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Binarisme : Un monde de «choix» caricaturaux (OFFERT !)

Article OFFERT issu du
Hors-série 2014 – Désinformation : mainstream ou «antisystème», même combat !

Ce qu’il y a de «bien» dans les films, c’est qu’on repère souvent de suite le «méchant»… il a des traits pointus, de grosses moustaches, une balafre en travers de la joue. Le «bon», lui, est beau, juste, et porte secours à la veuve ou l’orphelin.

Mais la vraie vie ne se superpose jamais aussi symétriquement sur des schémas à deux facettes. La complexité du monde moderne, avec ses intêrets politiques, commerciaux, financiers, religieux et les pressions des «marchés» et des multinationales rendent hermétique la compréhension des relations entre les pays, l’explication des conflits, des comportements humains, des phénomènes de masse inattendus. Alors, comment les comprendre, les analyser ? Comment trouver les informations qui éclaireront de façon aussi factuelle et objective que possible une situation qui nous est présentée pourtant comme évidente … et contradictoire selon les sources ? Comment comprendre ce qui se joue à Gaza, ou ce qui a produit la République Islamique sur-armée en Irak ? Que se passe-t-il en Europe et particulièrement en Ukraine ? La plupart des médias proposent des analyses similaires, mais certains médias ont une vision toute différente. Alors que dire de ces situations si on s’intéresse en plus aux médias étrangers, de cultures, de régimes politiques et religions différentes ?

Syrie : C’est Bachar ou L’Etat Islamique du Levant !
Par exemple, le bilan actuel globalement présenté sur la situation en Syrie paraît d’une simplicité enfantine. D’un côté un régime reconnu comme dictatorial et tyrannique, de l’autre des islamistes, religieux intégristes, qui veulent instaurer la charia dans toute la région, et qui veulent donc destituer Bachar el Assad afin d’instaurer un Califat. Face aux exactions commises en Syrie, dont on ne sait objectivement et selon les sources, si elle sont commises par le régime en place ou par les intégristes religieux, difficile de prendre position, et de savoir que faire, si toutefois intervenir est une solution.

D’ailleurs, qui finance qui et d’où viennent les armes utilisées par les deux présumés camps ? Ce qui est étrange, c’est que les médias Russes ont une dialectique bien différente des médias anglo-saxons pour éclairer la situtation. Quand aux avis exprimés en France, ils sont aussi contradictoires que possible selon les sources que l’on consulte. Alors ? Comment comprendre ce qui se joue sur place ?

Il faut se remémorer qu’une dynamique de contestation des peuples s’est exprimée très fortement et violemment dans les pays du nord de l’Afrique : Egypte, Tunisie, Lybie, Barheïn, Yemen, Maroc … ces mouvements contestataires se sont élevés pour diverses raisons et diverses causes ; Droits de l’homme, contestations ouvrières, contestations sociales, revendications démocratiques, avec souvent la dénonciation d’une ingérance économique et politique des pays occidentaux en soutien des régimes locaux.

Mais il apparaît que le moteur commun et le plus puissant de ces soulèvements est le moteur social. Des décennies de restrictions budgétaires supportées par le peuple, la mise en place d’économies néolibérales au détriment des plus démunis, le poids des institutions financières inter- nationales comme le FMI ou la Banque Mondiale, qui appauvrissent encore plus le peuple et éclairent au grand jour l’ingérance des pays «dits riches» – de l’hémisphère Nord – dans les choix sociaux et économiques. Chômage important et endémique, inégalités sociales qui se creusent, monopoles industriel et financier népotiques* agrègent alors dans une même révolte différentes composantes d’une même société.

Bashar al AssadC’est ce qui s’est passé en Syrie. Les soulèvements populaires de soutien aux révolutions Egyptiennes et Tunisiennes ont été interdites, puis fortement réprimées par les forces publiques. Ont suivi des actes personnels d’intimidations, des surveillances physiques, téléphoniques et sur les contenus internet.

C’est suite aux évènements de Deraa – l’arrestation et la torture d’enfants pour des grafitis anti-régime – que va se propager l’étincelle de la résistance populaire nationale prenant pour symbole le «Vendredi de la colère» du 18 mars 2011. Progressivement, ce soulèvement va s’étendre durant des mois à l’ensemble du pays, malgré la répression violente des services de sécurité qui va, par sa violence même, radicaliser le mouvement populaire.

A la base de ce soulèvement populaire, on trouve des militants du «printemps de Damas» né en 2001, composé de jeunes diplomés démocrates laïcs, mobilisés contre la guerre en Irak et soutenant la Palestine. Puis des groupes d’ac- tivistes non violents qui luttaient contre la corruption depuis les années 2003. On y trouve aussi la commission générale de la révolution syrienne, coalition de comités locaux, opposée de longue date au régime, et la coordi- nation des comités locaux dirigée par une avocate.

L’autre composante du mouvement de contestation, et la plus importante, est celle des travailleurs ruraux, des salariés et des petits artisans urbains qui ont le plus souffert à l’arrivée au pouvoir de Bachar el Assad et ses réformes ultra libérales. Ces groupes, dès le départ, on lancé des manifestations pacifiques sur des bases démocratiques et laïques. Mais on constate aussi la présence de certains partis Kurdes, de groupes de gauche, de nationalistes, de libéraux et d’islamistes, satellites des deux plus grosses composantes.

La violente répression armée du régime, a poussé par réaction les citoyens à prendre les armes pour se protéger des diverses forces mises en place par le pouvoir pour les réprimer. Cette course à l’armement, favorisée par le régime Syrien pour justifier la répression, a vu aussi des financements arriver de diverses monarchies du Golfe qui trouvaient là le moyen d’établir des relais sur le terrain. D’autre part, Bachar el Assad, en libérant mi 2001 des prisonniers djihadistes et islamistes, leur a permis de grossir les troupes des citoyens armés.

C’est donc toutes ces composantes qui constituent alors l’armée syrienne libre (ASL) qu’ont rejointe ensuite des soldats qui ont déserté l’armée régulière. L’ASL est donc une agrégation de groupes armés indépendants, dans diverses régions du pays, qui s’arment par le marché noir, la contrebande, et par la récupération d’armes sur le terrain. Mais des groupes armés non liés à l’ASL (ou d’obédience islamiste qui s’en s’ont détachés) et financés par les pays du Golfe se sont développés. Ces groupes ont affronté l’ASL, comme l’Etat Islamique du Levant, car ils sont mieux armés et plus soutenus par de riches pays du Golfe. Ils ont attiré de nombreux combattants par la qualité de leurs équipements militaires, leur structure plus organisée, plus que par leur idéologie. L’objectif clair étant de transformer une révolution populaire démocratique en conflit sectaire.

Pourtant, le peuple syrien révolutionnaire s’est opposé à ces groupes djihadistes armés. Ces derniersob_a07bb0_drapeau-jpg n’ont pas de racines dans la région, et ne sont pas issus de la révolution. A Raqqa, Alep, Mayadin, Al-Quseir et Kafranbel, les citoyens en révolte ont lutté contre les groupes djihadistes en proclamant : « Nous exigeons le respect de toutes les religions: chrétiens et musulmans sont un et uni, nous avons vécu et nous vivrons comme des frères. Les gens qui pratiquaient ce genres d’actions ne représentent qu’eux mêmes et la religion islamique est innocente de tels actes ».

En définitive, la révolution populaire syrienne fait face à diverses menaces.

Celle de Bachar El Assad assisté du Hezbollah libanais et soutenu par l’Iran et la Russie et celle de groupes djihadistes qui s’opposent aux idéaux de démocratie, soutenus par les pays du Golfe et la Turquie. L’unanimité quasi totale de la lutte contre l’Etat Islamique du Levant, qui voit des pays en désaccord apparent sur le régime Syrien de Bachar El Assad, mais qui cependant considèrent que la révolution syrienne est une révolution islamique pose question. Pourquoi les principaux médias et les gouvernements occidentaux ne parlent de la révolution syrienne qu’en terme de «révolution islamique», en occultant totalement cette révolution populaire démocratique ?

Réduire la problématique Syrienne à «pour ou contre une intervention en syrie pour destituer Bachar el Assad le tyran» ou «la révolution syrienne est une guerre des islamistes contre Assad pour instaurer un califat» est une manipulation qui masque toute la problématique des impéralismes économiques et religieux qui ont mis en place cette poudrière en y cherchant tous leur propre intérêt. Des pays du Nord aux pays du Golfe, la situation échappe à tout contrôle … quant à l’information qui nous est fournie sur les ressorts du conflit, sa binarité réductrice fait peu de doute à la lumière des faits énoncés plus haut.

Gaza : une paix impossible ?
Chaque jour depuis des décennies, nous parviennent de Gaza des images terribles d’enfants déchiquetés par des bombes, des corps ensanglantés gisant dans des rues aux maisons détruites par des bombardements israéliens. Sur un autre plan, Israël, qui se dit agressé par des roquettes aveugles et meurtrières, affirme vouloir protéger sa population des attaques terroristes de kamikazes ou des roquettes tirées depuis Gaza par le Hamas. Alors, le Hamas est-il le défenseur des Gazaouis entassés dans une Bande de Gaza bombardée inlassablement par les juifs, ou Israël se protège-t-il du Hamas dont le but est de le détruire et de tuer tous les juifs ?

Selon les médias consultés, les lignes éditoriales, les convictions politiques ou religieuses, les prises de position penchent vers l’une ou l’autre des options. Sans entrer dans les détails de l’appartenance de la terre dont la propriété première est disputée par les deux camps, il faut savoir qu’en 1917 par la Déclaration Balfour, le Royaume-Uni se déclara en faveur de l’établissement en Palestine d’un foyer national juif, ce qui créa des tensions dans le monde arabe qui s’attendait à une déclaration d’indépendance de la région après la défaite des Turcs.

Cependant, jusqu’aux années 1940, des colons juifs s’intallent dans le Nord de la Palestine, ainsi que sur la côte nord-est, de Tel-Aviv à Haïfa. La majorité des colons juifs ayant d’ailleurs payé pour acquérir ces terres.

En 1947, les Nations Unies opèrent un plan de partitionnement de la Palestine et créent donc sur le territoire Palestinien, trois entités : un état juif, un état arabe et Jérusalem sous contrôle international. Cette partition refusée par les arabes palestiens et les pays arabes donne alors lieu à une guerre civile. Depuis, l’état d’Israël n’a cessé de grignoter des territoires par une politique de colonistation des territoires normalement alloués à la population arabe.

L’Etat d’Israël est reconnu en 1948, alors que l’état arabe n’a pas d’existence légitime internatio- nale. Au départ, le Fatah de Yasser Arafat (1949), englobé rapidement par l’OLP* (1964) créé sous l’impulsion de Nasser et dirigé par Choukairy, livre une lutte armée à Israël afin de restaurer l’unité du territoire et la remettre sous gouvernance arabe. Les échecs militaires successifs, puis les échecs diplomatiques décrédibilisent peu à peu l’action de l’OLP, et voient donc l’émergence d’une branche active des Frères Musulmans (dès 70-80) qui finit par s’officialiser en 1987 sous le nom de Hamas.
diminution des terres palestiniennes
Ce dernier finit par expulser le Fatah de la bande de Gaza, et met en place une action beaucoup plus violente contre Israël, bombardements, commandos suicides, guérillas et embuscades, visant les colons et le territoire même d’Israël. Pour Israël, et déjà avant la déclaration d’Oslo en 1993, l’objectif a toujours été de garder le peuple natif aussi faible et divisé que possible. Une véritable souveraineté des Palestiniens mettrait fin à la facilité avec laquelle Israël impose sa politique de colonisation.

Sharon, déjà en 1993, exhortait les juifs à minimiser la taille et la viabilité de la région qui serait administrée par l’Autorité palestinienne. En 1999, l’élection du travailliste Barak ne fait aucune différence, elle ouvre juste la voie au torpillage de la mise en œuvre des accords d’Oslo par une montée en puissance unique des implantations illégales. La découverte de 1.400 milliards de m3 de gaz naturel dans les eaux territoriales de Gaza et le blocus Israélien qui s’en est suivi n’a fait qu’aggraver les tensions.

Ensuite, le plan de paix saoudien de 2002 accepté par 22 membres de la Ligue arabe, proposait un Etat Palestinien sous les frontières de 1976, plan accepté par les USA mais refusé par Israël, car il mettait un terme à sa politique expansio(n)niste. En 2003, le consensus croissant au soutien à un Etat palestinien a encore déstabilisé les positions d’Israël quand les USA, l’ONU, la Russie et l’UE ont produit une « feuille de route » pour la paix basée sur le principe d’un Etat palestinien reconnu par Israël. Même les négocitations de 2013, où les palestiniens avaient déjà perdu 78% de leurs territoires d’origine, et renoncé à l’exigence des territoires de 1967 n’ont pas abouties.

Quelles conclusions peut-on tirer de ces faits ?

D’un côté, Israël ne veut pas d’un Etat Palestinien, et depuis quinze ans, depuis Sharon, la politique Israélienne a été de museler sa gauche à l’image de l’assassinat de Rabin par un extrémiste israélien, au point que c’est aujourd’hui l’extrême droite israélienne qui nourrit la politique de Netanyahou. Son parti, Likoud, rejette catégoriquement la création d’un état arabe palestinien à l’ouest du Jourdain.

Un état palestinien fort et reconnu par la communauté internationale ferait perdre tout le sens de la politique néo-sioniste* de colonisation. Donc toutes les tentatives diplomatiques, les sommets pour la paix n’ont jamais été suivis d’accords respectés et définitifs. C’est aussi pour cette raison qu’Israël a permis et même poussé à la montée en puissance du Hamas.

De son côté, le Hamas a pour objectif clairement exprimé dans sa charte la restitution de toute la Palestine aux musulmans. Il n’est pour eux ni question de négociation, de partage, ni de reconnaissance d’un Etat non musulman sur les terres de Palestine. Il suffit pour cela de lire la charte mise en lien dans les sources pour s’en convaincre : le Hamas est un parti sunnite soi-disant antisioniste, qui veut une gouvernance islamiste sur toute la palestine et n’hésite pas pour cela à risquer la vie d’innocents des deux côtés des frontières disputées.

Nous avons donc face à face, deux belligérants qui ne désirent pas la paix, qui ne veulent pas de négociations, qui ne veulent pas reconnaître la légitimité de l’autre camp, et qui ont mis beaucoup d’énergie à affaiblir ou éliminer les partisans de négociations de paix (Fatah, OLP, Rabin). Ces deux camps se servent donc de leurs peuples comme boucliers, comme justification, pour mener une guerre d’anéantissement de l’autre camp, en ne tenant aucun compte des victimes collatérales, ni des voix qui s’élèvent des deux côtes pour envisager des solutions moins destructrices.

Pourtant, dans les deux camps, de nombreuses voix s’élèvent en faveur de la fin des hostilités, d’une reconnaissance réciproque, et qui veulent envisager qu’une vie côte à côte est possible. Mais ce ne sera ni avec l’islam radical antisémite du Hamas, ni avec les nationalistes extrémistes et religieux du likoud qu’ils y parviendront.

L’Europe est-elle la solution ?

Plus proche de nous mais presque aussi ancienne, la construction Européenne a toujours été présentée comme un moyen « efficace » pour lutter contre la mondialisation. Moyen « nécessaire » pour unir les forces et les compétences disséminées dans les pays de la zone européenne, afin de créer un bloc puissant qui pourrait faire face aux puissances économiques comme les USA, le Japon, la Russie, et qui pourrait lutter contre l’industrialisation sauvage des pays émergents détruisant la concurrence par leur productivité à bas coût. Cependant, la longue crise que traverse l’Europe, qui s’est amplifiée encore avec le crash de 2008 a vu une remise en question des fondements même des raisons qui ont amenés à sa création. N’est-on pas allé assez loin dans la construction européenne ? Le retour à une Europe des nations indépendantes serait-elle la bonne solution ? En clair, la crise qui secoue l’Europe toute entière et la dette qui s’emplifie d’année en année ont-elles comme solution plus (+) d’Europe, ou plus (du tout) d’Europe ?

Le positionnement face à ces constats a scindé les orientations politiques et économiques en deux camps. Ce qui est remarquable, c’est que ces positionnements apparemment binaires sont des convictions transversales qu’on retrouve sur tout l’échiquier politique – d’autant que cette opposition peut s’immiscer jusqu’à l’intérieur d’un même parti. Deux schémas opposés sont donc proposés par les politiques et analystes économiques pour sortir de la crise : les europhiles et europhobes (ou EU-optimist et EU-pessimist, euroenthusiasts et eurosceptics, europragmatists et eurorejects, euroréalisme ou euro-utopie). A l’extrême, certains font même reposer toutes les raisons des crises sur la construction européenne : ainsi, le FN préconise la fermeture des frontières aux immigrés, une taxation des produits d’importation, la sortie de l’Europe et le retour au Franc. Il reconnaît quand même que, seule à prendre cette direction, la France isolée risque de rencontrer des difficultés financières avec les importations de matières premières, avec les accords commerciaux pour les exportations, avec la valeur du Franc qui s’effondrerait au niveau Européen et mondial, avec le recalcul de la dette qui ne serait pas en notre faveur en nouvelle monnaie. Mais tout ceci ne serait pas un problème, car il suffirait que d’autres pays nous suivent et tout serait plus facile !

De façon plus nuancée, un nombre important d’économistes militent pour une sortie de l’Euro, voire de l’Europe. Ces personnalités s’échelonnent sur l’échiquier politique au travers des principales tendances, prouvant que les positions sur le devenir de l’Europe peuvent être contradictoires au sein d’un même courant politique. Leur analyse les convainc qu’en terme de politique et d’économie , l’Union européenne est devenue un danger pour les peuples. Pour eux, l’État-nation n’est pas un anachronisme mais le fondement de nos libertés et le seul cadre où peut être conçue la démocratie. Or le peuple européen n’existe pas et les institutions européennes n’ont rien de démocratiques. Ils veulent donc sauvegarder ce qu’il appellent l’Etat-Nation aux pouvoirs locaux décisionnels pour un peuple identifié qui élit ses représentants démocratiquement. Ils menaçent donc d’une sortie de l’Euro(pe) comme un renversement du jeu éco-politique, pour restaurer la liberté politique et les réformes sociales de 1936 arrachées par nos anciens, qui sont remises en cause par un pouvoir d’un type nouveau, non-démocratique. Et ils déplorent que des pans entiers de la souveraineté des peuples aient été sacrifiés à un pouvoir non-élu qui pratique des politiques économiques menées au nom des dogmes néo-libéraux de Bruxelles.

Pour d’autres, qu’ils soient du PC, du PS, des Verts ou de « Les Républicains », l’Europe est notre seule issue pour sortir de la crise, et donc il faut aller plus loin et plus fort dans la construction européenne. Ils considèrent que l’Europe a besoin d’un gouvernement exécutif avec des prérogatives régaliennes. Le principe fondateur de cette conception est que les défis à relever, comme la crise des dettes souveraines ou la transition écologique, ne pourraient pas se résoudre dans le cadre des états-nations car ils ne possèdent pas individuellement la puissance économique suffisante pour venir à bout de ces problèmes. Cela résoudrait par la même occasion le déficit démocratique de l’Union européenne dans sa construction actuelle. C’est l’idée portée par le groupe Spinelli, le « groupe du futur », Ségolène Royal, Luigi Bersani, Laurence Parisot, Guy Verhofstadt…. et Angela Merkel qui oeuvre pour la création d’un ministère des finances européen, tandis que dix pays déjà se sont prononcés en faveur de la création des Etats-Unis d’Europe.

Mais dans les discours, dans les propositions qui nous sont faites, jamais n’apparaît la remise en cause de l’économie de marché, de la croissance et du productivisme, de l’hégémonie des banques et du monde boursier. Tous les modèles recherchent plus de croissance, plus de compétitivité, deux termes qui appartiennent au modèle productiviste du capitalisme. La recherche même des réductions de déficit afin de régler le problème de la dette, prouve encore que le modèle économique qui se cache derrière les projets est d’essence libérale et capitaliste : personne ne remet en question cette dette indigne et illégitime. Qu’ils soient pro-européens ou anti-européens, les projets politiques et économiques se fondent invariablement sur des principes ultra-libéraux et capitalistes. Aucun projet n’émerge avec en son centre les peuples, l’écologie solidaire, la croissance raisonnée, voire la décroissance, les circuits courts, la démocratie directe … bref, un autre modèle de société que celui que nous subissons et qui a atteint ses limites de viabilité pour le plus grand nombre.

Ukraine : Europe ou Russie ?

Et nous voilà pour finir dans le prolongement de la problématique d’européanisation à marche néo-libérale forcée décrite plus haut, adjuvée d’une resurrection de guerre froide dont l’invasivité de la politique étrangère américaine ainsi que le renouveau du nationalisme poutinien sont les principales racines antinomiques – bien qu’elles présentent une orientation productiviste commune.

Contrairement à une vision chronologiquement inversée par ce dernier, L’Ukraine disposant d’une culture et d’institutions pourtant anciennes de par l’existence persistante d’un vaste royaume de Kiev (parfois nommé Ruthénie) fondé vers le 9ème siècle, s’est vue morcellée par l’Histoire (byzantine, tatare, polonaise, lituanienne, autrichienne, etc) et inféodée -pour ses régions de l’est- à la puissance de son jeune cousin russe seulement à partir du 18ème siècle. Celui-ci va d’ailleurs y imposer sa gouvernance autocratique, interdire la langue autochtone en faveur du russe, tenir la population et les ressources notamment minières d’une main de fer jusqu’à l’abolition du servage puis la brève indépendance ukrainienne durant la chute impériale de 1917. Mais les vélleités expansionnistes allemandes puis bolchéviques auront raison de ce vent de liberté, pourtant très ancré dans les régions et les coeurs, que le stalinisme achèvera de détruire par famine organisée (ou holodomor génocidaire) au nom d’une « dékoulakisation » anti-bourgeoise largement propagandiste. On comprend donc qu’après des années de terreur et de goulag l’Ukraine accueille d’abord l’armée allemande en libérateur – avant de comprendre un peu tard qu’une nouvelle horreur, nazie cette fois, les frappe et d’y résister jusqu’au retour à la case russe en 44. Tous ces évènements coûteront une dizaine de millions de morts à ce malheureux pays malmené par ses 2 plus puissants voisins …

Si l’Ukraine se voit agrandie par le rattachement de diverses régions avec le pacte germano-soviétique, la partition d’après-guerre ou le « cadeau » criméen de Khrouchtchev en 54, elle reste sous influence politico-économique soviétique même après la perestroïka des années 80 – pourtant supposée relâcher la pression sur les pays de l’ex-bloc URSS. Du coup, les tensions indépendantistes montent durant la décennie 90 malgré l’indépendance de 91, prenant parfois à la forme exacerbée d’un nationalisme pouvant exceptionnellement dériver en un néo-nazisme spécifique à l’histoire culturelle de la région que nous avons resituée plus haut. C’est dans ce cadre qu’interviennent les révolutions récentes, dont la Révolution Orange de 2004 n’était que la répétition générale : gangréné par une corruption liée aux intérêts russes et localement endossés par une oligarchie originaire du grand est (Donetsk), le pouvoir de Lanoukovitch tangue une première fois et les élections sont annulées en faveur de l’opposant Louchtchenko qui se rapproche alors de l’UE.

Mais si quelques avancées se produisent durant son mandat (transparence, libertés, décentralisation, etc), celui-ci reste entâché par des tensions politiciennes délétères, une avidité de pouvoir patent dans les rangs de la nouvelle classe en place et des faits de corruptions certes moins nombreux qu’avant mais à la visibilité accrue. Ceci ajouté à la destabilisation russe permanente, parfaitement illustrée par la montée abusive des prix et coupures du gaz entre 2005 et 2009, ainsi qu’à la crise économique qui n’épargne pas la société ukrainienne, et voilà qui explique le retour en arrière de 2010 avec la victoire électorale relative de Ianoukovitch face à une opposition décrédibilisée et divisée. Dès lors, celui-ci annule la plupart des acquis oranges, fait emprisonner ou interdire toute opposition et revient dans le giron russe qui normalise les rapports économiques et gaziers en « récompense ». Ce contexte déclenche de nouvelles révoltes notamment à Kiev, d’abord réprimées dans le sang puis qui finiront par faire fuire Ianoukovitch à Moscou début 2014, remplacé par un gouvernement temporaire d’union mené par Iatseniouk.

A partir de là, deux visions contraires vont être avancées par les parties en présence. Côté (pro-)russe on va s’évertuer à diaboliser l’élite de Kiev accusée de couvrir et contenir des néo-nazis, de vouloir pactiser avec une UE et des Etats-Unis maléfiques, bref de livrer le petit frère ukrainien au capitalisme impérialiste (dont on ne peut nier l’avidité vue à l’oeuvre en Grèce) ; d’où le « sauvetage » de la Crimée et l’attisement à moitié avoué des guérillas dans les grandes villes de l’est qui ont l’assentiment de la plupart des russes et des russophones ukrainiens. Côté ouest, on va à l’inverse parer Poutine de tous les attributs néo-staliniens (bien qu’il en présente certains), présenter l’Union Européenne comme la seule porte de sortie viable et faire appel à l’aide de l’OTAN pour défendre une intégrité territoriale difficile à défendre puisqu’attaquée par une minorité intérieure voulant faire sécession en faveur et par l’aide du puissant voisin russe. Mais au milieu, on aurait tendance à l’oublier, il y a un peuple ukrainien qui a majoritairement une toute autre aspiration : vivre en paix souveraine sans obéir à la logique d’un nationalisme russe affaibli et nécessitant des victoires symboliques pour se maintenir, ni à celle des prédateurs financiers occidentaux qui ne rêvent pas mieux qu’étendre leur terrain de jeu pour mieux masquer l’iniquité absolue du système bancal qui les nourrit encore.

Qui parle encore de cette volonté là, pas obnubilée du pseudo-choix entre la peste « communiste » et le choléra « libéral » ? Peu de monde ou personne, car les enjeux géopolitiques semblent plus importants que le destin d’un peuple apparemment condamné à revivre sans cesse l’étouffement de ses révoltes légitimes, Hmelnichina et Makhnovtchina hier, Révolution Orange aujourd’hui – qui sans autre choix s’est muée le 26 octobre dernier en plébiscite résigné du programme pro-UE de Porochenko.