Les chambres du pouvoir : Politique des castes
Quelle idée nous faisons-nous de l’homme politique intègre, au service de l’Etat, faisant passer les intérêts généraux avant l’intérêt personnel et choisissant ses collaborateurs en fonction de leurs compétences plutôt que de leur appartenance à une caste ou un parti ?
Une idée fausse, sans aucun doutes, c’est ce que décrit dans le détail l’excellent ouvrage de Valentine Lopez et Géraldine Woessner : « les chambres du Pouvoir » (éditions du Moment).
De tous temps, le pouvoir a flirté avec les abus de pouvoir, et les moyens d’Etat avec les moyens personnels. C’est aussi le fait d’une caste, d’une sphère que de phagocyter pouvoir et argent, et de les défendre bec et ongles contre les soubresauts d’une classe de dominés qui essaient de s’approprier plus de justice et d’équité.
Quand Tonton confondait famille et patrie :
Mitterand mobilisa en son temps tous les moyens de l’Etat pour à la fois préserver le secret Mazarine, mais aussi pour le bien-être et l’éducation de cette famille cachée.
En mai 1981, il détacha six membres du GSRP (groupement de sécurité du président de la république), des gendarmes donc qui pendant douze ans, jour et nuit, tous les jours de l’année, vont veiller sur la famille Pingeot. Cette famille sera d’ailleurs vite hébergée au 11 quai Branly, annexe de l’Elysée. Puis, pour brouiller les pistes, un agréable château en Sologne, pour les vacances puis comme lieu de villégiature.
Tout le confort, voyage, nourriture, gardes du corps, sans charges ni loyer, au frais du contribuable.
En novembre 2004, quand commença le procès sur les écoutes de l’Elysée, on découvrit que pour cacher un secret de polichinelle, il mobilisa un déluge de moyens, un escadron de gendarmes, les écoutes de l’Elysée, les RG, ainsi que des méthodes peu orthodoxes.
Une république fondée sur des nominations irréprochables :
En 2006, trente cinq pour cent des cadres disaient avoir trouvé leur poste sur des relations personnelles. Qu’en est il au niveau de l’Etat ?
Par exemple Sébastien Veil (fils de Simone) et son épouse, travaillent pour Soubie, conseiller auprès de nicolas sarkozy. Ils ont des postes de conseillers techniques, mais leur nomination ne figure nulle part dans des documents officiels. Ils sont pourtant payés par nos impôts.
sarkozy avait dit à l’époque :
« Je vous propose une République fondée sur le mérite où chacun aura sa chance. Je veux pour tous les mêmes opportunités quand vous aurez fait les mêmes études, quel que soit le quartier d’où vous venez, quelle que soit la consonance de votre nom ou la couleur de votre peau »
En mai 2008 seuls 52 conseillers de sarkozy ont une nomination officielle, alors qu’on sait, d’après le rapport du budget parlementaire, qu’un millier de personnes sont en réalité « employées » par l’Elysée, pour un salaire moyen de 42000 euros (hors prime) annuels. Impossible d’avoir leur identité, alors qu’ils sont payés sur les deniers publics.
Le problème est transversal, car ni la droite ni la gauche n’ont jugé bon de clarifier cette situation.
Le copinage et des réseaux pour grimper l’échelle sociale :
Ainsi, Marie-Laure Harel, 23 ans, maîtrise de droit, amie de la fille de Cecilia Sarkozy est déjà, et si jeune, chargée de mission auprès du chef de cabinet du président.
Cécilia Sarkozy qui sut imposer en son temps de nombreux intimes, comme le publicitaire François de la Brosse, qui dispose d’un bureau à l’Elysée.
C’est qu’en effet, il faut être coopté pour s’introduire dans ce milieu pourtant théoriquement ouvert aux talents et compétences.
Tous les ministres ont des « agents » à la cour des comptes, chez les Ex du conseil d’Etat, ou dans les cercles amicaux et/ou familiaux. Les candidatures spontanées n’ont aucune chance d’aboutir, tout fonctionne en doublette : le mari et l’épouse sont hauts fonctionnaires dans des cabinets ministériels ou une administration centrale, et quand la couleur du gouvernement change, ils permutent.
Quelques exemples de famille bien placées :
La fille de Gerard Longuet, avant de travailler avec Chatel, était secrétaire de Novelli, ami de longue date de son père du temps du mouvement de droite extrême « occident ».
Ludivine Olive, nièce de MAM, est employée par cette dernière.
Olivier Marleix, fils d’un secrétaire d’Etat, travaille au pôle social de l’Elysée et a travaillé avec Dati avant de rejoindre le cabinet de son père.
La demi-soeur de Carla Sarkozy fut recrutée en 2008 à la cellule diplomatique de l’Elysée, sans aucune compétence particulière.
Chez Roselyne Bachelot, on croise aussi du beau monde : Julien Marion dont la femme Laurence est conseillère technique à Matignon, Pierre Bachelot -son fils- qui est le conseiller parlementaire de sa mère avec un vague diplôme d’école d’art.
La député Masini a embauché son époux tandis que le sénateur Vanleremberghe, le sénateur de Richemont et le sénateur Kergueris ont tous embauché leurs filles.
Eric Raoult a quant à lui embauché son épouse pour le motif qu’ils puissent continuer à se voir (on reste pantois devant les compétences requises pour le poste !).
Cambaldelis, depuis le début de sa carrière, avoue qu’il a vu passer tant de fils et filles-de qu’il lui serait impossible d’en tenir le compte.
Que ce soit MAM, Roselyne Bachelot ou Valérie Létard, toutes trois ont commencé en étant embauché par leur père.
Les réseaux familiaux ont ainsi servi les carrières de NK Morizet, Rama Yade, Martine Aubry, Thomas Hollande, Valérie Lang, Marine Ronzani (fille de D. Voynet) chez les verts, la dynastie des Debré (avec les trois célèbres mais aussi une belle soeur et une nièce, Constance Debré, conseillère auprès du président de l’Assemblée nationale).
La dynastie Raffarin à Niort, avec Geneviève Gaillard sa fille, Abelin à Châtellerault, et Bouloux à Montmorillon (Vienne), ou encore Sophie Tapie, dont le père est bien connu de Lagarde -entre autres.
Isabelle Barnier, et deux générations de Nizri, sont conseillers techniques.
Rappelons que la loi française oblige les entreprises à procéder en cas de postes à pourvoir, à un appel à candidature … mais pas les ministres ?
Parano du pouvoir : s’entourer des siens
Ce que Pierre Bourdieu nomme le « capital symbolique » est un trésor et une clé jalousement gardée par et pour les élites. En effet, vous ne pouvez trahir car vous risqueriez de casser le système qui vous a fait et vous permet de vivre et croître.
Que ce soit de clan, de caste ou de famille, ce système fonctionne à plein.
La lutte pour le pouvoir est telle, les trahisons et alliances obscures si nombreuses, qu’il faut nommer autour de soi des gens redevables de tout, et dignes de confiance absolue.
Dès 2007 par exemple, Jack Lang, nomme son épouse à des postes clés partout où il est nommé, parfois même sans se préoccuper à lui trouver de légitimité voire de nom de poste de fonction.
Jean Marie Bockel, lui a embauché sa cousine comme attachée de presse.
Basée sur un trépied confiance-loyauté-compétence, toute nomination y trouve sa justification, assortie souvent d’un « tout le monde le fait !! » étonné.
Cela même si souvent le support de compétence est injustifiable. Exemple : à quoi peut servir une juriste (Isabelle Barnier épouse de l’ancien ministre de l’agriculture Barnier) spécialiste du droit de la propriété littéraire aux côtés de Bachelot officiant à la santé ?
Au sénat ou l’Assemblée, il est techniquement impossible de dénombrer les emplois familiaux ou de réseau, ou encore embauches croisées (j’embauche ta femme et toi ma cousine…) à moins d’avoir une armée d’enquêteurs, tant les cas sont nombreux. De toute façon les élus n’ont aucune obligation de fournir la liste des personnes qu’ils rémunèrent avec pourtant des fonds publics, et ils refusent même qu’elle soit rendue publique, à droite comme à gauche.
Le problème est que ce système « familial et de réseau » a bloqué pendant des decennies l’arrivée de personnes talentueuses en ne laissant les postes qu’à des cooptés par la caste.
Même Jean Marie le Pen avoue que « les enfants de ceux qui occupent un poste ou une fonction ont plus de chance de suivre cette voie … on sait qu’on pourra se présenter député, puis devenir ministre, c’est presque automatique. » ; la succession de sa fille à son propre poste ne le dément pas.
Absoulment personne, dans tous ceux intérrogés par les auteurs, n’a osé condamner un système qui pousse par son opacité à de graves dérives, mais tou(te)s ont juré ne pas en profiter personnellement.
L’utilisation d’arguments tels qu’un fils de boulanger devient boulanger, qu’une fille de dentiste devient dentiste, est fallacieuse, car ceux-là ne sont pas subventionnées par de l’argent public, issu de nos impôts.
Lire à ce sujet l’ouvrage de Frederic Teulon « La France aux mains des fils de et filles de ».
Voilà où nous en sommes, le pouvoir confisqué par une caste de nespotes, qui repose plus sur de complexes réseaux d’alliances amicales, familiales, d’intérêts, de classe, à son propre service et non au service supérieur de la nation, utilisé comme un outil de réalisation, d’auto-reproduction de l’élite et d’enrichissements personnels plus que dans l’objectif d’un projet de société, faisant passer d’abord soi et les siens au sens clanique du terme plutôt que l’intérêt de l’Etat dont l’élu s’est vu confier pourtant les responsabilités dans cet objectif suprême : le bien des homme et femmes qui peuplent la nation.
Source :
Valentine Lopez et Géraldine Woessner : « les chambres du Pouvoir » (éditions du Moment).