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La tragédie des Philippines

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De tout temps, l’histoire des Philippines a été traversée par des évènements tragiques. Victime d’une longue colonisation espagnole qui a duré plus de 300 ans, vendue aux américains pour 20.000.000 de $, envahie par les japonais après une guerre sanglante, elle n’a vu la naissance de sa démocratie qu’en 1948. Ensuite l’histoire retiendra la période de dictature sous Ferdinand Marcos pendant laquelle la presque totalité de ses opposants furent jetés en prisons, l’expropriation de nombreux petits fermiers expulsés de leurs terres pour être saisies par des proches du pouvoir et, pour finir, l’assassinat de Begnigno Aquino à sa descente d’avion en 1983.

Puis ce furent les jours lumineux de la Edsa revolution en 1986 qui a enfin pu rétablir un semblant de démocratie. Hélas, cette triste liste d’évènements ne s’arrête pas là et le typhon Haiydan, appellé localement ‘Yollanda‘, a mis en lumière une autre face sinistre du pays que trop veulent ignorer : à savoir un système politique oligarchique et corrompu qui creuse tous les jours un peu plus le fossé entre les plus riches et les plus pauvres. Oligarchique car seuls 7 conglomérats dominent l’économie des Philippines : San Miguel Corp, Ayala Corp, Aboitiz, SM investment corp, DM consunji JD Summit, et First Pacific. Derrière ces noms se cachent des familles extrêmement puissantes qui détiennent le monopole du business et du pouvoir en partie, ayant tous les moyens financiers pour payer les juges et détourner les lois de la concurrence à coup de millions.

Oligarchies aussi car le pays est accoutumé à des dynasties politiques qui dirigent le pays de générations en générations. Cela se passe à tous les échelons du pouvoir de la présidentielle aux municipales, jusqu’au vote pour le poste de Chef de quartier dans une ville, localement appellé ‘Barangay‘.
Ainsi il n’est pas rare d’avoir le père pendant un mandat, remplacé par la mère au suivant puis par le fils, puisque le père ne se représente pas etc…, ce qui leur permet de rester au pouvoir pour de nombreuses années. Un des exemples les plus illustres n’est autre que l’actuel président Nonoy Aquino, fils de Cory Aquino, qui fut la première présidente du pays après Edsa revolution, comme l’était la présidente précédente Macapagal Arroyo, fille d’un autre président Diosdado Macapagal.

Bien sûr, pour qu’un tel système fonctionne il faut l’acceptation et le silence de tous. Cela se fait à coup d’une corruption massive et bien organisée. Lors des élections, chaque candidat envoie des personnes offrir des dons à TOUS pour qu’ils votent pour eux. Pour les élections présidentielles, il est courant de recevoir 2,000 à 3,000 pesos par famille dans les campagnes, 500 pour les municipales et 100 pesos pour les ‘Barangays‘ (chefs de quartiers). Le jour de l’élection, les différents partis font le tour des maisons où ils ont distribué cet argent. Des camions transportent ces électeurs aux postes de vote et les alignent pour vérifier que chacun ira bien voter pour le candidat qui leur a donné leur argent. Ce scénario est tellement courant qu’aux élections pour la dernière présidentielle, même ceux qui votèrent pour Aquino car ils voulaient faire cesser la corruption (point fort de son programme), reconnaissaient avoir recu de l’argent d’autres candidats. << Ils sont venus chez moi pour me l’offrir. Pourquoi le refuser ? >> était un commentaire courant à l’époque.

Aux Philippines, tout est complexe et rien n’est tel qu’il le parait.
Un autre bon exemple est celui de la réforme agraire appellée CARP (Comprehensive Agrarian Reform Program). Créée par Cory Aquino, elle vise à interdire à tout propriétaire de posséder plus de 3 ha par personne afin de permettre à tous, dans l’idéal, de pouvoir être propriétaire d’un terrain pour se nourrir. L’idée a créé un énorme mouvement populaire en sa faveur lorsqu’elle fut votée en 1988. Pourtant, la famille Cojuangco-Aquino est encore aujourd’hui propriétaires d’une hacienda de 6,453 hectares, Hacienda Luisita, qu’elle a acheté en 1958 et dont elle possède encore 1,500. Ces jeux d’ombre et de lumière permanents entre ce qui est mis en place en terme de lois et la réalité fait plus de victimes que ‘Yollanda‘. 35% de la population vit en dessous du seuil de pauvreté, 1 philippin sur 10 travaille comme immigré dans le golf persique, à Hong Kong, au Canada ou aux Etats-Unis pour un salaire de misère puiqu’ils travaillent comme ouvriers, nounous, femme de chambres… Ils sont souvent victimes du trafic humain mondial. Peu se plaignent et tous acceptent leur présent avec ce même sourire qu’ils ont pour être content. Les pays émergeants qui les entourent risquent de créer une autre crise plus grave encore, celle du ras le bol de ceux qui sont exploités et ont faim …

Pour l’instant, les dollars envoyés par ceux qui travaillent à l’étranger maintiennent le système et une certaine paix sociale. Pour combien de temps encore ?

Auteur : Paquerette Foulard
Image : atd-quartmonde.fr