Indispensable désobéissance alimentaire
Texte issu de l’intervention de Nicolas Sersiron (CADTM) au 2ème Forum sur la désobéissance, le 29 septembre à Grigny (Rhône)
Si vous êtes opposé à la déforestation de l’Amazonie, au réchauffement climatique, à l’effondrement de la biodiversité, sur les terres émergées comme dans les mers, à la faim chronique d’un milliard d’humains et à la pauvreté de trois autres milliards, à la mortelle guerre de l’eau en cours, à la progression constante du surpoids et de nombreuses maladies, alors, la transformation de votre façon de vous nourrir peut vous permettre de passer des paroles aux actes. En refusant le modèle d’alimentation, qui a été imposé durant les 50 dernières années, sans que vous en ayez pris conscience, vous entrerez en résistance face à l’énorme complexe agroalimentaire beaucoup plus intéressé par ses profits que par la santé des humains qu’il alimente. Il décide de ce que vous mangez en exploitant votre faiblesse grâce à la séduction de ses offres, avec l’aide de la propagande publicitaire et des mensonges sur la relation santé-aliments. La corruption des experts publics est un maillon très important de l’instrumentalisation des consommateurs réalisée par les grands groupes de l’agroalimentaire. Comme ce modèle est responsable de la plus grande part des maladies modernes, il décide aussi de votre santé, en partenariat avec le grand lobby pharmaco-médical. Un exemple parmi des milliers, l’universitaire Paul Scheffer écrit « Les autorités, les industriels et la majorité des professionnels de la santé sont toujours convaincus que les produits laitiers sont « nos amis pour la vie » et ne désirent guère en savoir davantage. » Il poursuit plus loin « … un rapport de l’IGAS a montré que les médecins généralistes sont pour la plus part dans l’incapacité de faire la part des choses entre une information fiable et scientifique et la promotion publicitaire. (…) la médecine moderne, ayant réellement commencé à pouvoir soulager voire guérir depuis l’avènement des médicaments modernes, antibiotiques et autres, s’est détournée depuis longtemps de l’alimentation au profit des pilules. » |1|
De plus, le modèle alimentaire occidental, aujourd’hui très majoritairement à base de protéines animales, est insoutenable. Ce qui n’était pas le cas il y a 50 ans. Avant que le productivisme agricole à base de pétrole ne prenne l’ampleur d’aujourd’hui et ne dévore presque toutes les terres, et que de ce fait nous dévorions la planète, l’agriculture nourrissait pourtant le monde. Nous étions moins nombreux et chaque repas n’était pas toujours un banquet. Mais la fertilité des sols, les forêts, l’eau douce et les poissons des mers se renouvelaient, la biodiversité n’était pas en péril et le climat était encore stable. A cette époque, les populations des pays riches, comme celle des pays plus pauvres, se nourrissaient essentiellement avec des protéines d’origine végétale. Depuis la population mondiale a doublé, mais les progrès de l’agriculture ont facilement permis d’y faire face. La vraie question est sa consommation de protéines animales qui augmente fortement partout, après avoir largement doublé en Europe. Sachant qu’il faut en moyenne 7 protéines végétales pour faire 1 protéine animale, c’est intenable. « Cette année, il n’aura fallu que 234 jours à l’humanité pour consommer toutes les ressources naturelles que la Terre peut produire en un an. Nous avons atteint, mercredi 22 août, le ’Global Overshoot Day’, le ’jour du dépassement’. En d’autres termes, nous vivrons à crédit jusqu’à la fin de l’année ». |2|
Aujourd’hui le système alimentaire des 20% les plus favorisés, dont nous faisons partie en France, repose sur l’accaparement des terres, des mers et de l’eau douce des autres pays de la planète. Il est en grande partie responsable des catastrophes actuelles, malnutritions, désastres environnementaux, et surtout celles qui s’annoncent avec le réchauffement climatique. « La manière dont nous produisons notre nourriture et les étapes traversées avant d’arriver sur notre table sont responsables de près de la moitié de toutes les émissions de gaz à effet de serre (GES) d’origine humaine. » |3| De plus il gâche 50% des aliments entre le champ et la bouche du mangeur, transformé en consommateur. L’urgence du changement que nous devons faire provient de ce que l’extractivisme – dont le but final est la consommation folle des plus riches – n’a jamais été aussi intense et destructeur de notre biotope planétaire qu’actuellement.
Ils sont de plus en plus nombreux en Asie et ailleurs à imiter le modèle alimentaire occidental, comportant une quantité toujours plus importante de protéines animales, alors qu’il ne faudrait surtout pas le suivre aujourd’hui. Les chinois, qui consomment près de 60 kg de viandes par an et par personne, sont en train de rattraper les européens et les brésiliens avec leur 70 kg. Les étatsuniens restants loin devant avec plus de 100 kg. Or pour produire ces aliments, une partie de plus en plus grande, de ce qui était autrefois, d’immenses massifs forestiers – régulateurs du climat et des pluies – sont brûlés et remplacés par des pâturages ou des productions de soja et de maïs. Une grande partie duCerrado, les savanes d’Amérique du sud ont été transformées en déserts verts de soja.« Au total, 81 % des terres agricoles (de la planète) sont ainsi dédiées au bétail et à son alimentation. (…) Une enquête menée par Greenpeace et publiée en 2009 montre que l’élevage bovin brésilien est responsable de 80 % de la déforestation de l’Amazonie. » |4| Fabrice Nicolino dans son livre Bidoche explique que « Pour faire grandir plus vite nos veaux, vaches et cochons, (en Europe) l’industrie de l’élevage importe 80 % des protéines qui leur sont destinées. Essentiellement du soja venu d’Amérique latine. Lequel détruit à la racine l’Argentine, le Paraguay, le Brésil… » |5|
Mais pire encore, les accaparements de terre, dédiés en majeure partie à l’élevage, représentent près de 200 millions d’hectares de surfaces agricoles utiles (SAU), soit 6 fois celle de la France – une des plus grandes puissances agricoles mondiales. Or ils sont réalisés par de riches états, des fonds de pensions anglo-saxons et bien d’autres spéculateurs, pour s’approprier en réalité l’eau, sans laquelle une terre ne vaut rien. Et cela en grande majorité en Afrique, sur le continent le plus pauvre, là où la faim est chronique dans de nombreux endroits, et qui devra nourrir dans quelques décennies près de deux milliards d’habitants. « Derrière la recherche frénétique actuelle de terres se déroule une bataille mondiale pour le contrôle de l’eau (…), des sociétés saoudiennes ont acheté des millions d’hectares à l’étranger pour produire des denrées alimentaires qui sont ensuite réimportées en Arabie saoudite. L’Arabie saoudite ne manque pas de terres pour la production alimentaire. Ce qui manque dans le Royaume, c’est l’eau, et ses entreprises vont la chercher dans des pays comme l’Éthiopie. » |6| Cela au détriment des populations qui vivent sur ces terres depuis des millénaires et qui en sont chassés malgré la faim endémique dans la corne de l’Afrique.« La réalité est qu’un tiers des Africains vivent déjà dans des environnements où l’eau est rare et le changement climatique va probablement fortement aggraver cette situation. De grandes transactions sur les terres agricoles pourraient priver des millions de personnes de leur accès à l’eau et faire peser le risque d’un épuisement des ressources en eau douce les plus précieuses du continent. » |7|
Quant aux océans, ils sont surexploités. Les mers d’où sont extraits aussi bien les poissons que nous mangeons que ceux qui sont péchés pour être transformés en aliments pour les poules et les cochons sont pillés par les bateaux-usines des pays riches. « De quelques millions de tonnes au début du XXe siècle, on est passé à 70 millions en 1970 et à 145 millions aujourd’hui. En considérant l’évolution de ces dernières années, on se rend compte que les Etats, les administrations, les armateurs, les capitaines de bateaux et, dans une certaine mesure, les pêcheurs eux-mêmes se sont comportés à l’égard des ressources vivantes de la mer comme des prédateurs impénitents, avides de répondre à des besoins économiques, sans souci de l’avenir. (…) Le véritable scandale vient surtout du fait que ces ressources vivantes sont encore trop souvent dilapidées et perdues, (…) il y a les rejets par-dessus bord, environ 30 millions de tonnes, soit près de 30 % de tout ce qui est pêché dans les eaux maritimes et continentales, » mais il y a aussi « les pêches minotières ou pêches ciblées sur des espèces de faible valeur marchande destinées à la fabrication de sous-produits, essentiellement des huiles et des farines de poisson utilisées dans la fabrication d’aliments composites pour nourrir les volailles, les bovins, les porcins, les poissons d’élevage, etc. D’après les statistiques de la FAO, près de 30 millions de tonnes sont ainsi utilisées à des fins de consommation animale, soit un autre quart des captures opérées dans les eaux marines et continentales. » |8| Si les français ne mangeaient que les poissons de ses eaux, le 21 mai 2012 elle aurait épuisé son stock de l’année.
Aux origines de la prédation alimentaire
Toutes les catastrophes évoquées plus haut sont le résultat de plusieurs siècles de pillages des ressources naturelles, du travail des hommes et des femmes qui ont extrait toutes ces richesses agricoles, halieutiques, sylvicoles, minières et fossiles que j’appelle extractivisme. Or nous y participons en étant l’élément principal d’un système qui après l’extractivisme implique le productivisme puis le consumérisme, – celui des habitants des pays les plus riches - la source des profits démesurés des 1% qui gouvernent le monde. Or le final de ce processus est l’accumulation de masses gigantesques de déchets, dont le CO2 n’est pas le moindre. Ils affectent en premier, la grande majorité des pauvres mal armés pour y faire face, eux qui n’en sont pourtant pas responsables. Quant aux plus riches, les véritables coupables, ils peuvent, pour le moment, s’en abstraire comme si elles n’existaient pas.
Mais comment en est-on arrivé à de tels délires. Ces catastrophes en cours sont comme les dents d’une gigantesque scie en train de couper la fragile branche de l’arbre de vie, notre biotope planétaire, sur laquelle nous nous sommes développés depuis quelques millions d’années, dans le temps géologique une parenthèse qui pourrait se refermer brutalement. La majorité des grands décideurs et tous ceux qui se posent des questions le savent, car ils ne sont ni sourd ni aveugle. Pourtant, ce qu’ils prétendent être la normalité, à l’instar de F.Hollande, n’est-il pas la continuité voire l’aggravation des destructions en cours, une véritable folie en réalité ? La croissance du PIB n’est-elle pas celle aussi du réchauffement, des extractions de matières non renouvelables, des destructions environnementales, de la faim pour une grande part des humains ? Alors d’où vient l’énergie de cette dynamique suicidaire considérée par la majorité des dirigeants du monde comme normale ? Il nous faut retourner en arrière pour comprendre.
Christophe Colomb, héros historique, grand navigateur et découvreur de l’Amérique, fût aussi le premier d’une longue liste de brigands, assassins et voleurs intercontinentaux qui n’est pas encore close. Ces hommes ont posé les bases, de l’injustice sociale globale, des destructions environnementales et du réchauffement planétaire que nous connaissons aujourd’hui. Les entreprises internationales extractivistes, qui piratent toutes les ressources de la planète, agissent dans la continuité des conquistadors avec une puissance décuplée par les technologies modernes et la finance dérégulée. Les plus hauts buildings de verres et d’acier qui dominent Dubaï, Londres, Kuala, Lumpur, New-York, etc., ne sont-ils pas d’immenses phallus érigés à la gloire des pilleurs de la planète. Et il y a plus de catastrophes potentielles à attendre de la croissance des PIB que de justice et d’égalité pour les humains. Le BNB, le bonheur national brut, décidé par le roi du Bhoutan en 1972 en remplacement du PNB, produit national brut, préconise un développement économique responsable, la promotion de la culture locale, la sauvegarde de l’environnement et la promotion d’un développement soutenable et une gouvernance responsable. Il n’y a que peu de profits à espérer du BNB pour les junkies du profit que sont les capitalistes. S’il comporte certainement un peu de frugalité au quotidien pour les hommes et les femmes, il est à l’opposé de la course folle, telle celle du Titanic, dans laquelle nous sommes tous embarqués.
A l’abri des armées conquérantes, les premiers colons, maîtres d’esclaves, et les négriers-armateurs ont mis sauvagement en production les terres et les mines du nouveau monde. Durant plusieurs siècles, ils ont drainé toutes les richesses disponibles des Amériques vers l’Europe. Ensuite, la fin, tant attendue, de l’esclavage a malheureusement coïncidé avec une colossale extension de l’asservissement : la grande conquête coloniale entreprise par les européens qui devait durer jusqu’à la fin de la seconde guerre mondiale. Il y eut une amplification sans précédent de l’extractivisme agricole et minier, un pillage dont l’ampleur a permis aux industries européennes, en pleine révolution technologique, de se développer très rapidement. Les extractions coloniales ont enfoncé les peuples soumis dans le sous-développement et la pauvreté. Après les indépendances, il y a plus d’un demi-siècle, pour maintenir leur accès à ces ressources naturelles tout en continuant à n’en payer ni le juste prix ni le travail d’extraction, les pays de la Triade, Etats-Unis, Europe, Japon, avec leurs entreprises transnationales, ont imposé progressivement le « système dette », créant une continuité néocoloniale.
Ce moyen d’asservissement repose sur l’organisation de la corruption des décideurs du sud, souvent obligé de détourner pour leur profit personnel, une grande part des emprunts imposés par les puissances industrielles et leurs multinationales |9|. Ainsi, au lieu de gérer leur pays pour le bien être de leur peuple, ils ont au contraire accepté toutes les contraintes imposées par les pays riches à travers la Banque mondiale (BM) et le FMI, les plans d’ajustement structurel et le libre échange, très favorables aux entreprises extractivistes. Catastrophique pour l’agriculture paysanne du sud concurrencé déloyalement par les produits subventionnés du nord, car les PAS les ont, entre autres choses, contraints à ouvrir leurs frontières. Et pour toutes les populations de ces pays dont les richesses continuent de quitter leurs territoires, quand ce n’est pas leurs terres qui sont louées ou vendues sans leur accord, c’est un drame mortel.
La dette illégitime est une arme de destruction massive pour les peuples qui la subissent. Elle est un moyen de transfert des richesses, inacceptable et d’une immense injustice, aussi bien dans le sens Sud-Nord, que dans le sens pauvres-riches, là-bas comme ici. Le remboursement de ces dettes, le plus souvent illégitimes voire odieuses – toutes les dettes des dictateurs le sont, elles n’ont pas à être remboursées selon le droit international – ont été utilisées pour contraindre les pays du sud à produire des matières premières agricoles destinées à l’exportation vers les pays les plus riches. Dans les PED (pays en voie de développement), les plus grands exportateurs de matières premières agricoles, soja, maïs, huile de palme, cotons, bois, viandes sont les pays les plus endettés à la suite de dictatures, imposées ou favorisées par les pays du nord. Brésil, Argentine, Indonésie. La majorité des pays africains, colonisés, néo-colonisés et tyrannisés par leurs dirigeants, sont des exportateurs de matières premières agricoles : arachides, bananes, café, cacao, coton, bois précieux, droits de pêche bradés aux bateaux étrangers. Alors que souvent une partie de leur population meurt de faim. Le refrain est toujours le même si vous n’exportez pas, vous ne pourrez pas rembourser les dettes (illégitimes), donc vous ne recevrez pas de nouveaux prêts du FMI et de la BM. Pour nourrir votre population et remplacer vos productions locales peu efficaces, exportez, ouvrez vos frontières et nous vous fourniront des céréales à bas prix (subventionnées). Concurrence déloyale, perte de production locale, soumission à la volatilité des prix du marché mondiale des céréales qui réagissent en fonction de la spéculation du nord et des variations du cours du pétrole, les émeutes de la faim en sont le résultat. Un champ pour la production alimentaire est potentiellement un champ de pétrole. 40% du maïs étatsunien est transformé en agrocarburant. Partout dans le monde, et en Afrique en particulier, les accaparements de terre – ce vol manifestement de type colonial – sont dédiées essentiellement à nourrir les élevages des pays riches ou les voitures du nord. Quand vous mangez de la viande issue de l’agriculture productiviste vous consommez de l’eau virtuelle issue des pays du sud que ce soit suite à des accaparements de terres ou à des exportations des grands producteurs locaux. Vous consommez aussi l’eau virtuelle du nord qui a servi à arroser les maïs, destinée à nourrir les élevages, et a été rejetée polluée par les pesticides et les nitrates. En France la moitié de la consommation d’eau douce est le fait de l’agriculture productiviste. Ne nous y trompons pas, les exploitants agricoles du nord ont été instrumentalisés comme les pays du sud pour fournir de la matière première à une immense chaîne de profits qui va des transformateurs industriels et des fabricants de matériels agricoles en passant par les pétroliers, l’agrochimie et l’agritech, les spéculateurs et banquiers jusqu’aux aux supermarchés et une quantité incroyable de sous-traitants. Les agriculteurs européens ou étatsuniens ont été traités comme les PED. Ils ont été endettés et ils ont reçu des subventions conditionnées. Ce qui a permis de les contraindre à produire ce que le lobby agroalimentaire désirait pour optimiser ses profits. Ils sont des extractivistes de la fertilité des sols et de l’eau qu’ils polluent, beaucoup malgré eux. Cela le plus souvent sans y trouver le bonheur ni l’équilibre financier. Il y a en France plus de 400 suicides de paysans par an. |10|
Comment organiser la résistance alimentaire
Lutter contre le lobby agroalimentaire, dans ce qu’il a de destructeur, comme lutter contre les dettes illégitimes, qui asservissent les peuples aux désirs des banques, est indispensable. Les banques sont coupables avec les grands détenteurs de capitaux et les autres spéculateurs d’avoir mis les PED depuis 30 ans, puis aujourd’hui l’Europe et le Monde, en régression sociale. C’est une action collective qui doit être menée sur le temps long, si nous ne voulons pas désespérer des résultats. Mais lenteur ne veut pas dire absence, je crois au contraire profondément à la réussite des résistances. Quand elles sont engagées avec conviction et sur des bases justes, elles sont capables de rallier de plus en plus de monde. Mais elles ne doivent pas empêcher, bien au contraire, les actions plus individuelles que nous pouvons initier dans le présent par la profonde transformation de notre modèle alimentaire.
C’est une véritable révolution culturelle que vous devrez accomplir si vous voulez participer à la résistance alimentaire, à la transformation de ce monde. Une remise en cause de croyances dans la plus part des pseudos évidences sur les notions santé-nourriture, des habitudes affectives nées dans l’enfance inscrites dans des traditions familiales, des goûts et des plaisirs ancrés au plus profond de chacun de nous. Comme pour le sevrage d’une addiction ou d’une drogue, il vous faudra oublier l’utilisation de l’alimentation industrielle, distribuée par les supermarchés, comme moyen de gérer votre stress ou vos problèmes affectifs, abandonner les idées toutes faites sur la classification des aliments étiquetés énergie-santé, reconstruire d’autres plaisirs gustatifs. En bref, inventer un nouvel univers alimentaro-émotionnel. Transformer profondément son modèle alimentaire est une sacrée aventure, que ce soit dans la gestion quotidienne de ses achats et de ses pratiques culinaires ou dans sa manière d’aborder les repas, particulièrement avec des amis. Elle ne peut s’entreprendre que par la conviction qu’elle aura une influence positive aussi bien sur notre santé physique et notre bien être affectif que sur la transformation du monde vers un avenir plus optimiste. Les deux sont liés. Que faire pour changer ?
Il faut lire des livres, éviter les ritournelles mensongères des magazines, cesser de croire sans esprit critique à toutes les doctes injonctions de la médecine officielle, écouter des intervenants sur internet ou dans des conférences, regarder les nombreuses vidéos qui traitent de ces sujets pour pouvoir passer dans la résistance. Quelques noms de personnes : Marie-Monique Robin, Fabrice Nicolino, François Aubert, T. Colin Campbell, Thierry Souccard, Dominique Belpomme, André Cicolella, Pierre Meneton, Marc Dufumier et bien d’autres. Des noms d’association : Réseau environnement santé (RES), Générations futures, association Grain.org, Negawatt, faucheurs volontaires, Amis de la terre, CADTM et tant d’autres.
Pour moi, la première résistance est de diminuer graduellement voire de supprimer les protéines animales de notre régime quotidien. Mais pas d’intégrisme, la vie en société, les amis, le partage des repas ne doivent pas être sacrifiés pour autant. Il faut rester souple, les viandes locales par exemple restent possibles. Ce que l’on cherche c’est aussi bien le désarmement de la redoutable puissance du lobby agroalimentaire, dont l’essentiel de la force repose sur les protéines animales, que de reprendre le pouvoir sur notre santé face au lobby médico-pharmaceutique qui ment et tente de nous déresponsabiliser pour amplifier ses profits. « Un changement de mode alimentaire basé sur des végétaux et des céréales complètes d’une part, et excluant ou réduisant fortement les produits d’origine animale et les produits transformés d’autre part, pouvait (peut) faire stopper ou régresser un nombre élevé de pathologies modernes. » |11|
Remplacer les protéines animales par des protéines végétales c’est reprendre en main la confection de ses repas en l’enlevant aux industriels. Bien sûr cela va entrainer un changement d’organisation, pas toujours simple à réaliser, qui implique de revoir l’organisation du temps. C’est sans doute la première lutte à entreprendre, car tout est fait pour que vous n’ayez pas de temps disponible. Il en va de même du temps qu’il faut prendre pour construire une culture apte à comprendre et à critiquer les grandes décisions imposées par le pouvoir économique. Seul moyen de résister au fameux TINA (il n’y a pas d’alternatives), inlassablement répétés par un pouvoir sans argument. Sa traduction en langage clair est : ne vous donner pas la peine de chercher, nous avons trouvé pour vous le meilleur chemin. Sauf, qu’il est bon pour eux et leurs profits, mais inversement, pas du tout pour les autres, c’est-à-dire nous.
Pour revenir à une alimentation à domination de protéines végétales, il faut se procurer des matières premières brutes. Céréales, légumes secs, graines en tous genres, légumes frais, fruits frais, fruits secs, fruits à coque, huiles de première pression à froid, soja, etc. d’origine biologique. C’est évidemment un peu plus cher, mais en enlevant au quotidien l’achat des protéines animales, vous libérerez des fonds pour absorber le supplément de prix lié à la qualité. C’est indispensable. Comment retrouver le plaisir de manger ces produits végétaux bruts s’ils n’ont pas de goûts, contiennent des pesticides et autres conservateurs. Réapprendre les préparations oubliées, les anciennes recettes locales ou réinventer un nouvel art alimentaire, sans cuisson par exemple, est une belle aventure à vivre.
Le nombre de producteurs locaux de qualité bio, ou approchant, que ce soit sur les marchés, à travers les réseaux citoyens d’approvisionnement ou les AMAP, est en progression constant. Des jardins de ville partagés, des systèmes d’échanges et de solidarité, se construisent un peu partout par le maraîchage citoyen. Le nombre de jardins potagers privés ou publics augmente, certaines régions comme le Nord, sous la pression des demandes, s’apprêtent doubler le nombre de jardins familiaux.
L’autre piste que je défends, avec la conviction de l’utilisateur expérimenté, est la production de graines germées chez soi, que j’appelle maraîchage intérieur. C’est un complément formidable, aussi bien sur le plan santé que celui des économies, d’une alimentation à dominante végétale. Bien sûr là aussi, il y a un peu de temps à prendre pour fabriquer soi-même une partie de ses repas. Mais cela ne nécessite qu’un coin d’évier et de l’eau. Or c’est un apport de vitamines, enzymes et protéines naturelles qu’il est souvent difficile de se procurer, particulièrement durant l’hiver. |12|
Rien ne pourra remplacer l’action politique et les résistances collectives. Que ce soit aux catastrophes provoquées par le lobby agroalimentaire qui s’engraisse plutôt que de nourrir le monde ou au lobby medico-pharmaceutique qui pense à ses profits avant de s’occuper de la santé de tous. Rien ne pourra remplacer la force des actions populaires de rue pour lutter contre les plans d’austérité imposés au nom de dettes illégitimes au sud comme au nord ou pour obtenir que des audits citoyens soient engagés pour déterminer quelles sont les dettes légitimes qu’il faut rembourser de celles qui doivent être annulées. Les associations, les syndicats et toutes les actions de la société civile sont indispensables pour résister aux politiques menées par les gouvernements qui, sans elles, se soumettraient encore plus totalement aux desiderata des multinationales et autres banksters. Oui, le pire est toujours possible ! Mais, à la différence du boycott, personne ne peut nous empêcher d’avoir de réelles actions de désobéissance par la réorganisation de notre modèle alimentaire qui élimine en grande partie les protéines animales si destructrices de l’environnement et de la vie des populations du sud. Les actions individuelles sont d’autant plus puissantes quand elles sont justes et relayés par des actions collectives et inversement. La cohérence est une force.
Publié sur le CADTM.ORG
Notes
|1| Paul Scheffer « To be or not Lobbies » revue trimestriel Les Z’Indignés N° 2 janvier 2012, Golias
|2| http://www.lemonde.fr/planete/article/2012/08/22/mercredi-22-aout-jour-du-depassement-pour-les-ressources-mondiales_1748396_3244.html
|3| http://www.grain.org/fr/article/entries/4363-alimentation-et-changement-climatique-le-lien-oublie
|4| http://blog.mondediplo.net/2012-06-21-Quand-l-industrie-de-la-viande-devore-la-planete
|5| Fabrice Nicolino, Bidoche, Les liens qui libèrent 2009
|6| http://www.grain.org/article/entries/4566-ruee-vers-l-or-bleu-en-afrique-derriere-chaque-accaparement-de-terres-un-accaparement-de-l-eau
|7| Idem ref 6
|8| http://www.lemonde.fr/idees/article/2012/08/21/assez-de-surpeche_1748159_3232.html
|9| John Perkins, Les confessions d’un assassin financier, Alterre 2005
|10| http://www.letemps.ch/Facet/print/Uuid/728d71fa-7aa9-11e1-95ab-2d726865a361/Le_tabou_des_suicides_tombe_chez_le_g%C3%A9ant_agricole
|11| Paul Scheffer déjà cité plus haut
|12| Nicolas Sersiron, Des graines germées pour désindustrialiser notre alimentation, Les Z’Indignés N°2, Golias