Nous avons besoin de nouveaux slogans: que faire si la Grèce prend le même chemin que l’Argentine?
La Gauche étant sur le point de prendre le pouvoir en Grèce, il serait avisé de se rappeler comment Kirchner a éliminé les « piqueteros » et sauvé le capitalisme en Argentine.
« Une nuit magique viendra comme celle en Argentine et alors l’on verra qui prendra l’hélicoptere le premier! »
C’était l’un des slogans que le peuple chantait sur la place pendant le chaud été de 2011.– Une référence à la fuite en hélicoptère du président Fernardo de la Rua de la Casa Rosada (le palais présidentiel) en décembre 2001, au milieu de sanglantes manifestations et d’une répression policière trés violente.
Considérant les conditions socio-politiques similaires actuelles entre la Grèce et l’Argentine de 2001-2002, le slogan ci-mentionné exprime le mécontentement populaire qui cible le statut politique et économique du pays dont les « indignados » rêvent de se débarrasser.
Avec cet article, je voudrais faire une suggestion à la clé: « Nous allons trouver des slogans alternatifs! » Parce que si l’on s’en tient à l « hélicoptère » seulement, j’ai peur que nous gagnions une bataille, au mieux, et ne perdions la guerre. Tout comme en Argentine.
Les piqueteros
Les premiers à se révolter en Argentine, déjà depuis les années 90, étaient connus sous le nom de »piqueteros ». Le mouvement des sans emploi (dont beaucoup étaient victimes des privatisations de Menem durant la décennie des années 90) avait adopté la tactique des blocages de routes (puis plus tard le blocage de boulevards, de ponts, de supermarchés mais aussi de bâtiments gouvernementaux) afin de mettre en lumière les problèmes sociaux, politiques et économiques du pays.
Néanmoins le mouvement « piquetero » n’a jamais réussi à mobiliser les masses ou à obtenir le soutien des classes moyennes argentines lorsqu’ils défiaient le statu-quo politique et économique du pays, ou du moins pas avant ce que l’on appelle communément le »corralito » c’est-à-dire l’interdiction de retirer du liquide au delà de 250 pesos par semaine (soit 1000 par mois) que le gouvernement De la Rua et le ministre des Finances, Domingo Cavallo ont imposé.
C’est seulement après qu’ils n’aient plus eu accès à leurs comptes en banque que les classes moyennes (les femmes avec des caceroles et les retraités + toute la jeunesse argentine, ne pas limiter le corralito et ses conséquences a une expression monolithique) sont allés dans la rue. C’est précisément à ce moment que c’est devenu dangereux pour le système.
Il y a une scène chocante dans l’excellent documentaire de Giorgos Avgeropoulos et son équipe Exandas : parmi les protestations contre le « corralito » et parmi les cris faisant références au vols par le Parlement (cela vous rappele-t-il quelque chose chers compatriotes grecs ?) un vieil homme apparait, sûrement un retraité, il fait face à la caméra et pousse des cris.
« Maintenant nous nous battons ? Maintenant qu’ils nous ont vidé les poches ? Bienvenue »corralito », cela va au delà de toute conscience. Si c’est tout ce dont les gens ont besoin pour descendre dans les rues, bienvenue »corralito »…les chèvres se sont rebellées. C’est la révolution dans la ferme des animaux. » C’était vrai. Et le système le savait.
« Que se vayan todos! » criaient les Argentins : « qu’ils s’en aillent tous ». « Να φύγουν όλοι!” criaient-ils sur les places grecques : « qu’ils s’en aillent tous ». Ils en avaient après des cibles similaires : les argentins ont protesté contre le FMI de la dette et les conditionnalités néoliberales de réforme que cela requérait mais aussi contre contre les classes dirigeantes considérées comme corrompues. Les Grecs, quant à eux, protestent contre la Troika par rapport à la dette et les conditionnalités d’une réforme néoliberale inhérentes à cela mais aussi contre les classes dirigeantes caractérisées par la corruption, le népotisme et les relations clientélistes. Et il y a un dernier élément qu’ils ont en commun : les deux ont commencé à mettre en doute le paradigme économique dominant : le capitalisme.
Et si en Grèce, les places commencent tout juste à apprendre à « respirer librement », à s’organiser, prendre des décisions et agir ensemble, en Argentine les choses sont devenues plus dangereuses pour le statu-quo politique et économique.
Les « piqueteros » ont commencé à se coordonner les uns avec les autres, ont commencé à occuper des lieux de travail et d’établir des coopératives de travailleurs en les administrant (regardez le documentaire de Naomi Klein et Avi Lewis : « The Take » pour une magnifique vue de ce système alternatif de « socialisme de la base »), tandis que dans le même temps ils ont commencé des expérimentations économiques basées sur le troc ou l’échange direct.
Les « piqueteros » ont commencé aussi à mettre en place des cuisines communales, venues des assemblées de quartier, et lancé des efforts coopératifs pour mettre en route des boulangeries, des équipes de construction et des bibliothèques. Selon Benjamin Dangl, dans son livre « Dancing with Dynamite, ce processus a donné naissance à plus de 200 usines et entreprises gérées par les travailleurs à travers le pays, avec plus de 15 000 personnes travaillant dans des coopératives de secteurs aussi divers que la production de voitures et les usines de ballons. Tout cela a eu lieu lors de la première année du gouvernement de transition d’Eduardo Duhalde.
Et alors arriva Kirchner
Lors de l’été 2002, Eduardo Duhalde avait démissionné laissant Nestor Kirchner comme favori. Des élections ont été annoncées, et les deux principaux concurrents étaient Carlos Menem, l’homme qui plus que n’importe qui d’autre représentait la crise argentine, et Nestor Kirchner, un outsider politique, ancien gouverneur de la province de Santa Cruz – la seule option pour la gauche argentine.
Menem a remporté le premier tour, mais, voyant qu’il serait pratiquement impossible à battre Kirchner dans le second, il a démissionné. Et oui, Nestor Kirchner a été élu Président de l’Argentine, avec le plus petit pourcentage jamais gagné par un gagnant à la présidentielle: à peine 22% des voix.
Après son élection, Kirchner a refusé de mettre en oeuvre les conditions du FMI, qui comprennaient de nouvelles réductions dans les dépenses sociales et un rôle rétrécit de l’Etat dans l’économie, pendant que dans le même temps il annonçait qu’il allait rembourser les créanciers privés du pays (ndt: donc le peuple non ?) de 30% par dollar que l’Etat leur devait, utilisant la peur qu’il n’y ai rien du tout à la place. Biensûr il remboursa entièrement le FMI, mais refusa de continuer à rececoir les prêts (et les commandes) de lui.
En outre, Kirchner mit en place des politiques qui ont relevé le salaire minimum, la protection des travailleurs et les droits syndicaux, et l’élargissement des programmes de sécurité sociale aux chômeurs et aux travailleurs du secteur informel. Il a augmenté les dépenses publiques de l’éducation et du logement, et a mis des limites sur les prix des anciennes entreprises d’État privatisées par Menem. En plus, le gouvernement de Kirchner a pris une position solide sur la poursuite des criminels impliqués dans la dictature de 1976 à 1983.
Et bien sûr, Kirchner a peu fait pour cacher ses intentions, qui étaient de sauver l’Etat argentin de l’implosion et de reconstruire le système capitaliste dans le pays, renversant les mesures extrêmes néolibérales que les gouvernements précédents avaient prises et les remplaçant par une orientation démocratique plus humaniste ou sociale.
Les mesures de Kirchner ont amenées la classe moyenne argentine à quitter les rues, à rentrer à la maison – à la normalité qu’ils demandaient. Dans le même temps, tandis que ce ne peut-être nié (et ne devrait pas être sous-estimée) ceci a aidé les citoyens des classes moyennes et inférieures à se remettre sur leurs pieds, il convient également de noter que les mesures de Kirchner ont clairement jouées un rôle décisif dans la la démobilisation du puissant mouvement social du pays.
Certains leaders piqueteros ont été cooptés et on leur a donné des postes dans le gouvernement, tandis que certaines organisations de la société civile ont reçu des subventions de l’Etat. Ceux qui ont insisté dans leur résistance ont été traités avec une répression policière, un isolement et l’exclusion de la sphère publique.
Le reste était une question de temps. Bientôt, les expériences radicales sur la démocratie directe et la vie au-delà du capitalisme ont perdu leur élan, laissant place au «capitalisme à visage humain» de Krichner (qui, peu importe comment vous le cacher, reste le capitalisme, bien que légèrement plus réglementé par l’Etat). « En d’autres termes, » Comme Benjamin Dangl le résume, « Kirchner n’a distribué que des miettes, alors que ce que beaucoup demandait c’était la révolution. »
Qu’est-ce aller de l’avant pour la Grèce, de la compassion ?
D’une certaine manière, les défis à relever par les « piqueteros » n’avaient rien de nouveau. Tout au long de l’histoire, les mouvements sociaux du monde entier ont été confrontés à un dilemme éternel et apparemment insoluble: comment amener un changement social durable? Alors que certains ont opté pour une voie révolutionnaire pour capter le pouvoir d’Etat, d’autres ont choisi la voie électorale pour obtenir le pouvoir d’Etat. D’autres encore ont choisi d’ignorer l’état tout à fait et construire des institutions alternatives de démocratie directe et d’autogestion autonome à partir de la base.
Avant les élections grecques, et dans le contexte de l’excitation généralisée à travers l’Europe sur l’attente de la victoire électorale d’un «radical» parti de gauche, peut-être que nous devrions revenir en arrière et essayer de vous rappeler ce qui s’est passé dans d’autres parties du globe où un parti de gauche a répondu à l’éternel dilemme face aux mouvements sociaux par un choix décisif pour la «voie parlementaire» au pouvoir d’Etat.
Peut-être alors nous serons en mesure de répondre à la question posée par James Petras et Henry Veltmeyer: «Pourquoi systématiquement les mouvements sociaux perdent à la politique électorale institutionnels une fois que le centre-gauche prend le relais d’un régime? » Et peut-être alors, enfin, nous allons réaliser que nous avons besoin de trouver de nouveaux slogans pour éviter que les places grecs deviennent la proie du même sort que celui qui a frappé les « piqueteros » de l’Argentine.
PS: « … si nous parvenons à devenir puissant, par la construction d’un parti, en prenant les armes, ou en gagnant une élection, alors nous ne serons pas différents de tous les autres
Re-PS: La marée rose atteint-elle les rivages de l’Europe?
Par Leonidas Oikonomakis sur Roarmag.org, traduit par l‘équipe des traducteurs