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Clément Méric, martyr antifasciste et révolutionnaire

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Clément Méric, 19 ans, étudiant à Sciences Po Paris, militant antifasciste et anarchiste, est décédé hier soir à l’hôpital suite à des coups mortels portés par un groupe de trois militants d’extrême-droite près de Saint-Lazare. Cet article cherche à rendre hommage au jeune martyr de l’antifascisme en exposant sa pensée révolutionnaire, recueillie par l’auteur de cet article à l’occasion de deux interviews en septembre 2012, en vue de l’écriture d’un ouvrage de sociologie intellectuelle sur Sciences Po et ses étudiants. L’occasion de rappeler que Clément Méric, anarchiste marxien, se battait pour un communisme libertaire qui reste à construire.

La vision de l’histoire de Clément Méric

La vision de l’histoire de Clément Méric se focalisait essentiellement sur des dynamiques profondes, en termes de rapports de classes et de capitalisme. La révolution française, par exemple, est pour lui une révolution bourgeoise (y compris dans sa phase robespierriste), freinée par un important mouvement prolétarien en gestation, finalement écrasé. La répression du mouvement prolétarien aurait débouché ensuite sur l’hégémonie de classe de la bourgeoisie et sur la mise en place de la société industrielle-capitaliste en France.

La vision de l’histoire de Clément Méric s’inspire de celle de son maître à penser dans ce domaine, Daniel Guérin, figure de proue de l’anarcho-communisme marxien. Il venait d’ailleurs de finir La révolution et nous du même auteur au moment de notre entretien. Un courant auquel se rattache sans aucun doute Clément Méric, ancien militant anarcho-syndicaliste à Brest (CNT), qui manie des concepts anarchistes comme des concepts marxiens (« bourgeoisie », « rapports de classe ») tout en restant profondément anarchiste. Les lectures de Clément Méric, d’un abrégé du Capital de Marx à Daniel Guérin en passant par Orwell, témoignent de son rattachement au courant anarchiste marxien.

La société capitaliste-industrielle, pour Clément Méric, aboutit à une « exploitation sans limite ». Les tentatives d’émancipation plus ou moins avancées du prolétariat aboutissent à de violentes répressions, en 1848, en 1871 (il déplore par ailleurs l’attitude légaliste des communards), en 1917-1921 (Cronstadt et Makhno) ou en 1936-1939 (anarchistes de Catalogne). Il marque une certaine défiance vis-à-vis des « communistes », c’est-à-dire des marxistes-léninistes, coupables selon lui d’avoir saboté ces deux dernières expériences libertaires (1917-1921 & 1936-1939). Il dresse un parallèle entre propagande d’hier et d’aujourd’hui : à l’image des communards qualifiés de « vandales » en 1871, on traite aujourd’hui ceux qui se révoltent d’ « anarcho-autonomes ». La conviction d’une permanence au 21ème (sous des formes renouvelées) des structures d’oppression du 19ème siècle est caractéristique des réflexions sur l’histoire de Clément Méric. La politique étrangère des Européens au 19ème siècle (qu’il caractérise comme extrêmement violente) comme des Etats-Unis aux 20 ème-21 ème siècles est ainsi ramenée au concept d’« impérialisme », celui-ci ayant des origines économiques et raciales.

La pensée économique de Clément Méric

Clément Méric critique violemment l’économie politique capitaliste ou bourgeoise, qui « ne prend absolument pas en compte le bien-être des gens » et « profite à certaines classes ». Le libéralisme est même qualifiée de « doctrine de classe » qui, dans son application, aboutit à une « non-prise en compte du bien-être de la population ». Le « principe de richesse débordante (…) ne marche pas », assène-t-il encore. Le keynésianisme, quant à lui, qualifié de « réformiste » ou de « libéralisme social », est résumé ainsi : « Ce n’est pas résoudre le problème que d’améliorer la condition prolétarienne ».

Clément Méric va ensuite préciser ses idées économiques anticapitalistes. Il explique qu’ « écologiquement, il est complètement nécessaire de décroître », et que l’écologie est donc « nécessairement anticapitaliste », ou du moins « anti-productiviste ». Au sein du socialisme, Clément Méric distingue deux branches : une anarchiste et une communiste. En se rattachant à cette première branche, il précise son idée de l’anarchisme, qu’il qualifie de « communisme libertaire » (on remarquera, au passage, qu’il s’agit également du titre d’un ouvrage de Daniel Guérin) : « Propriété collective des moyens de production, volonté d’aboutir du chacun selon ses moyens à chacun selon ses besoins ».

Le capitalisme ? Clément Méric explique qu’il n’y a pas de répartition réelle au sein de celui-ci, qui oppose salariat et actionnaires/chefs d’entreprises, bénéficiaires du « système de plus-value ». Il résume très simplement son principe : « Le produit du travail ne revient pas à ceux qui produisent mais à ceux qui détiennent les moyens de production ». Il critique ensuite l’organisation du travail, où règne « pression, contrôle hiérarchique, mal être (…) [et des] conditions de travail mauvaises ». Les travailleurs, explique-t-il en substance, sont soumis à l’impitoyable « logique du profit ».

Clément Méric insiste moins sur l’impérialisme et ses conséquences en termes de domination de certains pays sur d’autres, mais constate néanmoins l’utilité d’un mouvement anti-mondialisation. Il explique également que « l’Afrique n’est pas indépendante et qu’il n’y a pas de volonté de lui permettre d’être plus développée ».

Clément Méric & Sciences Po

Clément Méric explique qu’en dépit d’une certaine tolérance libérale, Sciences Po formate quand même ses étudiants. Il prend l’exemple de l’histoire de l’épisode révolutionnaire de 1789-1795 en 1ère année, et explique qu’elle n’est « pas du tout impartiale », puisqu’il n’y a « rien sur les sans-culottes et les mouvements populaires, à peine deux mots sur l’an II et l’an III, et pas un mot critique sur Napoléon ». Pour Jean-François Chanet, Robespierre, « c’est ce qu’il y a de plus à gauche. Il ne dit rien sur les mouvements de gauche pré-prolétariens ».

Le changement révolutionnaire pour Clément Méric

Notre société qui n’est ni libre ni heureuse pour Clément Méric appelle une réponse révolutionnaire. Pas une conquête du pouvoir politique, explique-t-il, mais une « insurrection par en bas », contre notre société de domination et pour une société sans domination.

Un changement révolutionnaire qui doit être radical pour Clément Méric. L’abolition des dettes illégitimes ; une nouvelle Constitution ; un revenu maximum couplé à un revenu minimum universel ; une gratuité de l’électricité et de l’eau jusqu’à un certain seuil, puis des prix très élevés au-delà ; l’abolition des marchés financiers ; l’abolition des multinationales ; l’abolition de l’Union Européenne ; un système de monnaies locales avec un crédit limité mais gratuit : autant de mesures insuffisantes pour Clément Méric. Celui-ci souhaite l’abolition des techniques et produits dangereux ; l’abolition du système scolaire ; l’abolition de l’information sous contrôle capitaliste ; l’interdiction des publicités ; l’abolition des prisons (il propose l’exil comme solution) ; l’abolition de l’armée. Mais également, sur un plan positif : une démocratie directe, locale et fédérale ; l’autogestion en entreprise ; une généralisation des transports en commun gratuits ; une police populaire élue par quartiers ; une justice populaire ; une redistribution équitable des moyens de production et des logements ; et bien plus, pour mettre en place une société communiste et anarchiste. En somme, une sortie du capitalisme étatique, remplacé par un communisme libertaire.

Entretien paru également sur le blog  » Pensée radicale en construction  » , partenaire d’Actualutte.