertissement. [...] Les jeunes ne sont pas dans la résignation. Il y a une énergie latente, comme en 1968. En temps de crise, on peut adopter une stratégie d’adaptation au système (loyalty), de départ (exit), ou de révolte (voice). « Loyalty » pourrait bien se transformer en voice » si rien ne bouge… Il suffit d’une étincelle… » conclue Cécile Van de Velde.

Source : Le Monde

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