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AUTOGESTION – j’écris ton nom !

Critique totale appliquée à la réalité, l’autogestion est une notion radicale autant qu’un programme politique et social. Elle se situe de surcroît au-delà des divisions partisanes, de l’origine socio-culturelle, générationnelle ou de l’époque considérée. Pourquoi est-elle donc si peu évoquée et considérée, surtout en ces temps de crises majeures à tout point de vue ? Essayons-nous à un rapide tour d’horizon sur ce vaste sujet.

Commençons par une définition
On peut cerner l’autogestion en tant que conjonction de plusieurs facteurs dont :
- l’horizontalité maximale et donc le moins de hiérarchie possible ; il s’agit là de « faire descendre » le plus de décisions en bas de l’échelle, ou dit autrement de faire partir le pouvoir d’en bas pour une légitimé accrue.
- une décentralisation institutionnelle et donc un localisme fort ; ceci est un principe de base dans la géographie de l’autogestion, puisqu’il s’agit de remettre la politique (les « affaires de la cité ») à portée des citoyens.
- la démocratie directe et donc une délégation faible ou très cadrée ; le contraire de notre système « représentatif » où une « élite » confisque le pouvoir via le chèque en blanc d’un mandat pluriannuel et clientèliste.
- un partage égalitariste et donc une forte idée de la chose publique ; ceci est souvent assimilé (à tort) au communisme alors qu’il s’agit simplement d’une forme économique et sociale empreinte d’un humanisme qui n’a aucune connotation politicienne de prime abord.
Tout ceci a un nombre de conséquences très élevées, à commencer par l’élément souvent associé à l’autogestion, mais qui ne la résume pas à lui seul : la réappropriation des moyens de production par les travailleurs eux-mêmes, qui fut et demeure au centre des doctrines socialisantes du 18ème siècle.
Cela fait de l’autogestion, de part sa nature même, une ennemie objective à la fois des systèmes basés sur l’autoritarisme (pouvoir central fort ou jacobinisme, voire dictature, etc) ou sur l’individualisme (néo-libéralisme, consumérisme, etc). Comme on va le voir à présent, elle se situe par ailleurs dans un point d’équilibre fragile entre des stabilités antiques et les dérives modernistes.

Origines de la notion
Il serait difficile de situer exactement la fondation de l’autogestion ; la notion actuelle n’a pas plus de 200 ans mais on retrouve ses bases dans de nombreuses civilisations plus ou moins anciennes.
Pour le versant démocratique, on en retrouve les fondements dans la Grèce athénienne à partir du 5ème siècle, avec les réformes de Clisthène puis celles de Périclès : isonomie des zones géographiques, équilibre et répartition totale des pouvoirs, décisions par les citoyens (bien que cela excluait les esclaves nombreux à l’époque), mandats impératifs et contrôlés, etc.
Concernant le localisme fort, et donc la proximité des institutions et des citoyens, on peut trouver les origines dans des sociétés aussi diverses que :
- l’Inde immémoriale et ses Panchayats (communautés autogérées qui assurent leur propre subsistance) qui ont survécu à toutes les invasions successives,
- le communalisme européen (dont la France) qui, dès l’effondrement de l’empire romain, fonde une tradition décentraliste principalement paysanne,
- l’échelon primaire de la société proto-libérale et néo-protestante américaine, institué par les pères fondateurs en 1776 et notamment étudié par Tocqueville entre 1835 et 1840,
- les zones autonomes de l’immense Russie tsariste, encore émancipées par l’abolition de 1861 mais détruites par le centralisme bolchévique (puis stalinien) dès 1917,
- le système des Länders imposé par les alliés après 1945 pour éviter toute résurgence du nazisme, mais qui au long terme donnât à l’Allemagne une surpuissance économique.
Côté théorie politique et philosophique, on peut aller chercher autant chez Nietzsche ou Freinet que Tolstoï, et Babeuf ou Thoreau que Proudhon. On obtient ainsi un dégradé idéologique majeur (mais souvent méconnu), s’étalant sur plusieurs siècles et passant par des centaines d’expériences sociales multiformes reliant les jésuites aux hippies, les pirates aux syndicats, les intellectuels aux punks/teufeurs, les phalanstères aux altermondialistes.

Du moyen-âge à l’après-guerre
Europe : on retrouve dès le 16ème siècle des courants anabaptistes dissidents dans plusieurs pays, qui sont à l’époque ce que sont nos actuelles TAZ et ZAD ; cette tradition va également vivoter de façon éparse tout au long des 18 et 19ème siècles au gré des révoltes et des restaurations dans la plupart des pays.
Madagascar : ou le quasi mythe largement historique de la république « Libertalia », fondée au 18ème siècle par la piraterie internationale.
France : dès le 19ème à Paris (Menilmontant, Commune) ou Lyon (Croix Rousse), se crée une tradition fouriériste/cabétiste qu’on retrouvera par exemple à Louviers, dans diverses usines (Brun, Lip, Mondragon, etc) et la fac de Vincennes, dans les mouvements étudiants de 1968 et ses communautés type « Longo Maï », tout comme au Larzac ou en ce moment même à Notre-dame-des-landes.
Belgique : sur le modèle de la communauté de Guise en France, des familistères furent crées notamment par Godin ; certaines ont existé de 1888 à 1968 !
Angleterre : on dénombre des dizaines de cas d’usines autonomes, coopératives et communes inspirées par les théories d’Owen dès 1820 à 1840 ; il en existe toujours aujourd’hui, comme la Tower Colliery au Pays de Galles.
Amérique : dans la même période, des centaines collectivités se créent dans divers états et jusqu’en amérique latine à partir des mêmes courants qu’en Europe occidentale.
Russie : tout au long du 19ème jusqu’aux révoltes populaires de 1905/1917 (dont on retrouve la continuation via les Makhnovchtchinas d’Ukraine) va exister une forme avancée d’émancipation de la classe ouvrière qui s’approprie ses modes de productions, de décision, de vie en société … avant la dictature « communiste ».
Italie : c’est sur les ruines de la 1ère guerre, dès 1919, que va s’installer un peu partout en Europe(Bavière, Hongrie, etc) un système de conseils d’usine particulièrement puissant à Turin et combattu par les instances même de l’internationale communiste (PSI, CGL, etc) au contrôle desquelles il échappait ; il n’a cependant pu empêcher la divergence profonde d’un nord industrieux/riche et d’un sud paysan/pauvre qui menât au fascisme d’un Mussolini soutenu par la bourgeoisie et la droite dure.
Espagne : à partir de 1936 démarre une mouvance autonomiste et syndicaliste dans diverses régions (notamment : Catalogne, Aragon, Asturie) qui ne sera brisée que par la dictature conservatiste, catholique et militaire de Franco en 39.
Israël : dès 1940, 10 ans avant de devenir un mode de spoliation des voisins arabes, un système civil israëlien basé sur l’unité communautaire « Kibboutz » va montrer la potentialité d’un état décentralisé en villages autonomes.
Indonésie : une fois cessé le colonialisme néerlandais et finie l’occupation japonaise, le pays s’essaie avec succès à une gouvernance ouvrière de la production de 1945 à 1964 sous Soekarno ; l’expérience s’achève avec le coup d’état et les massacres perpétrés par le dictateur Soeharto et ses fidèles.
Yougoslavie : néo-stalinien mais résistant à l’Allemagne puis à la Russie, le pays dirigé par Tito dès 1945 reste un modèle de gestion populaire (fédéralisme décentralisé, commerce ouvert, collectif d’ouvriers, etc) d’abord soutenu par un régime paradoxalement autoritaire (parti unique, camp d’internement, culte de la personnalité, plannification, etc) puis beaucoup plus permissif à partir de 1965, ouvrant les conditions d’un grand succès en matière d’autogestion qui dura jusqu’à la récente mondialisation destructrice des années 80-90.

Histoire à partir des années 50
Hongrie : la révolution de 56 marque la volonté d’indépendance du pays vis-à-vis d’une Russie à la main de fer, à l’armée de laquelle la population va se frotter tout en expérimentant l’autogestion par des conseils locaux, avant la reprise en main par un gouvernement d’obédience moscovite ; cependant ce mouvement de fond va se répandre dans divers pays voisins (voir plus bas).
Algérie : dès l’indépendance (en 62) sous Ben Bella, l’abandon du pays par les institutions coloniales va permettre d’entrevoir une efficace autogestion paysanne qui sera malheureusement liquidée sans ménagement par les autoritarismes militaires successifs, tel dès 1965 avec Boumédiène.
Tchécoslovaquie : issue d’un mouvement syndical autonomiste et largement soutenu dans le pays, le printemps de Prague va montrer le visage d’un pays géré par son peuple, avant d’être écrasé en 68 par l’armée de l’URSS – inquiète de sa perte d’influence qui ne s’achévera qu’en 1989 avec la chute du mur de Berlin.
Chili : c’est dès 70 après la victoire démocratique d’Allende que le pays va s’essayer à une unité populaire réussie, débutant par une vague de nationalisation sans précédent ; malheureusement, l’histoire va frapper en 73 avec le putsch de Pinochet qui ouvrira béantes ses portes au capitalisme-ultra de l’école de Chicago.
Danemark : dans la lignée des communautés hippies (comme les Diggers de San Francisco), la ville autonome de Christiania se crée en 1971 et, malgré une existence agitée de conflits avec les autorités, de criminalité et divers problèmes inhérents à la vie sociale, elle continue d’exister à ce jour.
Portugal : c’est en 1974 que démarre la révolution dite des œillets, qui va voir chuter la dictature de Salazar au pouvoir depuis 33, mais également se créer une alliance des nouvelles forces étatiques avec les partis maoïstes … contre la population ouvrière ! L’auto-organisation et la démocratie directe vont tout de même perdurer jusqu’en 1975 avant la reprise en main par des militaires soutenus par les « communistes ».
Pologne : c’est autour d’une fédération de syndicat connue sous le nom de Solidarnosc qu’un mouvement populaire va s’émanciper dès 1980-81 ; solidarité rurale, grèves massives, structures d’auto-organisation, décisions démocratiques, mandats révocables et indépendantisme social vont mettre à mal la puissance d’un étatisme « communiste » depuis 45 ; malheureusement cela profitera dès 89 à la récupération capitaliste des anciens pays du bloc soviétique plannifié par les USA dans le cadre de la guerre froide.
Afrique : ce continent, à la tradition pourtant localiste et tribale, est depuis des siècles étouffé par les pays du nord (colonialisme historique, affairisme mafieux, asservissement par la dette, « aide » qui ne développe pas grand chose, exploitation sans limite, etc) ; il faut pourtant relever quelques expériences, vite tuées dans l’œuf, à l’image de celle initiée par Sankara pour reprendre en main le développement de façon autonome, tel que proclamé dans son discours à Addis-Abeba en juillet 1987 – 3 mois avant qu’il ne soit assassiné par Compaoré.
Argentine : touchée en 2001 par une crise économico-financière majeure, principalement provoquée par la corruption d’état et la spéculation étrangère sur le crédit, la population du pays va reprendre son destin en main et montrer une fois de plus l’efficacité de la gestion directe en remplacement d’un état défaillant ; les gouvernements se sont succédés mais l’expérience dure encore malgré un statut juridique incertain, faisant vivre des dizaines de milliers de travailleurs et leurs centaines d’entreprises tout aussi (et parfois plus) productives qu’auparavant !
Mexique : ce pays offre 2 exemples intéressants et récents en matière d’autogestion ; d’abord, le zapatisme qui, dès 1994, installe des autonomies toujours existantes au Chiapas avec autogouvernement, fédéralisme, révocabilité, etc ; ensuite, la population de l’Oaxaca, état voisin qui dès 2006 et malgré sa pauvreté, va combattre le dictat d’un parti soit-disant « révolutionnaire » et s’autogérer par des coordinations paysannes, syndicats ouvriers, associations écologistes et coalitions artistiques qui rayonnent jusqu’au niveau international.

Actualité de la mouvance
Il était évidemment impossible d’être tout à fait exhaustif, mais ces quelques exemples rapidement évoqués parlent d’eux-même tandis que l’histoire de l’autogestion continue actuellement, notamment en amérique du sud dans la lignée induite par le Forum social mondial de Porto Alegre (Brésil) en 2001.
En cette période de grave crise à la fois démocratique, économique, sociale et écologique, l’autogestion ne peut-elle pas être une solution autant qu’une refléxion appliquée ?
Les possibilités à portée de chacun(e) sont pourtant légions : reprise d’entreprise, statuts plus horizontaux (SCOP/SCIC), jardins partagés et AMAP, réseaux d’échange des savoirs ou encore monnaies locales (SEL), éducation populaire et conférences gesticulées, foire à l’autogestion annuelle … tout cela va dans le sens qu’on peut éventuellement espérer, et vers les promesses à priori tenables d’un écosocialisme humaniste.
Alors pourquoi semble-t-il impossible à une majorité de citoyen(ne)s d’aller naturellement et immédiatement vers l’autogestion ? Pourquoi faut-il des conditions sociales et historiques très particulières (guerre parfois civile, chute de régime, fin de règne, révolution sanglante, etc) pour la voir émerger ? Pourquoi a-t-elle l’image anxiogène d’une absence d’organisation, d’une sorte de libertarisme faussement anarchiste et sans foi ni loi (tel que voulu secrètement par nombre de néo-libéraux anti-étatistes), alors qu’elle consiste précisément en son contraire ?!
Tentons pour conclure de cerner les deux axes principaux des (nombreux !) obstacles à la réalisation d’un tel projet sociétal.

Obstacles majeurs
* Ce qui vient plutôt « d’en haut » *
L’histoire humaine montre une propension systémique à la domination centraliste, quelquesoit le type de régime (communiste, « libéral », démocratique, dictatorial, etc) alors même que ces gouvernementalismes jettent le plus souvent un voile opaque sur la société qui permet de créer une illusion de reflet servant à en diriger, influencer, aliéner quasiment toutes les couches. A ce titre et en passant, le monde médiatique, bien loin de sa mission journalistique d’information, est devenu un outil exclusif de communication, de relai de ce mirroir aux alouettes – que le situationnisme nommait déjà « société du spectacle » il y a quasiment un demi-siècle.
* Ce qui vient plutôt « d’en bas » *
Pour autant, il existe toujours une portion dissidente du Peuple, plus ou moins réelle ou artificielle, plus ou moins progressiste ou conservatrice. Mais il faut dire que la créativité et l’indépendance de celle-ci n’est que peu ou pas encouragée, voire purement et simplement détruite ou récupérée dans certains cas : l’éducation fait tendre au moutonnisme par la figure enfantine du maître, de l’autorité répressive irrévocable, et l’obéissance inconditionnelle qui lui est dûe comme autant de traites d’un emprunt à vie ; la rébellion est étouffée au maximum ou envoyée vers des voies de garage (conspirationnisme, confusionnisme).
* Pour (tenter de) conclure … *
Comment, dans de telles conditions, espérer voir les individus s’entraider (puisque la compétition règne), s’organiser (puisqu’on les maintient dans une soumission assistée), s’émanciper (puisque l’ignorance y compris de cette possibilité est entretenue) ? Est-on sempiternellement condamnés aux jougs successifs ou combinés des plus puissants, des plus riches, des plus armés, des plus influents ? L’organisation humaine ne peut-elle se faire dans l’intérêt collectif permanent, avec et pour tou(te)s, dans une horizontalité maximale ? Cette question reste posée à chacun(e) d’entre nous, qui tentera d’y répondre (ou non) par tous les moyens de réflexion/action/expérimentation disponibles et à commencer par celui qui inaugure ce siècle nouveau : internet.

Sources :
Castoriadis sur la démocratie
Tocqueville sur les USA
H. Bey et les TAZ
Le socialisme « utopique »
Leçon d’autogestion
Stratégie autogestionnaire
Le Forum Social Mondial
Foire à l’autogestion
Conférences gesticulées