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Haro sur l’intermittence !

À l’aune d’une actualité cruelle pour le monde de la culture en général, et une fois de plus les intermittent.e.s en particulier, nous avons décidé d’offrir en lecture libre cet article tout à fait à propos et issu du
N°39 – Choix d’avenir : quel progrès ? Quel travail ? Quelle information ?

« Ce que nous défendons, nous le défendons pour tous » « Défendre les régimes d’indemnisation qui assurent une continuité de revenu face à la discontinuité de l’emploi, c’est défendre l’ensemble des salariés. »

On aura tous compris que le challenge du MEDEF et de son monde idéologisé est d’anéantir le C.D.I. et plus largement l’idée de contrat de travail soumis à un code de protection des salariés : vive le statut d’auto-entrepreneur, solo-dans-la-merde si besoin ! Tout «prétexte» est bon à utiliser -ou à créer- pour y parvenir. Une méthodologie de pilleur qui, telle la pyrale sur le buis, attaque de tous côtés en commençant par les plus faibles et ainsi donc, notamment, le régime salarié intermittent du spectacle qui nous intéresse ici.

C’est en effet du pain béni pour les acteurs ultracapitalistes : ils peuvent y «dénoncer» quelques rares «privilégiés» un peu «rêveurs» qui « aiment ce qu’ils font » et qui, en plus, voudraient pouvoir en vivre ! Le grand public est dès lors partagé entre le plaisir de la culture et le « il y a de l’abus quand même ». Et comme les calculs réels sont si compliqués pour le commun des mortels et que tout et n’importe quoi est dit (à tel point que les concerné-e-s qui tentent de s’expliquer ont du mal à se faire entendre), la majorité des gens est larguée et finit par n’entendre que cette petite musique simplifiante à souhait : les intermittent-e-s coûteraient cher, trop cher.

Nous passerons sur la longue explication de ce mensonge et de l’arnaque qui va avec, déjà très bien décryptés dans la vidéo proposée par le CIP-IDF en 2013 : «Ripostes n°1 – le déficit des annexes 8 et 10 des intermittents du spectacle n’existe pas». Mais pour faire court, selon différents acteurs (la CIP, la Cour des Comptes, le sociologue M. Grégoire, etc) le régime intermittent ne reçoit pas plus d’indemnités (en proportion des cotisations qu’il verse) que la plupart des autres travailleurs. En revanche, le cas particuliers des exploités sous CDD représente l’essentiel du déficit de l’UNEDIC : c’est donc ce statut précaire en voie de généralisation, puisque plebiscité par un patronat attentif à son seul nombril économique, qui en réalité coûte cher à la société !

Ironiquement, le régime intermittent a pourtant été créé en 1936 sous pression des producteurs de cinéma qui avaient grand mal à trouver des artisans prêts à se rendre disponibles temporairement ; car ces derniers, de tout temps, ont préféré la stabilité de leur emploi. Ainsi, il a été créé un régime particulier pour permettre aux exploiteurs une «souplesse» d’emploi, en échange, pour les travail-leurs, d’une indemnité durant les temps d’inactivité – qui pouvaient leur permettre de continuer à vivre tout en restant disponibles.

Il s’agissait donc dès lors d’admettre que la flexibilité (en d’autres termes, la précarité) devait être sécurisée par une indemnité complémentaire versée par l’employeur entre les missions. Ce régime particulier s’est ensuite fortement élargi dans les années soixante jusqu’à concerner également les techniciens audiovisuel puis la plus grande partie du spectacle vivant : théâtre, télévision, etc. Aujourd’hui, il est en voie d’extinction organisée mais pas du tout pour les raisons qu’on croit …

De fait, le travail discontinu étant en passe de devenir la norme (avec environ 85% des embauches pourvues sous C.D.D.), il serait finalement assez logique d’appliquer ce régime d’intermittence du spectacle aux autres intermittent-e-s du travail : intérimaires, autres travailleurs et précaires qui voguent de mission en vacation temporaires. Bref, à toutes les personnes ne pouvant bénéficier d’un C.D.I.

Car on l’a bien compris, les patrons exigent partout la flexibilité en invoquant malhonnêtement les modèles fructueux du nord de l’Europe où les inégalités sont bien moindres. Mais ce faisant ils «oublient» opportunément la contrepartie logique de leur «flexisécurité» trompeuse : à savoir que les travailleurs ont, eux, besoin de revenus continus par le biais de salaires (de préférence) et d’indemnité complémentaire, si besoin.

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D’où voici la grande crainte du MEDEF : que les travailleurs ne se mettent à demander les mêmes « dédommagements » que ceux concédés aux intermittents du spectacle ! Ces derniers ne représentent en effet qu’une partie infime des travailleurs précaires : 3,5% des bénéficiaires des allocations chômage soit 3,4% des dépenses de l’UNEDIC, soit 115.000 personnes indemnisées d’au moins une journée par l’assurance chômage en 2014 … sur 250.000 personnes répertoriées comme intermittents du spectacle, techniciens ou artistes !

Ils ne sont donc, à l’heure actuelle et de toute évidence, pas les véritables cibles du discours dominant qui les vise pourtant ; juste un bon exemple très minoritaire à (surtout !) ne pas suivre voire à décourager à tout prix pour détourner le regard, diriger l’essentiel des revendications ailleurs – et accessoirement diviser la masse travaillante en de multiples sections non-solidaires pour en faciliter le contrôle.

Le Syndeac l’a d’ailleurs bien démontré : durcir les règles d’accès au régime intermittent pour en réduire le nombre n’a pas l’effet quantitatif escompté ; en revanche, ceci est qualitativement néfaste et précarise encore davantage des intermittent-e-s déjà fragilisés par les conditions de travail d’une industrie ultraconcurrentialisée – et donc largement dépendante des mécénats privés tout comme des subventions publiques.

Plus largement encore, le projet de loi El Khomri (ou Macron 3, comme on voudra) se situe dans les mêmes visées à sens unique : réduction des protections légales (baisse des indemnités et dommages et intérêts prud’homaux, facilitation des plans sociaux et autres licenciements, etc), extension de mesures défavorables aux travailleurs (forfait-jour, modulation, fractionnement du repos, congés, paiement des heures sup’, déduction des astreintes, etc) et aux syndicats (inversion de l’échelon décisionnel, médecine du travail réduite, etc).

La question sous-jacente demeure donc : de quel modèle de société, de quelle modalité d’organisation du travail, de quelle politique de gestion macro-économique veut-on ? Le MEDEF et ses laquais («gauche» de gouvernement tout comme droite «libérale» et extrême droite) veulent imposer une «réponse» bien prévisible, à nous de défendre la nôtre !

Pour continuer à creuser cette question : http://loitravail.lol

Sources :
Crédit Photo: Boligan.com
« L’Unedic s’attaque aux intermittents par idéologie » – Le Monde.fr | 14.04.2014
Intermittent du spectacle
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