Des black-blocs s’enracinent au Brésil
La pression est quelque peu retombée au Brésil depuis le vaste mouvement populaire du printemps dernier, mais la contestation, elle, est toujours bien présente.
Cela fait maintenant plusieurs semaines que le corps enseignant brésilien est en grève. Bien que cette grève puisse être considérée comme liée à des revendications propres à une profession particulière, on entend dans les cortèges des slogans tel que « Le gouvernement va tomber, dehors Cabral et Paes » (le gouverneur et le maire de Rio). Depuis les évènements politiques du début d’année 2013, il semble qu’une brèche se soit ouverte dans la société brésilienne, c’est la révolte qui s’y est libérée. Tout comme pour l’augmentation du prix des tickets de bus, la grève des enseignants devient un tremplin – et non un prétexte comme peuvent le dire certains - vers une contestation systémique. Après une expérience de mobilisation populaire si intense, il n’est pas surprenant de voir que les luttes d’aujourd’hui franchissent avec une facilité déconcertante le cadre local pour s’élever vers la contestation nationale et le cadre singulier pour porter des idées universelles.
Dans ce contexte d’émancipation et de débridage des révoltes, de plus en plus de black-blocs apparaissent dans les manifestations. Comme toujours, il a fallu d’ailleurs attendre que les black-blocs entrent en action pour que nos médias parlent des manifestations au Brésil. Et oui, le spectacle de ce qu’ils appellent des « casseurs » ça fait vendre. Les médias adorent les critiquer, mais ils aiment encore plus les filmer … Néanmoins le sujet n’est pas là, même s’il y aurait long à dire sur la passion envoûtante qui s’éprend des médias dès que des individus cagoulés et vêtus de noir apparaissent dans des manifestations.
Notre idée est ici plutôt de faire un bref rappel historique du phénomène black-bloc, de son évolution et des raisons de son action. Le terme de black-bloc est d’abord apparu dans le vocabulaire de la police berlinoise dans les années 1980 après les mobilisations de squatteurs vêtus de noirs qui s’équipaient de bâtons et boucliers pour protéger leurs lieux d’habitations. Les manifestants puis les médias ont ensuite repris ce nom. Un black-bloc est un regroupement de manifestants radicaux, rassemblés en une occasion spécifique, avec des objectifs d’actions propres à la mobilisation qui les réunit. Ces blocs se composent de militants souvent expérimentés qui partagent des idées anticapitalistes et antiautoritaires. Il faut également préciser qu’il n’y a pas une formation black-bloc pérenne à travers le temps, mais toujours des black-blocs qui se forment pour une mobilisation et disparaissent une fois cette dernière terminée. On a souvent vu des black-blocs à l’œuvre lors des manifestations contre les sommets du FMI, du G8, de la Banque mondiale ; mais on a aussi pu en voir à l’œuvre dans le mouvement Occupy aux Etats-Unis comme à Oakland. C’est dans les années 1990-2000 que les images des black-blocs ont commencées à affluer dans les médias de masse, lors de la « bataille de Seattle » en 1999 (OMC), à Washington en 2000 (FMI), à Gènes en 2001 (G8), etc. Les cibles des black-blocs sont bien souvent les lieux où se tiennent ces sommets, d’où la précaution récente des grands de ce monde de se rassembler désormais dans de somptueux bâtiments perdus aux fonds des campagnes, loin des villes où se concentre le peuple qu’ils sont censés représenter mais qui leur est si hostile.
Néanmoins, ces dernières années, les conditions d’apparitions des black-blocs ont quelques peu évolué. Le processus révolutionnaire qui touche l’Egypte a ainsi fait naitre des black-blocs, non pas pour une grande occasion de type sommet, mais à travers plusieurs mobilisations de contestations face au gouvernement. C’est le même phénomène qui se produit actuellement au Brésil, les blocs ne se rassemblent plus seulement dans des évènements de grandes ampleurs médiatiques et politico-économiques mais dans des rassemblements multiples, pour que des mobilisations plus sporadiques deviennent des évènements contestataires de grande ampleur. C’est aussi ce qu’on retrouve en Grèce et en Espagne dans les manifestations contre les politiques d’austérité ou dans les manifestations antifascistes contre l’Aube Dorée. On a aussi vu de multiples blocs durant le Printemps Erable au Québec. Le phénomène des « black-blocs d’évènement » semble donc évoluer en « black-blocs de mouvement », lié à des mouvements sociaux qui s’inscrivent dans des actions de contestation multiples et de moyen voire long terme. On peut aussi observer que l’action radicale des Black-blocs ajoute aux évènements mondialistes exceptionnels, des mobilisations durant les mouvements de contestations nationaux.
Bien évidemment, les actions des black-blocs sont souvent violentes et illégales comme dans les destructions de symboles du capitalisme (Mcdo, banques,etc) ou dans les affrontements avec la police. Leur action est en effet loin de la logique gentillette des manifestations d’Etat. Celles-là se présentent en trois actes : sortir les banderoles, aller d’un point A à un point B selon un parcours accrédité par l’Etat, ranger les banderoles et rentrer chez soi en espérant avoir fait plier les gouvernants. Au contraire les blocs se proposent de franchir les limites de la légalité pour porter l’action directe au cœur de la contestation du capitalisme et de l’Etat. Je ne parlerai pas ici de la question de la légitimité réelle ou supposée de la violence dans l’action politique, ce fut déjà en partie traité dans nos colonnes et le sera j’espère d’avantage traité par la suite.
Pour conclure cet article, j’aimerais tout de même ouvrir sur une petite idée liée à cette question de la violence en politique, mais dans la vraie politique, celle que le peuple produit dans ses actes, pas celle des cardinaux en costumes qui s’apparente bien souvent à du carriérisme, de la manipulation, voire de l’escroquerie en bande organisée. En politique donc, les actes ne se font pas par intérêt mais parce qu’ils ont un sens. Il n’y a pas d’intérêt à saccager une banque, pas plus qu’il n’y en a à manifester à ce compte, pourtant ces actions ont du sens pour ceux qui les font et pour le message qu’ils envoient à la société. Le sens politique, et le message qui l’accompagne, va donc être plus ou moins fort et radical selon les mobilisations et les moyens employés. Ainsi le sens de l’action des black-blocs, par rapport à une manifestation standard, est celui de la révolte sociétale radicale sans entrave autre que la morale humaniste et libertaire de ses révoltés.
Alan Ar Cloarec