Accueil REFLEXION Socialisme ou barbarie ? La crise finale du capitalisme

Socialisme ou barbarie ? La crise finale du capitalisme

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« Le capitalisme n’est pas l’éternel retour cyclique du même, mais un processus historique dynamique », explique Robert Kurz dans Vies et mort du capitalisme. Le capitalisme comme accumulation de capital, comme « valeur en procès » (Marx) ou « valeur se valorisant » (Marx) rencontre aujourd’hui sa « limite interne » (Marx). C’est-à-dire que l’accumulation de capital est fondée sur « l’utilisation de force de travail abstraite comme « dépense de matière cérébrale, de muscles, de nerf » (Marx), dans une totale indifférence vis-à-vis du contenu [que l’on coupe du bois, se prostitue ou fabrique des voitures, ce qui intéresse l’exploiteur comme l’exploité, ce n’est que l’argent qu’on retire d’une telle activité] concert en vue de quoi cette dépense est faite. La quantité de travail abstrait apparaît comme quantité sociale de valeur [quantité représentée imparfaitement par l’argent] et comme « objectivité-valeur » [valeur représentée imparfaitement par son prix] des produits ». Plus il y a de « dépense d’énergie humaine abstraite » rémunérée (c’est-à-dire d’exploitation contre rémunération), plus il y a de valeur. La demande de marchandises ne provient que de l’exploitation rémunérée des travailleurs (salaire ou profit). Une marchandise qui n’est pas achetée n’a pas de « valeur d’échange », pas de valeur marchande, pas de valeur capitaliste et, comme seule l’exploitation rémunérée des travailleurs fournit une demande à ces marchandises, alors sans exploitation rémunérée des travailleurs, il n’y a pas de valeur. Plus il y a de travailleurs rémunérés exploités, plus il y a d’exploitation rémunérée, donc plus il y a de valeur, donc plus il y a de croissance.

« Le capitalisme n’est rien d’autre que l’accumulation d’argent comme fin en soi […] La substance de cet argent réside dans l’utilisation toujours croissante de force de travail humaine ». Le capitalisme n’aurait pas de limite interne à sa valorisation s’il n’était ni concurrentiel ni en constante hausse de productivité : « La concurrence entraîne une hausse de la productivité [plus on est productifs, plus on est compétitifs, donc plus on réussit à vendre ses marchandises] qui rend cette force de travail [travailleurs rémunérés exploités] de plus en plus superflue [celle-ci étant remplacée progressivement par des machines de plus en plus performantes et sophistiquées] […] Cette contradiction interne semblait toujours surmontée via (…) l’absorption massive de force de travail par de nouvelles industries. Le « miracle économique » d’après 1945 a fait de cette capacité du capitalisme un credo […] Une productivité qui s’accroît signifie que moins d’énergie humaine engendre plus de produits matériels ». La contradiction interne au capitalisme concurrentiel, celle d’une constante hausse de productivité entraînant une constante baisse de l’utilisation de force de travail abstraite, de l’exploitation, est donc repoussée grâce à l’extension des marchés, grâce à de nouveaux secteurs d’exploitation (l’industrie automobile au début du 20ème siècle, par exemple). L’essoufflement des marchés des « 30 Glorieuses » conduit, au cours des années 1970, « à une production insuffisante de survaleur, sous-production due au fait que trop de force de travail est rendue superflue ». La « troisième révolution industrielle », « nouveau standard de productivité irréversible » (il est impossible de revenir à moins de productivité au sein du système capitaliste), parachève cette tendance au cours des années 1980. La « création toujours nouvelle (…) de capital-argent sans substance » (endettement, création monétaire massive) semble être l’unique solution : en réalité,
cette « pseudo-accumulation sans substance via des bulles financières », un endettement massif et une création monétaire énorme « se heurte actuellement à des limites », et « s’effondrera à intervalles toujours plus réguliers ». La « limite interne historique au capitalisme » ne sera pas résolue au cours des années 1980-1990 : une « gestion répressive » des crises sociales, une « croissance sans substance par l’expansion effrénée du crédit, de l’endettement et des bulles financières » et une « ouverture mondiale des vannes monétaires » n’y changeront rien, ne faisant que retarder/accélérer un processus inévitable au sein de ce système économique. Aujourd’hui, « on assiste à une sorte de dernier stade du capitalisme d’État capable, au mieux, de retarder l’effondrement » : « Les munitions du keynésianisme sont d’ores et déjà épuisées […] Ce nouveau déficit public [liée au renflouement des banques] ne peut plus aller vers de grands investissements [qui auraient pu relancer un peu ce système] ».

La dynamique objective du système capitaliste est également accompagnée d’une dynamique subjective qui contribue à modifier l’allure qu’elle prend. Les multinationales ont ainsi renforcé cette dynamique via une mondialisation impérialiste (FMI, Banque mondiale, interventions des grandes puissances) et compétitive (qui entraîne une élimination encore plus rapide et violente des entreprises moins compétitives – PME et entreprises du Tiers-monde – et du nombre d’exploités) très profitable pour elles (augmentation des marchés et diminution des coûts de main-d’œuvre) mais diminuant encore plus rapidement une masse de valeur déjà déclinante (suite aux faillites, délocalisations, licenciements et baisses de rémunération massives mondialement). La financiarisation de l’économie, « inflation d’actifs [fictifs] liée au capital financier », véritable « keynésianisme de casino », ne créant aucune valeur réelle, a néanmoins permis de retarder (et donc d’aggraver encore) l’effondrement du système capitaliste et surtout de permettre à une minorité d’investisseurs, de banquiers et de spéculateurs financiers de s’accaparer une énorme part du processus de valorisation du capital en déclin (tout en accélérant son déclin en détournant des sommes importantes du processus de valorisation réel du capital vers un processus de valorisation fictif).

Les grands capitalistes ont également profité de cette dynamique en imposant un véritable diktat à des salariés apeurés (destruction du mouvement ouvrier/augmentation des profits par rapport aux salaires). Les riches, enfin, ont beaucoup moins souffert de cette « désubstantialisation réelle du capital », ainsi que l’indique l’augmentation spectaculaire des inégalités au cours des quarante dernières années. Une concentration des richesses et des moyens de production qui, en vertu d’une « propension à consommer » plus faible des riches que des pauvres (et d’une baisse des salaires très importante) et d’un accaparement des terres agricoles, accélère encore l’effondrement du capitalisme et celle de notre niveau de vie (moins de salaire/moins de possibilités de subvenir nous-mêmes à nos propres besoins).

« Le capitalisme se heurte objectivement à des limites historiques absolues, [mais] il n’en reste pas moins vrai que, faute d’une conscience critique suffisante, l’émancipation peut échouer aujourd’hui aussi. Le résultat serait alors non un nouveau printemps de l’accumulation », comme auparavant, mais un capitalisme sans valeur, un capitalisme où on ne parviendrait plus à vendre sa force de travail (sauf pour des emplois serviles et dégradants, comme prostitué(e) ou domestique) et où, étant donné qu’en parallèle se produit une concentration des moyens de production (terres agricoles, usines), on crèverait massivement, faute de pouvoir produire ses propres valeurs d’usage (puisqu’il y a confiscation des moyens de production au profit d’une minorité) et faute de pouvoir vendre sa force de travail (puisqu’il y a de moins en moins besoin de force de travail).

L’impossibilité de revenir en arrière (et l’absence d’intérêt, d’ailleurs, d’y revenir : qui voudrait aujourd’hui revenir à l’exploitation capitaliste du 19ème siècle ?), de continuer à vivre dans ce système d’exploitation qui s’effondre (qui voudrait d’ailleurs sérieusement y rester, alors qu’une émancipation sans précédent est possible ?), nous oblige à prendre conscience d’une opportunité historique sans précédent : celle d’un socialisme sans valeur, sans travail abstrait, sans marchandises, sans concentration des moyens de production, où chacun pourrait subvenir à (et satisfaire) ses besoins fondamentaux en dehors de toute exploitation et de tout processus de valorisation. « La contradiction est une contradiction interne du capital global (…) et non pas une contradiction qui mènerait au-delà du capitalisme », prévient Kurz : voulons-nous un socialisme sans exploitation ou un génocide économique mondial dans un cadre seigneurial ? Socialisme ou barbarie ?

Par Armelle Campagne